Parlement européen, Séance du 24 avril 2024, Résolution législative sur la proposition de règlement concernant la production et la commercialisation des matériels de reproduction des végétaux dans l’Union

Niveau juridique : Union européenne

Le 24 avril 2024, lors de sa séance plénière, le Parlement européen s’est prononcé sur le proposition de règlement concernant la production et la commercialisation des matériels de reproduction des végétaux (MRV) dans l’Union.

I) Remarques générales

Un texte de compromis, qui servira de base aux discussions en trilogue, a été adopté par le Parlement européen. Il entérine presque toutes les propositions de la Commission Agriculture (COMAGRI) favorables à la circulation des MRV (voir fiche veille n°4182). Ainsi, et sans reprendre le détail des amendements adoptés par la COMAGRI, la position du Parlement européen garantit notamment le droit des paysans à échanger entre eux, gratuitement ou non, de petites quantités de matériel de reproduction des végétaux (article 1 et 30). Elle leur garantit également l’accès aux variétés traditionnelles, « de conservation », et allège les contraintes bureaucratiques pesant sur les réseaux de conservation dynamique (article 3 et 29).

Toutefois, si l’article 28 prévoit une dérogation pour les opérateurs professionnels commercialisant des MRV à des utilisateurs finaux, cette dernière est limitée par l’amendement 11. En effet, ce dernier délègue à la Commission européenne le pouvoir « d’établir, pour chaque espèce, la quantité maximale qui peut être échangée ». Surtout, l’amendement 36 de la COMAGRI a été remplacé par l’amendement 353. Or cet amendement est beaucoup moins favorable à la sauvegarde des variétés traditionnelles. En effet, en soumettant le transfert de variétés menacées en vue de leur conservation au présent règlement, le Parlement européen limite l’usage de cette exception aux seules organisations de conservation reconnues.

En outre, certains amendements posent question, notamment ceux qui mentionnent la diversité. En effet, on ne compte que deux acceptions de la biodiversité. La première figure à l’amendement 4 sous sa forme consacrée (« biodiversité »). Toutefois, cet amendement pose simplement les objectifs poursuivis par le règlement sous la forme d’une déclaration de principes (d’un « considérant ») qui, à ce titre, n’emporte pas de valeur juridique contraignante. La seconde figure sous sa forme longue (diversité biologique) à l’amendement 354. Or, elle est incluse dans la définition de la « conservation dynamique » qui, à ce titre, n’offre l’accès qu’à un régime dérogatoire, par essence limité.

La rareté des mentions de la biodiversité est d’autant plus inquiétante que, d’une part, les autres références à la diversité sont « génétiques » et que, d’autre part, le concept même de biodiversité est dégradé par sa transformation en « agrobiodiversité ». L’on peut parler de dégradation dans le sens où l’agrobiodiversité, qui n’est pas un concept juridique, se distingue de la biodiversité par le rétrécissement de la focale (seulement agricole) dans un schéma plus utilitariste (visant surtout l’amélioration de l’alimentation).

Or, ces références sont juridiquement contraignantes, qu’elles concernent la diversité génétique (amendement 57) ou l’agrobiodiversité (amendement 354). En outre, l’agrobiologie figure dans cet amendement au titre de l’objectif poursuivi par la « conservation dynamique ». Surtout, elle remplace la diversité biologique en tant qu’objectif positif poursuivi. Ainsi, la diversité biologique n’y figure plus que comme une limite aux potentielles dérives de la « préservation de la diversité génétique », qui ne doit pas conduire « au déclin à long terme de la diversité biologique » (amendement 354).

Enfin, si l’amendement 189 prévoit un mécanisme de sauvegarde efficace pour les OGM ("par dérogation au premier alinéa, en cas de non-respect des exigences en matière de refuge ou d’autres exigences imposées à la culture de variétés contenant des organismes génétiquement modifiés ou consistant en de tels organismes, les mesures restreignant ou interdisant la commercialisation du MRV concerné sont mises en place jusqu’à ce que la conformité totale soit rétablie"), force est de constater qu’aucune disposition similaire ne s’applique aux nouvelles techniques génomiques (voir fiche veille n°4160).

Toutefois, le Parlement européen valide l’amendement de la COMAGRI soulignant que « le matériel hétérogène ne devrait pas consister en un OGM ou en une plante NTG de catégorie 1 ou de catégorie 2 telle que définie par le règlement (UE) …/….[règlement relatif aux NTG] » (considérant 38 bis). Il ne s’agit toutefois que d’une déclaration de principe, figurant dans les considérants et par conséquent non contraignant.

