Commission européenne, Acte délégué sur la production et la commercialisation de matériel de reproduction de matériel hétérogène biologique, version finale du projet d’acte arrêtée le 30 octobre 2020

Niveau juridique : Union européenne

La Commission européenne a enfin arrêté la version finale du projet d’acte délégué sur la production et la commercialisation de « matériel de reproduction » (plants, boutures, semences) de « matériel hétérogène biologique ». Cette nouvelle catégorie juridique était définie aux articles 3 et 13 du nouveau règlement sur l’agriculture biologique n°2018/848 (voir synthèse des actualités juridiques avril-mai 2018). Mais les législateurs européens (Parlement et Conseil des Ministres de l’UE) avaient confié à la Commission européenne le soin de préciser le régime juridique relatif au « MHB », et à son « matériel de reproduction ». L’élaboration de cet acte délégué a nécessité de longues discussions entre la DG Santé, la DG Agri de la Commission et le Groupe d’experts sur la production biologique commposé de représentants mandatés par les États membres. Le projet de texte a donc été remanié plusieurs fois depuis le premier brouillon de 2019 (pour revenir sur les évolutions des différentes moutures, voir la fiche veille n°2904 et la fiche ville n°2965, ainsi que les synthèses des actualités juridiques janvier-février 2020 et mars-avril 2020).

Court rappel sur la définition du matériel hétérogène biologique et les enjeux liés à son régime juridique.

Il s’agit d’une nouvelle catégorie juridique créée initialement dans l’optique d’élargir l’offre commerciale à destination des agriculteurs bio, en leur donnant accès à des semences de populations plus hétérogènes et ne respectant pas la définition de « variété végétale » au sens du droit européen (varété DHS). Le nouveau règlement bio décrit en effet le « MHB » comme étant « caractérisé par un haut niveau de diversité phénotypique et génétique entre les plantes ». De ce fait, les semences de « MHB » peuvent être commercialisées sans passer par la procédure d’inscription au Catalogue officiel des variétés, et sans respecter les critères DHS (Distinctivité - Homogénéité - Stabilité). Le matériel hétérogène bénéficie donc d’un régime juridique spécifique, qui a été précisé dans l’acte délégué arrêté le 30 octobre. Si le RSP s’intéresse à cette nouvelle catégorie, c’est que de nombreux collectifs s’interrogent sur les possibilités d’investir ce nouveau cadre légal afin de faciliter la commercialisation des semences paysannes. Une hypothèse qui questionne fortement les membres du Réseau (voir sur le sujet deux notes publiées par le RSP sur cette question : ICI et ICI). C’est en tout cas du contenu de l’acte délégué sur le matériel hétérogène biologique que dépend l’intérêt de cette catégorie juridique pour les semences paysannes et la biodiversité cultivée.

Quelles sont les nouveautés apportées par cette nouvelle version de l’acte délégué, par rapport aux moutures précédentes ?

Les principes contenus dans cette version finale ne diffèrent que peu des versions antérieures. Elle précise les mêmes éléments :

  • Description du « matériel hétérogène biologique ».

  • Exigences concernant la qualité sanitaire, la pureté analytique et la germination du matériel végétal hétérogène organique de reproduction.

  • Exigences concernant l’emballage et l’étiquetage des matériels de reproduction de plantes hétérogènes organiques.

  • Exigences concernant les informations à conserver par les opérateurs.

  • Contrôles officiels.

  • Maintenance de la matière organique hétérogène, si possible.

De nombreux freins persistent encore et font douter de l’ouverture d’un tel régime aux paysan.ne.s et semencier.ière.s artisanaux bio : les normes industrielles de production de semences et les règles sanitaires restent applicables… Mais la nouvelle mouture du texte contient aussi certains assouplissements plutôt positifs. Analysons ces évolutions l’une après l’autre.

1) Description plus stricte du « matériel hétérogène biologique ».

Pour pouvoir commercialiser du « matériel de reproduction » de « MHB », nul besoin d’enregistrer la variété au Catalogue. Il suffit de notifier un dossier à l’autorité nationale compétente. Celui-ci doit comprendre une description détaillée du « matériel ». La nouvelle mouture précise et modifie le contenu de cette description :

a) Caractérisation du critère d’hétérogénéité.

