[PROMULGUEE le 24/12/2020] Loi de programmation de la recherche : le Gouvernement peut désormais légiférer par voie d’ordonnance sur diverses thématiques : évaluation des risques en matière d’OGM ; dissolution du Haut conseil des biotechnologies ; culture des variétés rendues tolérantes aux herbicides

Niveau juridique : France

Le 22 juillet 2020, le Gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale un projet de loi de programmation de la recherche pour 2021-2030. A la lecture de cet intitulé, le contenu de ce texte est pour le moins surprenant, et notamment son article 22. Celui-ci prévoit en effet que le pouvoir exécutif est habilité à légiférer par voie d’ordonnance dans différents domaines normalement réservés à la loi : la procédure d’évaluation des risques en matière d’OGM, l’avenir du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) et la traçabilité et l’utilisation des VrTH. Focus sur ces différents points, et sur les objectifs (plus ou moins ouvertement assumés) du Gouvernement.

1) Simplifier la procédure applicable aux utilisations confinées de risque nul ou négligeable d’OGM.

L’étude d’impact associée au projet de loi affirme que « les dispositions actuelles concernant les utilisations confinées de risque nul ou négligeable d’OGM constituent une contrainte forte pour les déposants et entraînent des démarches pour l’administration qui ne sont pas prévues par le droit de l’Union. Actuellement,le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) envoie un récépissé pour chaque déclaration d’utilisation confinée de risque nul ou négligeable déposée et transmet systématiquement le dossier au Haut conseil des biotechnologies (HCB) pour information. Concernant les applications de recherche, développement ou enseignement, ces déclarations d’utilisation de risque nul ou négligeable représentent les deux tiers des dossiers traités, soit 720 déclarations en 2018. Il est dès lors envisagé de simplifier la procédure afin de diminuer les démarches administratives à effectuer par les chercheurs des établissements demandeurs. La nécessité de légiférer est renforcée suite à l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne du 25 juillet 2018 sur les techniques de mutagénèse, affaire C-528/16, qui en semblant considérer les techniques d’édition génomique ou de mutagénèse comme des OGM, les inclut dans le champ d’application de la directive n° 2009/41/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés. En allant au-delà de ce qu’exige la directive, la réglementation française actuelle pourrait conduire à un engorgement administratif si le champ d’application était élargi, puisqu’un plus grand nombre de dossiers serait déposé. » Le Gouvernement envisage donc ouvertement d’aligner « strictement les dispositions du code de l’environnement sur les exigences de la directive 2009/41/CE relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés (OGM), pour les utilisations de risque nul ou négligeable (classe 1). Les établissements utilisant ces OGM ne déclareraient plus chaque utilisation mais tiendraient à disposition leur évaluation de risque justifiant le niveau de confinement mis en œuvre. Les autres utilisations d’OGM en milieu confiné resteraient soumises à déclaration ou agrément comme actuellement. »

2) Redéfinir les modalités selon lesquelles les avis et recommandations relatifs aux biotechnologies sont élaborés.

L’étude d’impact poursuit : « Si la qualité de l’expertise rendue par les membres du HCB est indiscutable, les conditions dans lesquelles ces avis et décisions sont rendues pourraient être améliorées. La dématérialisation des dossiers est encore partielle et n’autorise pas leur circulation fluide et parfaitement sécurisée. De nombreuses étapes de traitement des dossiers ou de transcription des avis et décisions relèvent encore d’une simple transposition informatique du traitement de dossiers « papier » qui ne permet notamment pas de tracer et de conserver, sans intervention d’un secrétariat, les échanges entre les experts. Pour la manipulation d’OGM en milieu confiné, le ministère de l’enseignement supérieur,de la recherche et de l’innovation s’appuie d’une part sur l’avis, rendu par les experts, mais également sur la description des locaux et des procédures fournie par le déclarant. Sans que la sincérité de cette description soit mise en doute, elle ne fournit pas une approche qualitative et dynamique des installations et des procédures de certification extérieure pourraient être envisagées. Ces points constituent autant de pistes qu’il conviendra d’exploiter avec les utilisateurs dans un souci d’amélioration du service qui leur est rendu en terme de qualité et d’efficacité, de sécurisation des processus, notamment en terme de traçabilité, et enfin d’un meilleur suivi de l’évolution des pratiques et des expérimentations conduites sur le territoire national. »

En réalité, le Gouvernement entend dissoudre le HCB fin 2021, et mettre en place un nouveau régime à compter du 01 janvier 2022. Par voie d’ordonnance, il entérinerait une séparation des différentes évaluation scientifiques, éthiques, économiques et sociales, aujourd’hui construites de manière plus ou moins conjointes et équilibrées au sein du HCB. Il y aurait désormais 4 volets d’évaluation distincts et indépendants :

  • L’évaluation des risques environnementaux et sanitaires des OGM disséminés dans l’environnement serait confiée à l’ANSES.

  • L’évaluation de l’impact économique et social de l’utilisation des OGM serait faite par le Conseil économique, social et environnemental (CESE).

  • L’avis sur les considérations d’ordre éthique serait élaboré par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

  • L’évaluation des OGM en milieu confiné serait désormais entièrement réalisée par le seul Ministère de la Recherche.