La position du Parlement porte, non seulement des enjeux conceptuels forts, mais aussi des conséquences concrètes globalement plus favorables à la circulation des matériels de reproduction des végétaux que les dispositions originelles de la Commission europénne (voir fiche veille n°3984).

II) Focus sur les contributions concrètes du Parlement européen

1) Dérogations

  • Le Parlement européen étend le champ des MRV exclus de l’application de ce règlement. En effet, alors que la Comission européenne excluait, entre autres, « les MRV vendus ou transférés de toute autre manière, à titre gratuit ou onéreux, entre les utilisateurs finaux pour leur utilisation privée et en dehors de leurs activités commerciales », le Parlement européen l’élargit en y adjoignant « la recherche au sein de l’exploitation agricole et les activités menées par les banques de gènes » (article 2 - paragraphe 2 - point e).

  • Si, dans la proposition de la Commission européenne, la production et la commercialisation de MRV auprès d’un utilisateur final peut se faire de manière dérogatoire, le Parlement européen étend cette exception en élargissant la définition d’utilisateur final. En effet, il considère qu’un utilisateur final inclut « toute personne qui acquiert, transfère et utilise des MRV à des fins autres que ses activités professionnelles principales » (article 3 - alinéa 1 - point 28) alors que la Commission européenne se contentait de « toute personne qui acquiert, transfère et utilise des MRV à des fins autres que ses activités professionnelles ». Or, la distinction introduite par le Parlement entre activité professionnelle principale et secondaire est plus floue que la distinction entre activité professionnelle et amateure retenue par la Commission. Ainsi, cet élargissement de la définition d’utilisateur final est d’autant plus important qu’il peut être interprété de manière extensive.

  • Plus généralement, le Parlement européen justifie ces dérogations par la circonscription plus précise de la définition de la commercialisation. En effet, alors que la Commission englobait dans la commercialisation « tout autre mode de transfert ou de distribution à l’intérieur de l’Union ou d’importation dans l’Union » - y compris donc les transferts gratuits - le Parlement cantonne cette définition aux seuls modes de transfert ou de distribution « en vue d’une exploitation commerciale des MRV » (article 3 - alinéa 1 - point 3) : la seule production de MRV n’est donc plus le critère d’application de la réglementation. Pour le reste, et à l’instar de la Commission, les actions commerciales doivent être menées par un opérateur professionnel.

2) Conservation

  • La définition de la variété de conservation retenue par le Parlement européen est plus large que celle de la Commission. Il s’agit désormais d’une variété « cultivée traditionnellement (variété locale) ou nouvellement obtenue (variété locale moderne) issue d’une sélection à la ferme ou cultivée en vue de son adaptation aux conditions locales dans le contexte de l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture », qui « n’est pas une variété hybride F1 » - mais qui peut donc être une variété OGM ou issue des NTG - et qui est « caractérisée par une diversité génétique et phénotypique satisfaisante entre les différentes unités reproductives » (article 3 - alinéa 1 - point 29). Plus encore, son enregistrement « est gratuit pour le demandeur » (article 53 - paragraphe 1 - alinéa 1 bis) et en cas de rejet de l’enregistrement par l’autorité compétente, cette dernière doit indiquer « les raisons qui justifient ce rejet » (article 53 - paragraphe 2 - alinéa 2).

  • Le Parlement européen, non seulement introduit le concept de conservation dynamique, mais il en donne également une définition. Elle est définie comme « la préservation de la diversité génétique au sein des espèces végétales cultivées et entre celles-ci, et qui comprend à la fois la conservation in situ et la conservation ex situ, dans la perspective d’une utilisation durable des ressources phytogénétiques et de l’agrobiodiversité d’une manière et à un rythme qui ne conduisent pas au déclin à long terme de la diversité biologique, conservant ainsi le potentiel pour répondre aux besoins et aux aspirations des générations actuelles et futures » (article 3 - alinéa 1 - point 35 bis). Sans préjudice des analyses précédentes sur ce concept, force est de constater que cette définition est large dans le sens où elle comprend conservation in situ et ex situ. Or, cette définition est importante car elle emporte un régime juridique dérogatoire qui exempte les MRV mis en circulation dans les réseaux de conservation du respect des règles de commercialisation.

  • En ce qui concerne le régime dérogatoire pour les banques de gènes prévu à l’article 29, le Parlement européen approfondit la proposition de la Commission européenne. En effet, la Commission prévoyait que le régime dérogatoire s’applique à la commercialisation des MRV « aux banques de gènes, organisations et réseaux, et entre ceux-ci », mais aussi « aux personnes qui assurent la conservation de ces MRV en tant que consommateurs finaux, à des fins non lucratives » (article 29). Or, le Parlement élargit le champ d’application de cette dérogation à la commercialisation au sein des organisations et réseaux voués à la conservation dynamique, mais aussi à des agriculteurs à des fins agricoles.

