Conseil de l’Union européenne, Note du 18 juin 2024, Révision par la présidence du Conseil de l’UE de la proposition de règlement concernant la production et la commercialisation des matériels de reproduction des végétaux dans l’Union, 2023/0227(COD)

Niveau juridique : Union européenne

La présidence belge du Conseil de l’Union européenne a adressé au Conseil « Agriculture et pêche » (AGRIFISH) une note sur l’état d’avancement des discussions concernant la proposition de règlement relative à la production et la commercialisation des matériels de reproduction des végétaux dans l’Union (2023/0227(COD)). Cette note présente les révisions de la proposition de règlement sur les matériels de reproduction des végétaux (MRV) portées par la Présidence belge. Cette dernière s’est efforcée de tenir compte des commentaires techniques formulés par les délégations, à la fois oralement lors des réunions du Groupe de travail sur les ressources génétiques et l’innovation dans l’agriculture, et par écrit lors des consultations écrites. De ce fait, elle ne porte que sur les articles 23 à 43 et 81, ainsi que sur les annexes I-VI, les seuls qui ont été discutés sur le plan technique. Toutefois, elle porte également sur les articles 1 à 22 dans le sens où ils avaient déjà été révisés par la présidence espagnole.

Force est de constater que ce texte s’éloigne substantiellement de la proposition de règlement amendée par le Parlement européen (voir fiche veille n°4210). C’est-à-dire que non seulement la présidence ne révise pas la proposition de la Commission (voir fiche veille n°3984) en un sens favorable à la commercialisation des semences paysannes - à l’instar des amendements adoptés par le Parlement européen - mais encore elle la modifie de manière à entraver leur production et leur diffusion.

  • article 1 : la présidence belge biffe le paragraphe rédigé par la Commission européenne et prévoyant l’établissement de « règles concernant les conditions de culture de certaines variétés qui pourraient avoir des effets agronomiques indésirables, y compris la culture à des fins autres que la production et la commercialisation de MRV, pour la production de denrées alimentaires, d’aliments pour animaux et d’autres produits ». Or, ce paragraphe permettait, d’une part, d’assurer une meilleure intégration des règles spécifiques de production et de commercialisation des MRV dans les règles générales de production alimentaire et agricole ; d’autre part, il permettait d’inclure certaines règles relatives aux nouvelles techniques génomiques (NTG), non incluses dans la proposition de règlement sur les NTG (voir fiche veille n°4160), visant notamment à favoriser leur coexistence avec les autres formes d’agriculture et à réduire leurs conséquences négatives pour la biodiversité et l’environnement. A cet égard, le Parlement ménageait notamment la possibilité pour les Etats membres d’adopter des conditions de culture spécifiques dans les cas où des variétés tolérantes aux herbicides ou ayant des effets agronomiques indésirables seraient cultivées sur leur territoire (article 47 - paragraphe 1 - alinéa 1 - points f et g).

  • article 2 : la présidence belge tend à élargir le champ d’application de la proposition de règlement sur les MRV en excluant seulement les « MRV transférés de toute autre manière, à titre gratuit ou onéreux, entre les utilisateurs non-professionnels pour leur utilisation privée et en dehors de leurs activités commerciales » (paragraphe 4 - point d). C’est-à-dire que tous les MRV vendus tomberaient alors sous le coup de ce règlement, dans le sens où le texte initial excluait « les MRV vendus ou transférés de toute autre manière, à titre gratuit ou onéreux, entre les utilisateurs finaux pour leur utilisation privée et en dehors de leurs activités commerciales ». En outre, elle ne prévoit cette dérogation, non plus pour les échanges entre utilisateurs finaux, mais pour les échanges entre utilisateurs non-professionnels. Or, certains utilisateurs finaux sont des professionnels, à l’instar des acheteurs de semences de couvert qui n’exploitent pas commercialement au sens du droit national le produit de ces semences. Bref, l’objectif est déjà clair : restreindre au maximum la commercialisation, et donc la production des semences paysannes.

  • article 3 : la présidence belge cherche également à étendre le champ d’application de cette proposition de règlement en élargissant la définition de « commercialisation » donnée par la Commission européenne. Alors que pour cette dernière les activités de commercialisation ne peuvent être que le fait des opérateurs professionnels, la présidence supprime la référence aux opérateurs professionnels (paragraphe 3). Ainsi, toutes les personnes privées détenant ou transférant des semences pourraient être soumises à ce règlement. Cet amendement restreint donc la liberté, non seulement des personnes qui conservent des semences, mais également des jardiniers amateurs. En outre, la présidence suggère une définition de l’utilisateur non-professionnel qui se distingue de celle de l’utilisateur final dans le sens où il s’agit d’une personne qui acquiert, transfère et utilise des MRV « pour un usage final » (paragraphe 28). Or, cette définition confuse témoigne, non seulement de l’hésitation de la présidence, mais peut-être aussi de son manque de visibilité sur ce sujet. Enfin, la présidence approfondit la définition d’une variété de conservation (paragraphe 29). Si ce travail permet d’ouvrir, sans le subvertir, le régime dérogatoire qui découle notamment d’une « certaine » - et non plus d’une grande - diversité génétique et phénotypique des variétés, la définition pourrait être élargie pour englober également la sélection individuelle.

