Niveau juridique : Union européenne
La présidence hongroise du Conseil de l’Union européenne a adressé aux délégations nationales un document officieux reprenant les principales questions soulevées par le groupe de travail sur les ressources génétiques et l’innovation dans l’agriculture (Innovation dans l’agriculture) relatives à la proposition de règlement concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques (NTG). Ce document officieux a fait l’objet de commentaires de la part de l’Autriche, de la Belgique, de la République tchèque, du Danemark, de la Finlande, de l’Allemagne, de la Grèce, de l’Irlande, de la Lettonie, de la Lituanie, des Pays-Bas, de la Roumanie, de la Slovaquie, de l’Espagne et de la Suède. Ces commentaires ont été transcrits dans un document adressé par le Secrétariat général du Conseil aux délégations nationales.
Document de la présidence hongroise
Tout d’abord, ce document dénote dans le sens où la présidence hongroise, à rebours de la présidence belge, réinterroge certains points qui semblaient acquis, à l’instar de la catégorisation des nouvelles techniques génomiques - ce qui a provoqué l’ire de l’ancienne présidence espagnole. En adoptant une posture critique, la présidence hongroise s’inscrit dans le sillage du rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). En effet, la position de l’ANSES est bien plus critique à l’égard des plantes issues de nouvelles techniques génomiques (voir fiche veille n°4182) que celle habituellement soutenue par le Gouvernement français, plutôt favorable à ces dernières. Partant, elle rejette l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui tente de répondre succinctement au rapport de l’ANSES (voir fiche veille n°4295).
Surtout, la présidence hongroise du Conseil de l’UE, en donnant la position de la Hongrie sur les NTG dans ce document officieux, donne une tendance pour la suite de la procédure législative concernant la proposition de règlement sur les végétaux obtenus au moyen de certaines NTG. En effet, ce texte, élaboré par la Commission européenne (voir fiche veille n°3985), a été amendé puis adopté sans encombre par le Parlement européen, par deux fois (voir fiche veille n°4160 et fiche veille n°4209). Toutefois, il n’a pas pu être adopté par le Conseil de l’Union européenne, en raison de divergences tant sur la question des brevets pour la Pologne, que sur celle de la coexistence avec l’agriculture biologique pour l’Autriche ou bien encore du respect des compétences étatiques pour la Slovénie. Ainsi, la position du Conseil est, dans cette situation, primordiale, et celle de sa présidence - parce qu’elle organise les travaux du Conseil - déterminante.
Parmi les points abordés, on pourra noter :
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en ce qui concerne les critères d’équivalence entre les plantes NTG et les plantes conventionnelles :
La présidence hongroise remet en cause les critères d’équivalence entre les plantes NTG et conventionnelles. En effet, selon elle, un certain nombre d’Etats membres et de parties prenantes soulignent que, au regard des critères proposés, la distinction entre les deux catégories de NTG ne se fait pas sur la base des caractères résultants et des risques éventuels, mais simplement sur la base du type, de la taille et du nombre de modifications apportées. Ainsi, la base scientifique de la distinction entre les deux catégories de plantes pourrait être remise en question. Or, cette position est celle adoptée par l’ANSES dans son rapport (voir fiche veille n°4182). Ainsi, la présidence hongroise balaye les travaux lapidaires de l’EFSA, postérieurs à ceux de l’ANSES, qui tentent de justifier scientifiquement l’équivalence entre les plantes NTG et conventionnelles (voir fiche veille n°4295).
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sur la question de l’évaluation des risques pour les plantes et produits NTG de catégorie 1 :
La présidence hongroise explique que, si l’un des principaux objectifs de la proposition est de maintenir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, les considérations environnementales relatives aux produits de la catégorie 1 des NTG sont totalement absentes de la proposition. D’autant plus que, selon elle, la proposition de règlement concernant la production et la commercialisation des matériels de reproduction des végétaux (MRV) dans l’Union, qui est censée compléter le règlement sur les NTG, ne répond pas à cette préoccupation. En ce sens, elle reprend une nouvelle fois à son compte les critiques de l’ANSES. Ainsi, elle cherche à élaborer une procédure simplifiée d’évaluation des risques respectueuse du principe de précaution en ce qui concerne les produits NTG de catégorie 1, et s’oppose, par là même, aux Etats membres favorables à leur dérégulation totale. Elle affermit sa position en expliquant qu’une exemption totale du contrôle des plantes et produits issus de NTG de catégorie 1 irait également à l’encontre de l’objectif de durabilité des systèmes agroalimentaires, assigné aux NTG dans la stratégie « de la ferme à la table » du Green Deal européen.
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concernant la prise en compte des espèces sauvages dans le champ d’application de la proposition
La proposition sur les nouvelles techniques génomiques s’applique à l’ensemble des plantes issues de NTG, exception faite des micro-algues. Ainsi, elle couvre non seulement les plantes agricoles, mais également les plantes sauvages. Or, l’utilisation de NTG sur les plantes sauvages pourrait avoir des incidences inattendues sur les écosystèmes. A cet égard, la présidence hongroise relaie l’inquiétude de certains Etats membres et envisage deux options. Soit le champ d’application du règlement se limite aux seules plantes agricoles ; soit il couvre les plantes sauvages issues de NTG et devrait être, le cas échéant, complété par une évaluation approfondie des risques pour l’environnement afin d’éviter des changements irréversibles dans les systèmes écologiques.
