Niveau juridique : Union européenne
Suite à la publication de l’étude d’impact sur les options de l’Union pour mettre à jour la législation existante sur la production et la commercialisation du matériel de reproduction des plantes en avril 2021, une période de consultation du public a été ouverte. Du 15 juin au 13 juillet 2021, des réactions à l’étude pouvaient être déposées par tout un chacun sur le site de la Commission. (Pour un résumé des propositions de l’étude d’impact voir la fiche veille dédiée ou les actualités juridiques d’avril-mai 2021).
66 contributions ont été postées sur la page dédiée, de la part d’acteurs aussi divers que des organisations de protection de la biodiversité cultivée (Arche de Noah, Réseau Meuse Rhin Moselle, Peliti,Pro Specie Rara, Rete Semi Rurali…), que des organisations de défense des paysan.ne.s (Via campesina) ou de l’agriculture biologique ou biodynamique (IFOAM UE, Demeter), des entreprises vendant des semences (Semailles, Kokopelli…), des sélectionneurs conventionnels ou bio (Rijk Zwaan) ou encore des organisations syndicales représentatives des industries de la semence (Semae, UFS, Euroseeds, Plantum…).
Du côté des défenseur.e.s de la biodiversité cultivée, les positions sont sensiblement concordantes. L’ensemble des acteur.trice.s apprécient les possibilités offertes par l’option 2, en particulier celle de limiter le champs d’application des directives aux seules transactions entre professionnels. Cependant, ils sont aussi tous d’accord pour affirmer que cette option n’est qu’une base de travail, et ne va pas assez loin.
Plus spécifiquement, il.elles saluent la reconnaissance du travail des « réseaux de conservation de semences » (« seed savers networks ») et de leurs spécificités. L’exclusion du champ d’application de la législation la vente aux jardinier.e.s amateur.e.s, la création de régimes juridiques distincts pour les activités de protection de la biodiversité cultivée et pour l’agriculture industrielle fait partie des points forts de la proposition, de même que l’adaptation des critères DHS et VATE pour l’enregistrement des variétés biologiques et le soutien à la création variétale adaptée à l’agriculture biologique. Toutefois, la séparation entre les deux systèmes ne doit pas empêcher les professionnels de continuer à utiliser ces variétés.
Si la proposition de créer un cadre spécifique pour l’échange de semences entre paysan.ne.s est aussi soulignée, les différentes contributions insistent sur le fait que cette dernière ne doit pas, comme dans la proposition actuelle, être conditionnée par l’appartenance à une quelconque structure. Cette proposition s’inscrit pour eux dans la droite ligne de l’application du TIRPAA et de l’UNDROP. L’introduction d’un critère de durabilité est plutôt bien accueillie. Cependant, le caractère pour l’instant flou de ce terme pose question : il ne doit pas être un frein au développement de systèmes semenciers locaux.
Du côté des points négatifs, l’accent mis sur la productivité et la compétitivité du système semencier européen est dénoncé, et ce d’autant plus que le texte le relie à l’appui au développement de ces fameuses « nouvelles techniques de sélection » (NBT) que sont Crisper Cas-9 et autre édition de génome… Plusieurs (Demeter, Via Campesina…) insistent sur la nécessité de garantir la transparence sur les méthodes de sélection. De même, les différent.e.s acteur.trice.s, en particulier ceux qui vendent des semences (Semailles, Kokopelli…), s’inquiètent de l’impact de la « modernisation » envisagée sur les PME, en particulier l’introduction des techniques bio-moléculaires dans l’évaluation DHS et l’intégration au règlement contrôle (ie le passage à un système d’auto-contrôles sous contrôles officiels). Enfin, quelques contributions alertent sur les impacts potentiels de la future législation sur les pays tiers, en particulier les pays en voie de développement.
Certains vont même jusqu’à demander l’étude d’une proposition plus radicale : la fin de l’interdiction de commercialiser des variétés non inscrites, ie, la fin du Catalogue officiel, comme proposée par l’avocate générale Kokott lors du procès de la CJUE « Association Kokopelli vs Graines Baumaux SAS » en 2012.
En ce qui concerne les acteur.trice.s de l’agriculture conventionnelle, les positions sont plus contrastées.
Pour Semae, les deux piliers de la réglementation actuelle, à savoir l’enregistrement des variétés commercialisables avec les critères DHS et les procédures de contrôle officiel et de certification des semences doivent être préservés. Cependant, l’interprofession ne soutien aucune des options proposée dans l’étude d’impact. Pour elle, « [i]l n’est pas opportun, ni possible, d’établir selon les modèles agricoles (biologique, local, traditionnel, conventionnel…) des réglementations différenciées en matière d’accès aux variétés. En outre, il n’est pas possible non plus de d’assurer une segmentation effective des circuits de production et de distribution entre les marchés « amateur » et « professionnel ». »
Sans surprise, la position de l’Union française des semenciers (UFS) rejoint celle de Semae. L’union souligne elle aussi l’importance de l’inscription des variétés et le contrôle et la certification des semences et ne soutient non plus aucune des options proposées. Elle estime que ces dernières présente une « segmentation exacerbée […] des modèles agricoles et [que] l’opposition retranscrite de l’agriculture biologique vs l’agriculture conventionnelle, du marché des amateurs vs celui des professionnels […] ne correspond nullement à la réalité des pratiques et [que] les échanges entre ces divers modes sont bien plus importants qu’indiqués. » Elle désapprouve aussi la possibilité d’ouvrir les échanges entre agriculteurs, y voyant « le risque d’une réglementation à deux vitesses loin d’aller dans le sens de la simplification et de la proportionnalité annoncée ».