  • Les organisations de conservation ne sont pas soumises aux obligations des opérateurs professionnels produisant des MRV listées à l’article 41 et des obligations de traçabilité listées à l’article 42 comme l’indiquent l’article 41 - paragraphe 1 ter et l’article 42 - paragraphe 3 bis.

3) Echanges

  • Sur ce point, le Parlement européen a entériné la proposition de la COMAGRI. Ainsi, l’article 30 élargit les possibilités d’échanges entre agriculteurs à tous les MRV (et pas seulement aux semences), avec la possibilité d’une compensation financière. Toutefois, cet élargissement reste limité à l’échelle européenne pour les semences dans le sens où la Commission détermine les quantités qui peuvent être échangées. A cet égard, le texte adopté précise que la quantité maximale pouvant être échangée est fixée par la Commission en fonction, non seulement « des besoins des petits agriculteurs professionnels », mais aussi « des risques phytosanitaires, dans le respect du développement et du maintien de systèmes d’exploitation diversifiés ». Qui plus est, les règles sanitaires applicables sont celles relatives aux semences qui sont plus contraignantes que les règles phytosanitaires pour la production alimentaire. Cet élargissement demeure également entravé par la législation nationale pour les plantes dans le sens où il n’est toujours pas possible de vendre des plants de variétés non inscrites au Catalogue officiel.

  • Les échanges entre paysans ne sont pas soumis aux obligations des opérateurs professionnels produisant des MRV listées à l’article 41 et des obligations de traçabilité listées à l’article 42 comme l’indiquent l’article 41 - paragraphe 1 ter et l’article 42 - paragraphe 3 bis.

4) Utilisateurs finaux

  • Le Parlement européen a voté la suppression de la disposition donnant à la Commission le pouvoir d’adopter, « au moyen d’actes d’exécution, des règles concernant les exigences en matière de taille, de format, de fermeture et de manutention des petits emballages visés au paragraphe 1, point d) » (article 28). La Commission ne pourrait donc plus revenir a posteriori sur la définition quantitative des petits emballages. Or, la commercialisation de semences aux utilisateurs finaux n’est possible qu’en petits emballages. Ainsi, la commercialisation de semences aux utilisateurs finaux pourrait se faire pour des quantités maximales de :

« a) 10 kg pour les céréales ;

b) 5 kg pour les plantes fourragères, betteraves fourragères et plantes oléagineuses et à fibres ;

c) 10 kg pour les plants de pommes de terre ;

d) 500 g pour les légumineuses ;

e) 100 g pour les oignons, cerfeuil, asperges, poirée, betteraves rouges, navets de printemps, navets d’automne, melons d’eau, potirons, courgettes, carottes, radis, scorsonères, épinards, mâches ;

f) 20 g pour les autres espèces de légumes ;

g) 10 individus pour les boutures de fruitier et de vigne. » (article 3 - alinéa 1 - point 35 quinquies)

  • L’opérateur professionnel qui utilise cette dérogation, s’il doit notifier « annuellement cette activité à l’autorité compétente », n’a plus à indiquer « les espèces et les quantités concernées » (article 28 - paragraphe 1 - alinéa 2).

5) Microentreprises

Les microentreprises sont exemptées de certaines obligations des opérateurs professionnels produisant des MRV listées à l’article 41. En effet, elles n’ont, ni à relever et surveiller « les points critiques du processus de production, ou de la commercialisation, qui peuvent avoir des répercussions sur l’identité et la qualité des MRV » (point d), ni à conserver « dans un dossier les données relatives à la surveillance des points critiques visés au point b) » et à les mettre « à disposition pour consultation à la demande des autorités compétentes ». En revanche, elles sont soumises aux obligations de traçabilité listées à l’article 42.

6) Etats membres

Dans les cas où des variétés tolérantes aux herbicides, ou des variétés ayant des effets agronomiques indésirables sont cultivées sur leur territoire, les États membres peuvent adopter des conditions de culture spécifiques (article 47 - paragraphe 1 - alinéa 1 - points f et g).

7) Valeur culturale et d’utilisation durable

Pour le Parlement européen, « l’examen de la valeur culturale et d’utilisation durable est rendu possible pour les espèces inscrites à l’annexe I, parties B et C, sur une base volontaire » (article 52 - paragraphe 1 bis) et non obligatoire comme le prévoyait la Commission européenne.

Lien vers la résolution adoptée ICI

Lien vers la fiche de suivi de procédure ICI