La nouvelle mouture apporte enfin un éclaircissement sur le mode d’établissement de hétérogénéité (jusqu’alors, le projet d’acte ne précisait pas comment cette condition était vérifiée). On apprend donc que la description de l’hétérogénéité du matériel doit se faire en caractérisant la diversité phénotypique observable entre les différentes unités de reproduction.

b) Obligation de décrire les méthodes d’obtention du « MHB ».

Il sera obligatoire de préciser la méthode par laquelle le « MHB » a été obtenu. Dans les versions de l’acte précédentes, l’obtenteur n’y était contraint que lorsque la description des méthodes était « possible ». Cette modification est à saluer, car cela constitue une première barrière face aux assauts de l’industrie semencière, qui aurait pu trop facilement utiliser le régime du « MHB » pour mettre sur le marché des semences de variétés encore instables obtenues à partir de nouvelles techniques de sélection génétiques (NBT). Reste que le degré de protection aurait été bien plus élevé si la Commission européenne avait exclu expressément les NBT de la liste des méthodes d’obtention identifiées pour le « MHB ».

c) Obligation de décrire les pratiques de gestion et de sélection réalisées in situ.

Ici encore, cette obligation se trouve systématisée, alors que dans les versions précédentes, l’obtenteur ne devait préciser ces éléments que si cela lui était « possible ».

d) Obligation de préciser le « matériel parental ».

De la même manière, le « matériel parental » doit désormais toujours être précisé dans le dossier de notification du « MHB ». Il s’agit là d’un frein à la possibilité de commercialiser des semences paysannes, puisque la sélection massale en plein champs rend difficile - voire impossible - l’identification précise du lignage et des « parents » de la population végétale.

e) Modifications dans la liste des méthodes d’obtention du « MHB ».

Ne peut être considéré comme des « MHB » que le matériel obtenu à partir de trois types de méthodes limitativement listées par l’acte délégué. Dans cette dernière version du texte, les trois catégories restent identiques, mais des nuances substantielles sont apportées :

  • Le « MHB » peut être créé par croisement de plusieurs types différents de matériel parental, « à condition que ce matériel présente un niveau élevé de diversité génétique ». La condition est ici assouplie. En effet, la version du texte arrêtée au 20/01/2020 parlait de « croisement jusqu’à ce que les plantes du matériel parental original ne soient plus présentes », et celles du 05/03/2020 allait même jusqu’à fixer une condition temporelle : les croisements auraient dû être menée « pendant au moins trois ans pour les cultures annuelles et cinq ans pour les cultures bisannuelles/pérennes ».

  • Le « MHB » peut aussi être obtenu à partir de pratiques de sélection ou maintien de matériel à la ferme. Ici aussi, les anciennes versions prévoyaient un critère chronologique, qui a été supprimé (elles exigaient que ces pratiques de sélection et de gestion soient menées depuis « au moins six générations et jusqu’à plusieurs décennies »).

  • Enfin, le « MHB » peut être obtenu par « toute autre technique, en tenant compte des caractéristiques particulières de la propagation ». Cette formulation est elle aussi nouvelle, puisque la version antérieure du texte était rédigée de la sorte : « toute autre technique qui respecte les principes biologiques, et notamment la capacité naturelle de reproduction et les barrières naturelles de franchissement ».

En résumé, les deux premières sous-catégories semblent accessibles aux artisan.ne.s semencier.ière.s, voire aux agriculteur.trice.s, et ce d’autant plus qu’elles ont été assouplies dans la version finale du texte, en supprimant les contraintes temporelles et chronologiques. Néanmoins, la troisième sous-catégorie reste ambigüe. Le risque persiste que l’industrie semencière s’en empare pour mettre sur le marché des « OGM cachés ».

2) Taux de germination des semences de MHB.

Le projet d’acte délégué rappelle que la réglementation européenne en matière de santé des plantes s’applique aux semences de MHB, ce qui constituera une contrainte majeure pour les artisans semenciers et les agriculteurs qui souhaitent commercialiser du MHB (obligation d’enregistrement de l’opérateur, traçabilité, passeport phytosanitaire).

