La directive européenne 98/95/CE : une avancée législative européenne pour les semences paysannes ?

Intervention aux 1ères rencontres Semences Paysannes, février 2003

Guy Kastler, Hélène Zaharia,

Résumé

Le Certificat d’Obtention Végétale (COV) est la base sur laquelle s’articule l’ensemble de la réglementation européenne concernant les semences et plants. Il est souvent présenté comme la seule alternative acceptable au brevet sur le vivant. Il garantit la rémunération du sélectionneur tout en laissant libre l’accès à la variété protégée pour toute sélection nouvelle. Il tolère aussi, bien qu’avec de plus en plus de restrictions, que le paysan ressème la récolte issue de semences protégées, pour certaines espèces seulement. Ces beaux principes ne résisteront cependant pas au brevet dès que la superposition des deux réglementations sera rendue possible, ce qui serait le cas en Europe en cas de levée du moratoire sur les OGM.

Mais ce COV n’existe pas sans le catalogue commun des variétés, document officiel sur lequel doit être inscrite toute variété préalablement à toute commercialisation et à fortiori à toute demande de protection. Les conditions techniques et économiques de cette inscription favorisent les grands semenciers, au détriment des sélections paysannes et des variétés anciennes. Elles sont la cause d’une érosion génétique sans précédent. Pourtant, la nouvelle directive européenne 98/95/CE constitue une véritable avancée potentielle, en adoptant des mesures d’exception pour la « conservation de la biodiversité in situ » (ou pour les variétés adaptées à l’agriculture biologique), mais aussi en limitant la commercialisation des variétés génétiquement modifiées.

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Texte complet

1. Catalogue et diversité variétale

1.1. Sélections paysannes et sélections industrielles

Pour être inscrite au catalogue, une variété doit subir deux séries de tests : les tests DHS, pour vérifier ses qualités en terme de distinction, homogénéité, stabilité ; et les tests VAT (valeur agronomique et technologique), s’il s’agit d’une variété certifiée, pour évaluer qu’elle apporte une amélioration par rapport aux autres variétés. Cette inscription à un coût : de 250 à plusieurs milliers d’euros par variété, et il faut repayer un droit chaque année. Les variétés certifiées subissent un contrôle officiel systématique a priori (au champ et chez le semencier) et un contrôle par sondage a posteriori (au stade commercialisation). Les variétés standard ne sont contrôlées qu’a posteriori.

Conçu à l’origine pour moraliser les échanges en apportant à l’acheteur une garantie d’identification et de qualité (pureté variétale et taux de germination), ce catalogue est malheureusement devenu aujourd’hui l’instrument qui impose l’agriculture industrielle au détriment de toute forme d’agriculture paysanne.

En effet, la santé, la qualité et la productivité d’une plante cultivée dépendent avant tout de son adaptation au milieu environnant et au mode de culture. C’est pourquoi, depuis des millénaires, les paysans sélectionnent une multitude de variétés, chacune adaptée à chaque condition locale ou régionale, à chaque besoin alimentaire ou culturel. Ces variétés ne cessent d’évoluer, comme le vivant qui est fait d’échanges et donc d’adaptation permanente à des milieux et conditions climatiques en constant changement.

Parallèlement, la transformation et la distribution industrielles ont besoin de disposer de manière régulière de grandes quantités de matières premières stables et homogènes. Basées sur la reproduction à l’identique et à l’infini du même procédé de fabrication ou de la même marchandise, elles ne peuvent s’accommoder de la diversité et de la variabilité du vivant. Elles imposent donc aux paysans, pour chaque espèce, un choix limité de variétés qu’ils doivent cultiver en toutes circonstances et en tous lieux. Au lieu d’adapter la plante à son terroir, l’agriculture industrielle adapte le terroir à la plante en l’artificialisant à coup d’engrais, de pesticides, d’irrigation à outrance…Les OGM ne sont qu’une fuite en avant face aux limites de cette prétention illusoire à vouloir toujours soumettre la nature. Présentés comme indispensables à la productivité des cultures, les intrants et les gènes manipulés ne le sont qu’aux variétés industrielles : aujourd’hui, des variétés issues de sélection paysannes obtiennent des rendements très confortables et des qualités souvent supérieures à bien moindre coût sans recours aux engrais et pesticides.