Pour l’organisation interprofessionnelle européenne Euroseeds la législation actuelle a été et reste très efficace pour assurer la compétitivité de l’agriculture européenne et sa durabilité. Par conséquent, ses principales caractéristiques (DHS, certification des semences, exigences phytosanitaires) doivent être préservées. L’organisation est bien entedu pour une « amélioration » du cadre juridique, pour prendre en compte « les derniers développements technologiques » (ie, les NBT), accélérer les processus et réduire les coûts. Elle se prononce donc aussi à demi-mots pour l’introduction des techniques bio-moléculaires dans l’évaluation des variétés et le passage à un système d’auto-contrôles sous contrôle officiel.
La posture de la Copa-Cogeca (rassemblement des organisations et coopératives agricoles européennes) est plus originale. Dans l’ensemble, elle trouve que la réglementation actuelle est efficace et doit être maintenue dans ses grandes lignes. Si elle estime que l’identification par outils bio-moléculaire peut être un outil supplémentaire pour accélérer la sélection, elle ne peut remplacer les observations phénotypiques, seules observables au champ. Elle insiste aussi sur la nécessité d’une accessibilité pour les agriculteurs et consommateurs des informations sur l’utilisation des NBT, dans le respect toutefois du droit des obtenteurs à conserver des informations confidentielles. Elle soutient aussila simplification de l’enregistrement des variétés amateurs et de conservation, mais estime que les échanges en nature doivent être encadrés (afin notamment de ne pas échapper aux règles phytosanitaires) et que l’échange de semences de ferme entre agriculteur.rice.s (ie variétés protégées par un COV) doit être en principe interdit. Concernant le matériel hétérogène, cette possibilité doit rester restreinte au seul secteur de l’agriculture biologique. Enfin, si elle approuve le principe des contrôles basés sur le risque et la nécessité de réduire la charge administrative des contrôles, elle souligne que le secteur privé doit être impliqué dans la définition de tous les aspects liés à la mise en œuvre des contrôles officiels et se prononce contre l’intégration au règlement sur les contrôles officiels.
Plantum, l’interprofession néerlandaise du secteur de la semence trouve la réglementation actuelle adaptée et qu’elle a permis « l’émergence d’un système semencier divers et compétitif ». Pour elle, les directives sur le matériel de reproduction ne sont pas un outil pour atteindre les objectifs de la stratégie « De la ferme à la fourchette » et celle sur la biodiversité. L’imposition d’un critère de durabilité pourrait diminuer les possibilités d’introduire de nouvelles variétés sur le marché. L’association souligne que les exigences doivent rester différenciées selon les espèces. L’accès au marché pour les « nouvelles » cultures et les produits destinés à des marchés de niche doit être facilité, avec une définition fine de ce qu’est un « marché de niche ». Plantum n’est pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle les variétés pour la culture biologique « doivent être caractérisées par un niveau élevé de diversité génétique et phénotypique entre les unités individuelles ».Pour elle, des variétés uniformes bien sélectionnées peuvent être cultivées de manière excellente dans des conditions biologiques et la diversité ne conduit pas automatiquement à une plus grande résilience dans la culture. Enfin, si l’organisation soutient l’objectif de limiter les coûts pour les autorités et les utilisateurs (opérateurs) et de poursuivre la cohérence de la mise en œuvre des règles au sein de l’UE, elle ne pense pas que l’application du règlement sur les contrôles officiels y contribuera nécessairement. Cette dernière pourrait au contraire entraver les objectifs de flexibilité, les directives actuelles offrant une certaine flexibilité pour être interprétées en fonction des besoins régionaux, du climat, etc. ce que ne permet pas le règlement sur les contrôles officiels.
La Bundesverband Deutscher Pflanzenzüchter (BDP – association des sélectionneurs allemands) est quant à elle très favorable à l’établissement de ces principes sous la forme d’une réglementation juridique uniformément contraignante et directement applicable à tous les États membres de l’Europe. La certification des variétés (par le Catalogue) et celle des semences doivent rester obligatoire et assurés par l’État. L’association remet en cause la pertinence de l’introduction d’un critère de durabilité : pour elle, ce dernier est déjà pris en compte dans les examens actuels, en particulier pour ce qui est de la VATE, où les variétés sont testées pour leur résistance aux changements climatiques, aux facteurs de stress biotiques et abiotiques, la sécurité des rendements… La législation actuelle garantit également selon elle l’égalité des chances pour tous les concurrents sur le marché : seule l’innovation et la qualité des variétés d’un acteur déterminent son succès, d’où l’importance de préserver ces examens officiels.
Pour les anciennes variétés, les exigences minimales qui s’appliquent déjà à l’enregistrement ne doivent pas être encore simplifiées ou adoucies par la révision du droit européen des semences. Enfin, les derniers développement numériques en matière de sélection végétale doivent être encouragés. Pour conclure, « BDP appelle à rester fidèle aux principes éprouvés du droit des semences ».
Pour le semencier conventionnel néerlandais Rijk Zwann, la réglementation actuelle est satisfaisante et les deux piliers que sont l’identité et la qualité doivent rester la base de la législation. Le semencier est favorable de meilleures définitions des termes (en particulier celui de « commercialisation »), pour garantir une application uniforme du droit dans l’ensemble de l’UE, seule à même d’assurer une « concurrence loyale » entre les opérateurs d’une même culture. De même, il s’oppose à une réglementation différente pour les semences ou variétés destinées à l’agriculture biologique.
S’il y a cependant bien un point sur lequel toutes et tous se retrouve, c’est la nécessité de garder un texte séparé pour la matériel de reproduction forestier.
Retrouver l’ensemble des contributions ICI
Pour aller plus loin : retrouver la réaction du conseil de l’UE dans la fiche n° 3442, celle des députés européens membre de la Commission agriculture et développement rural dans la fiche n°3491.