Le Gouvernement affirme que son objectif est de « consolider l’indépendance et la qualité de l’expertise scientifique ». Il semble évident que l’évaluation s’en trouvera fortement déséquilibrée, au profit de considérations purement scientifiques. Et que dire d’une dissociation complète entre problématiques scientifiques, éthiques et sociales ? Les avis seront désormais élaborées de manière hermétique, rendant impossible la compréhension des enjeux globaux autour de la question des OGM.

Voir, sur ce point, le communiqué de presse de la Confédération paysanne du 20 novembre 2020.

ACTUALISATION DU 05/01/2020 : Voir ICI le décret prolongeant le mandat des membres du HCB jusqu’au 31/12/2021, publié le 26/12/2020.

3) Prévoir les modalités de traçabilité et les conditions de l’utilisation des semences des VrTH et des produits issus.

L’étude d’impact, toujours, précise qu’au « regard des risques identifiés par plusieurs études, et suivant les recommandations formulées par l’Anses dans son avis du 26 novembre 2019, l’instauration d’un suivi des cultures de variétés rendues tolérantes aux herbicides (VTH) a été jugée nécessaire par le Conseil d’État, dans le cadre d’une mise en œuvre proportionnée du principe de précaution (CE du 7 février 2020 n° 388649). Le 4° permettra des modifications législatives du code rural et de la pêche maritime, du code de la consommation et du code de l’environnement auxquelles la mise en place d’un suivi des cultures de variétés rendues tolérantes aux herbicides et des produits issus est subordonnée. ».

Le Gouvernement prévoit donc d’adopter une ordonnance pour fixer des règles de traçabilité et d’utilisation des semences VrTH. Celle-ci viendrait s’ajouter aux trois projets d’actes réglementaires notifiés à la Commission européenne le 6 mai dernier et qui n’ont toujours pas été adoptés (un décret et deux arrêtés prévoyant que les variétés issues de techniques de mutagenèse aléatoire in vitro associée à la culture in vitro de cellules végétales doivent désormais être soumises à la réglementation OGM et listant les variétés devant être radiées du Catalogue officiel français). Des actes que le Conseil d’État (dans l’arrêt du 07 février 2020) lui avait pourtant enjoint d’adopter avant le 9 novembre 2020 (pour plus de détails, voir la synthèse des actualités juridiques août-septembre 2020).

A ce propos, le Ministère de la Transition écologique a affirmé, lors d’une réunion avec différentes organisations militantes et associatives (la Confédération paysanne, la FNAB, Green Peace, France Nature Environnement, les Amis de la Terre et l’Union nationale de l’apiculture française, lesquelles ont signifié leur opposition à ce projet de loi), mardi 27 octobre 2020, qu’une consultation publique serait d’abord lancée, avant d’adopter le décret « mutagenèse ». Un bon moyen pour le Gouvernement de gagner du temps ? (pour un retour sur l’affaire VrTH et ses enjeux, voir la synthèse des actualités juridiques de janvier-février 2020).

Qu’implique une réglementation par voie d’ordonnance sur ces différents sujets ?

Le Gouvernement pourrait donc légiférer sur ces sujets, alors qu’ils relèvent en principe de la compétence législative de l’Assemblée nationale et du Sénat. Selon la procédure décrite à l’article 38 de la Constitution française, le Conseil des Ministres, après avis du Conseil d’État, pourrait adopter des ordonnances, qui entreraient en vigueur dès leur publication. Pour garder leur force normative dans le temps, il faudrait ensuite que le Parlement les ratifie en votant une « loi de ratification », sans quoi les dispositions contenues dans les textes deviendraient caduques.

Le recours à cette procédure n’est pas anodine. Elle est moins respectueuse du processus démocratique, car elle cantonne le Parlement à un rôle de chambre d’enregistrement, et ne laisse que peu de place au débat. De nombreux députés ont pourtant alerté sur ce point : le groupe Les Républicains, les socialistes et la Gauche démocrate et républicaine ont tous déposé des amendements afin de supprimer l’article 22 du projet de loi, en considérant que les thématiques des OGM et VrTH sont bien trop politiques et sensibles pour brider tout débat démocratique au sein du Parlement, d’autant plus que ces dispositions excèdent le sujet premier du projet de loi, accès sur la programmation de la recherche. Ces propositions d’amendements ont toutes été rejetés…

Où en est-on dans le processus législatif ?

Le Gouvernement a engagé, dès le 22 juillet 2020 la procédure accélérée pour amener les deux chambres du Parlement à se prononcer rapidement sur le projet de loi de programmation de la recherche. Saisi en amont, le Conseil d’État a rendu, le 9 juillet 2020, un avis favorable sur le projet. Il considère que les dispositions de l’article 22 du texte, habilitant le Gouvernement à adopter ces ordonnances « n’appellent pas d’objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel ni d’autres remarques ». Suite aux votes favorables de l’Assemblée nationale, le 23 septembre 2020, et du Sénat, le 30 octobre 2020, une Commission mixte paritaire composée de députés et de sénateurs travaille en ce moment sur l’élaboration d’un texte définitif. L’article 22, lui, ne sera cependant pas modifié…

Lien vers le dossier législatif complet sur la loi de programmation de la recherche 2021-2030 disponible ICI.

POUR ACTUALISATION au 05/01/2020 : voir la fiche veille n°3257.