1.2. Les verrous qui remettent en cause la diversité variétale

Nous identifions aujourd’hui plusieurs éléments qui font obstacle à l’existence de variétés diversifiées, issues de sélection paysanne, artisanale, biologique ou biodynamique :

  • Le coût d’inscription au catalogue favorise une industrie semencière qui, économie d’échelle oblige, ne tire sa rentabilité que de la production de quantités les plus importantes possibles d’un minimum de variétés. Il exclut la diversité des variétés paysannes qui ne peuvent l’amortir vu les volumes échangés relativement faibles de chacune d’entre elles. Le coût du maintien de l’inscription d’une variété la fait disparaître du catalogue dès qu’elle tombe dans le domaine public (la protection liée à un COV dure 20 ans).

  • Les critères d’inscription au catalogue accentuent les mêmes mécanismes d’exclusion : outre qu’ils nécessitent toute une série de tests à la charge du demandeur, ils sont basés sur l’homogénéité et la stabilité des caractères morphologiques de la plante. En gros, comme toute marchandise industrielle, toutes les plantes de la variété inscrite doivent être identiques quels que soient le lieu et l’année de culture : ce qui, nous l’avons vu, n’est possible qu’en artificialisant les conditions de cultures. Mais le vivant qui n’existe pas sans évolution reprend toujours le dessus. Aussi, le paysan qui ressème sans aucune sélection la récolte d’une variété ainsi « fixée » voit au bout de quelques années ses plantes dégénérer et est à nouveau obligé d’acheter des semences au semencier. C’est aussi pour cela que la plupart des variétés disparaissent du catalogue au bout de quelques années et que le semencier n’a pas besoin de les protéger plus de 20 ans.

Les sélections paysannes cherchent à conserver certains caractères qualitatifs (organoleptiques, nutritionnels, adaptation à des transformations naturelles artisanales, poly-usages, …) mais aussi un important potentiel de variabilité permettant à la variété d’évoluer avec leur environnement. Elles cultivent des populations d’individus différents dont les caractères morphologiques ne sont pas tous fixés. Ni stables ni homogènes, elles sont exclues du catalogue.

  • Hormis les potagères, les variétés doivent aussi faire preuve d’avantages agronomiques et technologiques pour pouvoir être inscrites (tests VAT): amélioration des rendements, résistance spécifique à une maladie, adaptation à la transformation industrielle ou à la conservation…Tous ces critères excluent les sélections paysannes qui développent des avantages qualitatifs plus que quantitatifs, diminuent les intrants plutôt que d’augmenter à outrance les rendements, offrent une résistance globales aux maladies qu’elles tolèrent grâce à leur adaptation à leur terroir, s’adaptent à des transformations artisanales plutôt qu’industrielles…

  • Pour être commercialisé, une semence ou un plant doit ensuite être conforme à la réglementation sanitaire qui peut parfois camoufler d’autres monopoles encore plus absolus. Ainsi, pour combattre la transmission de maladies virales, les plants de vignes commercialisés doivent obligatoirement être issus de la multiplication clonale par des établissements agréés de quelques plants officiellement sélectionnés exempts de virus. Cette réglementation garantit l’absence de virus mais en supprimant toute diversité accentue les déséquilibres qui les favorisent. Elle interdit par contre aux vignerons toute pratique autonome de sélection massale au terroir seule susceptible d’améliorer la santé des plants en les adaptant à leurs conditions de culture. Elle accélère la dégénérescence du matériel végétal viticole, la généralisation des « maladies du bois » et le raccourcissement de la durée de vie des vignes que l’on doit arracher et replanter de plus en plus souvent. Ainsi, en obligeant le vigneron à acheter et à racheter de plus en plus rapidement ce qu’il pourrait très bien produire lui-même, on l’amène par la même occasion à utiliser les pesticides qui vont avec.