  • article 16 : la présidence belge cherche à étendre le champ d’application de l’obligation pour l’opérateur d’étiqueter les MRV afin de faciliter leur identification. Or, cette extension toucherait donc les MRV commercialisés aux utilisateurs non-professionnels, mais aussi par les organisations et réseaux de conservation (paragraphe 2 - point g) et en tant que matériel hétérogène biologique (paragraphe 2 - point f). Or, force est de constater que cet amendement alourdirait la charge administrative de manière disproportionnée dans les trois cas dans le sens où ces régimes dérogatoires de commercialisation se distinguent, soit par la taille moindre de leur marché, soit par les moindres risques sanitaires qu’il encourent. A cet égard, force est de constater la prégnance de cette inquiétude pour les Etats membres. En effet, un certain nombre d’entre eux a souligné l’importance de ne pas alourdir les mesures de contrôle alourdissant la charge administrative et financière pesant sur les opérateurs ainsi que sur l’Etat à l’occasion de l’état des lieux sur le règlement relatif aux MRV. C’est notamment le discours tenu par la Slovénie, l’Estonie, Chypre ou bien encore la Hongrie, à la tête de la présidence du Conseil de l’UE au second semestre 2024.

  • article 27 : la présidence belge a bien approfondi la question du matériel hétéorgène biologique (MHB) afin de favoriser sa conciliation avec le présent règlement. A cet égard, le travail de la présidence est louable. En effet, en considérant que la notification et l’enregistrement du MHB ne doivent se faire qu’avant sa commercialisation - et dans aucun cas avant sa production - elle facilite l’inscription de MHB et ne fait plus peser la nécessité de le concilier avec le règlement sur les MRV qu’au stade de la commercialisation. Force est de constater également le localisme de la présidence, qu’elle concerne les « variétés de conservation » qui sont des variétés « nouvellement sélectionnées localement […] pour s’adapter aux conditions agro-climatiques et aux systèmes agricoles locaux » (article 3 - paragraphe 29) ou bien le matériel hétérogène dont le lieu de sélection doit être notifié en sus du lieu de production (article 27 - paragraphe 5 - point d). A cet égard, il convient de noter la possibilité ménagée par la présidence de commercialiser du matériel hétérogène qui ne soit pas biologique, quand bien même cette possibilité serait limitée à certaines variétés et espèces végétales (article 27 - paragraphe 1a) et interdite pour les autres, à l’instar des légumineuses.

  • article 29 : la présidence belge supprime l’intégration des banques de gènes dans l’article 29 sur la commercialisation auprès des organisations et réseaux de conservation de ressources phytogénétiques. Toutefois, non seulement elle ne prévoit pas la commercialisation de MRV au sein de ces structures mais aussi auprès d’agriculteurs, contrairement au Parlement européen, mais en plus elle limite ce régime dérogatoire aux seules organisations et réseaux « ayant pour objectif statutaire d’assurer la conservation des ressources phytogénétiques » (paragraphe 1). C’est-à-dire que, contrairement à la proposition de la Commission, la simple notification à l’autorité compétente de l’objectif officiel de conservation ne suffit plus à bénéficier de ce régime. Plus encore, la présidence ajoute la nécessité d’apposer une étiquette d’opérateur (paragraphe 1 - point aa), exigence disproportionnée prévue à l’article 16 et réaffirmée ici. De son côté, le Parlement avait tenté de limiter les exigences d’étiquetage en se contentant notamment d’une « description de base de ces MRV, au cas où ils n’appartiendraient pas à une variété enregistrée dans un registre national de variétés visé à l’article 44 » et non plus d’une « description appropriée ». Pour le reste, la présidence revient quelque peu sur les exigences liées à ces MRV qui n’ont plus à bénéficier d’une vigueur et d’une capacité de germination « satisfaisante » (paragraphe 1 - point c).

  • article 30 : le Parlement européen avait amendé cet article crucial en considérant, d’une part, que non seulement les échanges de semences, mais encore ceux de MRV doivent bénéficier d’un régime dérogatoire, et d’autre part que ces échanges peuvent faire l’objet d’une compensation financière. Or, la présidence belge fait fi des travaux du Parlement et conserve la proposition initiale de la Commission qui restreint ce régime dérogatoire aux seuls échanges de « semences en nature » (paragraphe 1). La présidence réaffirme ainsi son objectif de restreindre au maximum la commercialisation, et donc la production de MRV paysans. Pour le reste, la présidence reprend une autre marotte, à savoir le localisme en considérant que ces semences « sont échangées au niveau local, défini par les autorités compétentes » (paragraphe 2 - point ba).

  • articles 41 et 42 : de la même manière, alors que le Parlement européen considère que ni les organisations de conservation, ni les échanges entre paysans ne devraient être soumis aux obligations des opérateurs professionnels produisant des MRV listées à l’article 41 et des obligations de traçabilité listées à l’article 42, la présidence belge ne les en exonère que partiellement. En effet, en qui concerne les obligations des opérateurs professionnels, « les réseaux et organisations participant à la conservation des ressources phytogénétiques visés à l’article 29 ne sont pas soumis aux exigences des points b), d) à f), i) et j) » tandis que « les agriculteurs qui échangent des semences en nature ne sont pas soumis aux exigences des points b), d) à (f), et i)". En outre, la présidence n’exonère pas les micro-entreprises - à l’instar du Parlement - de certaines de ces obligations en la matière : seul « un opérateur professionnel dont les activités relatives aux MRV se limitent à la vente à des utilisateurs non professionnels […] est exempté des obligations énumérées aux points b), d) à f), et i). » Quant aux obligations de traçabilité, elles concernent tous les opérateurs professionnels et ne font l’objet d’aucune dérogation. De telles obligations alimentent la crainte d’un alourdissement de la charge administrative et financière pesant sur ces opérateurs, exprimée par certains Etats membres lors de l’état des lieux sur le règlement relatif aux MRV (voir supra).

Lien vers la note de la présidence belge ICI

Lien vers la proposition en anglais de la présidence belge ICI