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pour ce qui est de l’étiquetage des denrées alimentaires et des aliments pour animaux issus de NTG de catégorie 1
Pour la présidence hongroise, l’étiquetage des plantes et produits NTG de catégorie 1 tout au long de la chaîne de production est essentiel pour garantir la traçabilité, l’information et la liberté de choix des producteurs, des détaillants et des consommateurs. Pour étayer son propos, il convoque la position de l’Autriche qui, non seulement soutient l’étiquetage des semences et du matériel de reproduction NTG de catégorie 1, mais demande également l’étiquetage obligatoire des produits NTG de catégorie 1 tout au long de la chaîne de production des denrées alimentaires et des aliments pour animaux. En effet, comme la production biologique couvre également la production de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux, le non-étiquetage des produits NTG de catégorie 1 sur ces chaînes entraînerait une charge et des coûts supplémentaires pour le secteur biologique.
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à propos de la détection et de l’identification des plantes et des produits issus de NTG
La présidence hongroise considère qu’il est nécessaire de disposer de méthodes de détection et d’identification fiables pour les plantes et les produits NTG afin de garantir la traçabilité, la transparence et le choix éclairé du consommateur. Or, les laboratoires de référence de l’Union européenne, tant pour les OGM que pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, avaient conclu en 2019 à l’impossibilité de différencier un produit NTG spécifique des produits conventionnels contenant la ou les mêmes modifications. L’actualisation de ce rapport en 2023 affinait cette conclusion en expliquant que la distinction ne pouvait se faire par détection analytique. Ainsi, cette méthode devra être complétée par d’autres mesures d’exécution. Il s’agit donc pour la présidence d’un des principaux défis pour tous les États membres et auxquels certains projets tentent déjà de répondre (voir fiche veille n°4241) - des retours d’information de leur part seraient donc utiles.
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au sujet de l’augmentation de la charge administrative pour les Etats membres et les opérateurs
La présidence hongroise fait preuve de cohérence en pointant l’augmentation de la charge administrative pour les Etats membres et les opérateurs, découlant tant de la proposition de règlement sur les MRV (voir fiche veille n°4261) que de celle sur les NTG. Elle expose le dilemme à ce sujet : si une longue procédure administrative pourrait conduire à un report de l’essai en plein champ prévu à l’année suivante, une courte procédure administrative donnerait peu de temps pour vérifier les informations soumises et préparer un rapport scientifique significatif. Ainsi, elle envisage, soit de transférer entièrement la procédure de vérification des essais sur le terrain au niveau européen, soit de mettre en oeuvre une procédure de vérification simple, efficace, harmonisée et uniforme tant pour la dissémination des plantes issues de NTG que pour leur mise sur le marché, afin qu’elle soit accessible notamment aux PME.
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quant à l’habilitation de la Commission à modifier les critères d’équivalence
La présidence hongrois estime que la question de la modification des critères d’équivalence entre les végétaux NTG et conventionnels, par un acte délégué de la Commission, reste ouverte. Selon la Commission, il s’agit d’adapter ces critères au progrès scientifique et technologique, concernant les types et l’étendue des modifications qui peuvent se produire naturellement ou par sélection conventionnelle. Or, la présidence considère, comme la Commission, que les critères d’équivalence, bien que fondés sur la littérature scientifique, sont le résultat d’une décision politique. Ainsi, elle relaie l’inquiétude des Etats membres quant au fait que des critères définis par une décision politique puissent être modifiés au moyen d’un acte délégué sur la base d’un développement scientifique. Selon eux, les critères d’équivalence ne devraient pouvoir être modifiés que par le biais de la procédure législative ordinaire.
Lien vers le document officieux de la présidence hongroise ICI
Commentaires des Etats membres
Suite à la communication de ce document, 15 Etats membres (Autriche, Belgique, République Tchèque, Danemark, Finlande, Allemagne, Grèce, Irlande, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Roumanie, Espagne, Slovaquie et Suède) ont choisi de répondre à la présidence hongroise en lui envoyant leurs observations. Dans l’ensemble, on ne peut pas dire que l’initiative de la présidence hongroise ai été bien reçue. Nombre d’Etat membre lui reproche de revenir sur des points déjà discutés, et estiment qu’il faut repartir du texte de compromis de février.
L’Allemagne fait part des dissensions sur le sujet au sein du gouvement fédéral et se contente d’adresser des questions de clarification à la Commission et à la présidence hongroise.
Seules l’Autriche, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie acceuillent de manière positive l’initiative hongroise, et en profitent pour détailler leurs critiques envers le texte de compromis de février 2024, en particulier sur les critères d’équivalence (et la pertinence même de ces derniers). Ils mettent aussi en avant la nécessité d’une évaluation des risques systématique, d’un étiquetage des produits issus de NTG, la nécessité de se donner les moyens d’avoir des méthodes de détection et d’identification des plantes NTG et, pour certains, remettent en cause les trop grands pouvoirs d’appréciation laissés à la Commission.
A voir si leur poids politique sera suffisant pour faire pencher la balance…
Lien vers les commentaires des Etats membres ICI