  • Enfin, l’interdiction des mélanges (prairies multi-espèces, mélanges variétaux en céréales) oblige à sélectionner les composants des mélanges séparément et rend donc impossible toute sélection en fonction de leur aptitude à se développer en mélange. Ceci annule pour une bonne part l’intérêt de la culture de mélanges (synergie entre plantes variées favorisant la productivité cumulée, la résistance aux maladies et la limitation de l’usage des pesticides) quand ça ne la rend pas tout simplement impossible. Ceci garantit l’homogénéité des récoltes pour les besoins de l’industrie agroalimentaire au détriment de la qualité alimentaire d’une nourriture diversifiée.

1.3. Conséquences pour la diversité variétale

Les graines sont par nature faites pour voyager, pour être échangées. Cultivée toujours dans le même champ, une variété dégénère et meurt. Une variété qui ne peut être inscrite ne peut être échangée et disparaît. Le catalogue officiel, voie d’accès au COV, a transformé un patrimoine commun de l’humanité en marchandise : il est ainsi devenu un formidable accélérateur de l’érosion génétique provoquée par l’agriculture industrielle en interdisant de fait toute les agricultures paysannes.

Il est normal que le sélectionneur veuille rémunérer son investissement et son travail. Il l’est moins qu’il cherche à interdire par la réglementation toute activité différente de la sienne. Les paysans ne réclament pas de royalties : ils veulent simplement pouvoir ressemer et échanger leurs récoltes. Le COV ne peut donc être acceptable que si à côté du catalogue officiel qui protège les obtentions, les variétés issues des sélections paysannes peuvent être librement et loyalement échangées.

En France : situation de non droit pour les variétés anciennes

En 1997, la France a créé un catalogue annexe de “ variétés anciennes pour jardiniers amateurs ” (arrêté ministériel du 26/12/1997). Ce catalogue est réservé aux seules espèces potagères standards. Il permet d’inscrire des variétés avec des critères DHS plus souples. Il a été créé sous la pression de plusieurs petits semenciers qui commençaient à alerter l’opinion publique sur le fait qu’il est illégal de commercialiser les “ variétés de nos grand-mères ”. La DGCCRF (“ Répression des Fraudes ”) a alors demandé au GNIS (interprofession des semences, voir encadré contacts) de gérer ce catalogue “ amateurs ”. Cependant, la réglementation restreint grandement le champ d’application de cet aménagement puisque ces variétés ne peuvent être vendues qu’à des jardiniers amateurs, pour protéger l’Etat d’éventuelles plaintes de professionnels mécontents de l’insuffisance de la pureté variétale ou de l’homogénéité. D’autre part, il est réservé aux variétés dont on peut prouver l’antériorité (15 ans), ce qui est difficile pour beaucoup de variétés locales qui n’ont jamais été décrites. Cette inscription coûte encore une centaine d’euros à celui qui en a l’initiative (le solde étant couvert par le GNIS et le GEVES). Ce coût en limite donc l’usage, car certaines variétés représentent un chiffre d’affaire annuel de seulement quelques dizaines d’euros par an. Enfin, de manière à garantir que ces variétés ne sont vendues qu’à des jardiniers amateurs, ces semences ne peuvent être qu’en emballages de très petites quantités (2 gr maximum pour la tomate, 15 gr pour le poireau, 5 gr pour le chou-fleur, etc.).

Conséquences : comme la commercialisation à des agriculteurs professionnels de semences de légumes de variétés non inscrites - ou anciennes à usage amateur- est interdite, la DGCCRF considère comme illégale la vente du produit de ces variétés à des consommateurs. Seule exception : le cas où l’agriculteur produit lui-même les semences, ce qui bien sûr est assez rare pour la totalité des variétés qu’il commercialise. Cependant, aucune réglementation n’oblige d’indiquer, lors de la commercialisation des légumes, le nom de la variété (sauf pour les pommes de terre et les carottes extra). Aussi, ces ventes sont la plupart du temps tolérées dans une situation évidente de non-droit.