Les directives européennes relatives à la commercialisation des semences s’appliquent également en ce qui concerne les obligations de pureté spécifique et de taux de germination. Mais la Commission a introduit dans ce nouveau texte une nouveauté majeure à ce sujet : elle admet la possibilité de commercialiser des semences de MHB avec un taux de germination inférieur aux standards, à condition que ce taux soit inscrit sur l’étiquette ou directement sur l’emballage.

3) Emballage et étiquetage : nouveau graphisme et régime dérogatoire pour les petits contenants :

a) Changement du visuel graphique.

L’étiquette destinée à identifier et différencier le « matériel de reproduction » de « MHB » ne sera pas jaune avec une ligne diagonale rose, comme prévu initialement, mais jaune avec une croix verte.

b) Création d’un régime dérogatoire pour les petits emballages.

Il s’agit d’un réel assouplissement du régime, qui n’était pas prévu par les anciennes moutures du texte. Dans la limite d’une certaine quantité de semences de « MHB » (fixée à l’Annexe II de l’acte, par exemple 30 kg pour les céréales ; 10 kg pour les plantes fourragères, 5 kg pour les légumineuses et entre 0,1 et 0,5 kg pour les semences de légumes), la commercialisation des semences bénéficient de règles spécifiques si elle se fait à travers des petits emballages transparents :

  • L’étiquette peut être placée à l’intérieur du paquet, pour peu qu’elle soit lisible.

  • Tant que les semences sont dans un contenant fermé et étiqueté, il n’est pas obligatoire que l’emballage soit marqué et scellé.

  • Il n’est pas obligatoire d’afficher sur l’étiquette la dénomination du MHB, ni le numéro de référence du lot, ni le poids net ou brut, ni le nombre de semences contenues (à condition que, sur demande, l’acheteur puisse recueillir ces informations par écrit lors de la livraison).

4) Assouplissement des obligations du vendeur de semences de MHB en terme de traçabilité.

La Commission allège les obligations qui pèsent sur le vendeur en terme de traçabilité. Il ne doit conserver pendant cinq ans que les informations relatives à ses fournisseurs (et non plus à ses clients, comme prévu auparavant, ce qui semblait difficile à mettre en pratique).

5) Pas d’obligation systématique de maintenance du « MHB » pour l’obtenteur.

La maintenance du « MHB », si elle n’est pas facultative, ne devient obligatoire pour l’opérateur qui a notifié le matériel, que si elle est « possible ». La nouvelle version introduit donc une nuance, qui pourrait faciliter l’utilisation de la catégorie juridique des « MHB » pour commercialiser des semences paysannes. Mais le terme « possible » est sujet à de nombreuses interprétation. Espérons qu’en soit faite une lecture souple, car l’idée d’un maintien du « matériel » à l’identique est contradictoire avec la nature même des populations végétales paysannes, dont l’intérêt est d’évoluer perpétuellement dans une dynamique plante-homme-environnement.

Et maintenant, quelle suite ? Procédure de consultation, et application de l’acte délégué.

La Commission européenne a lancé, le 30 octobre 2020, une consultation publique sur son site web. Celle-ci se déroule jusqu’au 27 novembre 2020 et permet à toute personne intéressée d’envoyer une contribution et d’exprimer un avis sur cette dernière version de l’acte délégué en matière de « MHB » (concrètement, le formulaire permet l’envoi d’un paragraphe de texte rédigé). Les consultations déposées apparaissent ensuite sur le site de la Commission (avec possibilité de les anonymiser). L’accès au formulaire de consultation publique est disponible ICI.

Ce n’est qu’après ,la clôture de cette phase de consultation que l’acte délégué sera définitivement fixé et adopté (après de possibles modifications, qui seront sûrement mineures). Il a vocation à s’appliquer à compter du 01 janvier 2022, tout comme le nouveau règlement Bio 2018/848 (l’application a en effet été différée d’une année, voir la fiche veille n°3141).

Lien vers la version finale de l’acte délégué ICI, et vers les annexes ICI.