2. Des avancées possibles avec la directive 98/95/CE

La directive 98/95/CE modifie les directives relatives aux semences en assouplissant notamment les conditions de commercialisation pour certaines variétés.

Les variétés concernées sont :

  • les semences et plants relevant de la “ conservation in situ et l’utilisation durable des ressources génétiques des plantes, y compris les mélanges d’espèces (…) qui sont associés à des habitats naturels et semi-naturels spécifiques et sont menacées d’érosion génétique ”, dites “ variétés de conservation ” ;

  • les semences et plants adaptés à la culture biologique ;

  • et les mélanges de variétés ou d’espèces.

Pour ces variétés, les Etats pourront assouplir les conditions d’inscription au catalogue, relatives à l’identification, à la distinction, stabilité, homogénéité, ainsi qu’à la valeur agronomique et technologique. Mais ces conditions impliquent des indications précises concernant la provenance des semences concernées ainsi que la définition de “ restrictions quantitatives appropriées ” pour la commercialisation.

Pour être appliquée, cette directive doit être traduite dans le droit national de chaque Etat. La France ne l’a fait qu’en théorie, avec le décret 2002-458 du 8 avril 2002, qui stipule que “ Des conditions particulières de commercialisation sont fixées, en tant que de besoin, par arrêté du ministre de l’agriculture ” pour ces variétés. Mais tant que les critères d’inscription au catalogue des variétés dites « de conservation » ne sont pas précisés dans le droit français, ce décret n’est pas opérationnel.

La définition de ces “ variétés de conservation ” a fait l’objet d’un premier document de travail de la Commission européenne, mais l’Etat français a saisi le C.P.S. (Comité Permanent des Semences) européen afin qu’il en précise le contenu.

Une variété de conservation n’est pas définie comme une variété issue d’une sélection conservatrice, mais comme une variété indispensable à la conservation et à l’utilisation durable de la biodiversité, quel que soit son mode de sélection ou de multiplication. Il ne s’agit donc pas de se limiter à la conservation de quelques variétés anciennes fixées. Toute variété non inscrite est considérée comme menacée d’érosion génétique et donc susceptible d’être reconnue variété « de conservation » .

La conservation “ in situ ” signifie conservation dans son milieu naturel, donc, pour les plantes cultivées, dans les champs et les fermes par opposition aux conservatoires. Il existe cependant une autre conception beaucoup plus restrictive de ce concept : La conservation doit se dérouler dans la région “ d’origine ”, plutôt dans des conservatoires, voire sous la responsabilité contractualisée de quelques associations sévèrement contrôlées, mais à priori pas dans le champ du paysan réputé incapable de garantir l’intégrité des variétés, et surtout où ce capital pourrait rapidement devenir gratuit pour tous. Cette conception nous semble avant tout se préoccuper de préserver un capital génétique dans lequel les entreprises semencières peuvent puiser pour renouveler leurs créations.

3. Le cas particulier de l’agriculture biologique

3.1. Enjeux de l’échéance de 2004 concernant l’obligation d’utiliser des semences bios

Le règlement européen de l’agriculture biologique (AB) (2092/91, modifié par le règlement 1935/95) oblige l’agriculteur bio à n’utiliser que “ des semences et du matériel de reproduction végétative qui ont été produits selon la méthode de production biologique ” et précise que “ la méthode de production biologique implique que, pour les semences et le matériel de reproduction végétative, la plante mère, dans le cas des semences, et la (ou les) plante(s) parentale(s), dans le cas du matériel de reproduction végétative ”, aient été produites conformément aux règles de l’AB ”.

En d’autres termes, dans son état actuel, la réglementation européenne permet d’affirmer que tout végétal ou fragment de végétal produit et élevé conformément à la réglementation de l’agriculture biologique (graine, matériel de reproduction végétative : tubercule, plant,…) est une “ semence ” biologique. Ceci implique qu’il doit donc être accepté comme utilisable en agriculture biologique quelle que soit son origine (inscrite, fermière, artisanale ou ancienne non inscrite).

Les producteurs bio peuvent par dérogation utiliser des semences “ conventionnelles ” non traitées et produites sans OGM lorsqu’ils peuvent apporter la preuve qu’ils n’ont trouvé sur le marché aucune semence bio de la variété concernée. Vu le manque de disponibilité en semences et plants bio, il est impossible de supprimer cette dérogation, mais c’est aussi le maintien de cette dérogation qui décourage la production de semences bio.

Pour répondre à cette difficulté, la Commission européenne a prévu de revoir les conditions de cette dérogation à partir de 2004. Elle a élaboré une proposition de régime des semences bios, prévoyant dans chaque Etat la mise en place d’une “ base de données ” des semences bio disponibles (avec obligation d’utiliser ces semences) et une liste des dérogations accordées pour des variétés non disponibles (de manière à rendre plus visible et à pouvoir ainsi mieux corriger l’inadéquation offre-demande).

Reste cependant à définir qui va gérer cette base de données ; qui va accorder les dérogations (suivant quels critères ? définis et contrôlés par qui ? ) ; et enfin reste à établir le principe indispensable de la gratuité pour les variétés non inscrites dans le catalogue officiel actuel.

Mais les semences inscrites sur cette base de données doivent aussi satisfaire à la réglementation générale applicable aux semences dans l’Etat membre. A ce jour, seules les semences et plants de variétés inscrites au catalogue officiel ont un statut professionnel légal en France. Ces variétés ont en général été sélectionnées pour une agriculture à fort apport d’intrants et ne sont pas particulièrement adaptées au mode de culture défini dans les cahiers des charges biologiques. C’est pourquoi de nombreux producteurs bio utilisent des variétés locales non inscrites, des variétés anciennes qui ne sont plus inscrites ou qui sont inscrites sur le catalogue amateur ou des variétés non reconnues issues de sélections paysannes. La prise en compte de ces variétés par la nouvelle réglementation bio ne pourra se faire sans une mise en application rapide et non restrictive de la directive 98/95/CE concernant la réglementation générale applicable aux semences.

3.2. Semences bio et toutes semences : quelle future réglementation ?

L’évolution de la réglementation bio se heurte aujourd’hui à la rigidité de la réglementation générale qui, avant même une éventuelle généralisation du brevet sur le vivant, confisque la semence au profit des seuls semenciers. La Coordination Nationale de Défense des Semences Fermières (CNDSF, voir contact) a depuis longtemps fait ce constat.

En regardant ce qui se passe dans les autres pays d’Europe, notamment ceux où le lobby semencier est moins puissant qu’en France, les producteurs bio ont découvert l’existence de la directive 98/95/CE qui peut éventuellement leur permettre de rester ou de redevenir paysans en se réappropriant le droit de sélectionner, de multiplier et d’échanger leurs semences.

Suivant le contenu des arrêtés qui en définiront la mise en application dans chaque état, ce droit sera à nouveau confisqué, maintenu en liberté surveillée ou totalement rendu aux paysans, du moins pour une partie de leurs semences (et plants) qu’on pourra qualifier de non industrielles ou paysannes à défaut du qualificatif “ de conservation ”.

4. Des enjeux de première importance

Le document de travail de la Commission européenne sur la mise en Ĺ“uvre de la directive 98/95/CE met en avant la notion de variétés locales ou régionales adaptées à des habitats naturels ou semi-naturels. Les variétés « de conservation » incluront-elles les variétés adaptées à des systèmes de cultures sans intrants développant une grande variabilité leur permettant de s’adapter à des milieux et conditions diversifiés donc non spécifiquement locales? Ou bien cette notion sera-t-elle réservée aux variétés adaptées à l’agriculture biologique ou aux mélanges dont on définira le statut plus tard ou jamais ?

La directive européenne offre la possibilité de remettre en cause les critères DHS (distinction, homogénéité et stabilité) et VAT (valeur agronomique et technologique) fondés sur une conception “scientiste ” qui voudrait que le vivant, puisse être définitivement prédéterminé, fixé et indéfiniment reproductible à l’identique. Cette conception a été détournée pour faire de la semence en particulier et du vivant en général des marchandises appropriables. Largement contestée par les faits et par de nombreux scientifiques, elle domine pourtant encore tous les “ avis autorisés ”.

Faut-il éviter le débat de fond, se contenter d’assouplir à la marge ces critères DHS et VAT et n’intégrer dans les variétés de conservation que quelques variétés anciennes fixées ou locales semi-sauvages? Faut-il supprimer tout critère et par la même occasion toute loyauté dans le commerce des semences ? Sinon, comment définir la semence sans la réduire à une simple marchandise ? Comment protéger les semences paysannes d’une appropriation et d’un éventuel brevetage (ou dépôt de C.O.V.) par autrui ? Faut-il pour cela les inscrire sur un catalogue des “ semences de conservation ” auquel cas il faudra bien les identifier et les décrire ? Suivant quels critères ? A quel coût ? Qui doit payer ce coût et celui des contrôles ? Le producteur, le consommateur, le contribuable (la semence est-elle un bien privé ou un patrimoine commun) ? Qui gèrera le catalogue de conservation ? Les représentants des agricultures paysannes et biologiques seront-ils associés à sa définition et à sa gestion ?

La directive 98/95/CE permet aussi aux Etats de définir les conditions de mise en culture d’OGM, sur leur territoire, y compris d’OGM autorisés par l’UE. Ces conditions peuvent être plus restrictives que celles définies au niveau européen et concerner par exemple les dangers pour les autres cultures ou les systèmes agraires existants (c’est la cas par exemple pour la loi italienne). Un champ nouveau concernant la lutte contre les OGM s’ouvre là. A nous de nous en emparer.

Quant aux acteurs du débat, il est clair qu’à l’intérieur du monde purement agricolo-agricole français le rapport de force est largement dominé par les semenciers. Les rares représentants des agricultures bio ou paysannes qui sont arrivés à se faire nommer au sein des instances de régulation (CTPS, GEVES ou GNIS) y sont trop minoritaires pour se faire entendre. Ces organismes seront pourtant les seuls à être consultés par l’Etat si personne d’autre ne se manifeste. Cette situation peut s’inverser si nous sommes capables d’élargir le débat. L’évolution des règles de protection de l’obtention végétale (convention UPOV), puis l’apparition des OGM nous ont montré comment le statut juridique et les règles d’échange de la semence conditionnent la qualité de celle-ci. Et c’est bien aussi (peut-être même d’abord) de la qualité de la semence que dépendent la qualité de la nourriture offerte aux consommateurs ainsi que le type d’agriculture, industrielle ou paysanne, qui pourra se développer avec toutes les conséquences sociales et environnementales que cela entraîne. Questions qui ne concernent à priori pas que les paysans et les semenciers, mais aussi tous les acteurs de la société civile, environnementalistes, consommateurs, étudiants…

Le brevet sur le vivant, indissociable des OGM, rendra inefficace cette directive tout autant que la réglementation sur les COV . Grâce à leur puissance financière, une poignée de multinationales peuvent concentrer entre leurs mains d’énormes portefeuilles de brevets : elles sont ainsi assurées de mettre sous dépendance tout autant les petits semenciers européens, qui ne pourront jamais s’acheter que quelques rares brevets, que les paysans qui auront toujours une séquence génétique brevetée qui viendra polluer leur champ contre leur volonté. Ainsi les « petits » semenciers européens qui défendent les règles de l’UPOV feraient mieux de s’allier aux paysans ainsi qu’aux consommateurs, pour défendre un statut de la semence comme patrimoine commun de l’humanité non brevetable et, à côté du COV, une pleine liberté d’échange des semences paysannes passant par une application large et une généralisation des principes de cette directive 98/95/CE.

 

Hélène Zaharia et Guy Kastler

semencepaysanne@wanadoo.fr

Texte présenté lors des 1ères rencontres

« Semences paysannes, cultivons la biodiversité dans les fermes »

Auzeville, 27-28 février 2003