Niveau juridique : Union européenne
Le 7 février 2023, la Cour de Justice de l’Union européenne a statué sur le renvoi préjudiciel fait par le Conseil d’État le 8 novembre 2022, dans l’affaire des variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH).
Rappel du contexte
En 2015, la Confédération paysanne et huit autres associations (dont le Réseau Semences Paysannes), ont déposé un recours devant le Conseil d’État français pour lui demander, entre autre, d’abroger l’article D.531-2 du Code de l’environnement, transposant la directive 2001/18, qui exclut la mutagénèse de la définition des techniques donnant lieu à des OGM, et à interdire la culture et la commercialisation de variétés de colza rendues tolérantes aux herbicides obtenues par mutagénèse. Incertain sur l’interprétation du droit de l’Union, le Conseil d’État a adressé une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), qui a répondu par l’arrêt du 25 juillet 2018. Dans ce dernier, elle pose clairement que seuls devaient être exemptés de la réglementation OGM les organismes obtenus au moyen de techniques de mutagénèse traditionnellement utilisées et dont la sécurité est avérée depuis longtemps.
Fort de cette réponse, le Conseil d’État, a estimé, dans sa décision du 7 février 2020, que les organismes obtenus au moyen de techniques qui se sont principalement développées postérieurement à la date d’adoption de la directive devaient donc être inclus dans le champ d’application de celle-ci (et donc soumis à évaluation et autorisation préalable, étiquetage et traçabilité). Pour les juges français, autant les techniques de mutagénèse dirigée (ou dites « d’édition du génome ») que celles de mutagénèse aléatoire in vitro étaient concernées. Ils ont donc enjoint à l’État français de modifier sa législation pour soumettre les organismes issus de ces méthodes à la réglementation relative aux OGM. Pour ce faire, le Gouvernement a présenté trois projets de textes réglementaires visant à préciser la liste des techniques de mutagenèse exemptées de la réglementation OGM et d’identifier au sein de Catalogue officiel les variétés qui ont été obtenues par des techniques de mutagenèse développées postérieurement à la directive 2001/18 et devant donc en être radiées.
Ces projets de textes ont été notifiés à la Commission européenne, laquelle a estimé qu’il ne lui semblait pas justifié de distinguer entre la mutagenèse aléatoire in vivo et mutagénèse aléatoire in vitro. Les propositions ont donc tourné court, et, ne voyant toujours rien venir, le 12 octobre 2020, les neufs requérants ont lancé un recours en exécution devant le Conseil d’État. Ce dernier a à nouveau saisi la CJUE de questions préjudicielles. En effet, malgré la première réponse des juges européen, deux approches s’opposent encore pour déterminer quelles techniques de mutagénèse constituent des techniques traditionnellement utilisées et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. Faut-il ne tenir compte que du processus par lequel le matériel a été modifié ? Ou faut-il prendre en considération l’ensemble des incidences sur l’organisme du procédé utilisé, y compris celles susceptibles de produire des variations somaclonales ? En effet, si le Haut Conseil des biotechnologies estime que le processus de réparation de l’ADN est le même, que la technique soit effectuée in vitro ou in vivo, il reconnaît que la culture in vitro impliquerait une plus grande fréquence des variations génétiques et épigénétiques (les fameuses variations somaclonales) que lorsque la mutation est spontanée.
Décision
Dans cette décision, la CJUE commence par rappeler que la directive 2001/18 (et notamment son article 3, paragraphe 1, en cause ici), doit être interprétée en tenant compte non seulement de ses termes, mais aussi de son contexte et des objectifs de la réglementation : la protection de la santé humaine et environnementale. De ce fait, elle estime qu’il est justifié d’exclure de l’application de l’exemption prévue par la directive les organismes produits par une technique de mutagénèse qui comprend une ou plusieurs caractéristiques distinctes de celle d’une technique de mutagénèse répondant au double critère de l’utilisation traditionnelle et de la sécurité avérée, mais uniquement s’il est établi que ces caractéristiques sont susceptibles d’entraîner des modifications du matériel génétique de l’organisme concerné différentes, par leur nature ou par le rythme auquel elle se produisent, de celles qui résultent de l’application d’une méthode de mutagenèse « d’utilisation traditionnelle » et à la « sécurité avérée ».
Or, la Cour estime que ce n’est pas le cas de l’application in vitro d’une technique de mutagenèse initialement utilisée in vivo. Pour justifier cette position, elle se base sur le fait que le législateur de l’Union n’a pas estimé que les modifications génétiques inhérentes aux cultures in vitro (variations somaclonales) justifiaient que ces organismes constituaient nécessairement des OGM. De plus, dans la directive 2001/18, la fécondation in vitro n’est considérée comme une technique produisant des OGM réglementés que lorsqu’elle implique l’emploi de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM. De la même façon, la fusion cellulaire est exclue du champ d’application de la directive, alors même que cette fusion cellulaire est nécessairement appliquée sur des cellules in vitro isolées…
En bref, la Cour estime que les effets inhérents aux cultures in vitro, ne justifient pas, en tant que tels, une différence de traitement entre les techniques de mutagénèse.
Il s’agit donc d’une décision en demi-teinte, car, si les juges européens y estime que la seule transposition in vitro d’une méthode utilisée in vivo ne lui fait pas perdre ses caractéristiques « d’utilisation traditionnelle » et de « sécurité avérée », d’autres circonstances le peuvent. Les juges reconnaissent même que « la dissémination dans l’environnement ou la mise sur le marché, sans avoir mené à bien une procédure d’évaluation des risques, d’organismes obtenus au moyen d’une technique/méthode de mutagenèse présentant des caractéristiques distinctes de celles d’une technique/méthode de mutagenèse traditionnellement utilisée pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps est susceptible, dans certains cas, d’impliquer des effets négatifs, le cas échéant irréversibles et affectant plusieurs États membres, sur la santé humaine et l’environnement, même lorsque ces caractéristiques ne tiennent pas aux modalités de modification, par l’agent mutagène, du matériel génétique de l’organisme concerné. » (§ 54 de l’arrêt). Dans un contexte où l’on s’interroge sur le statut de toutes ces nouvelles techniques « d’édition du génome », dont celui de la mutagénèse ciblée et de la cisgénèse et où l’on attend le projet de texte de la Commission sur le sujet, les juges européens semblent eux-aussi, vouloir donner leur avis…
Les réactions ne se sont pas faites attendre : si la Confédération paysanne ou d’autres organisations de protection de l’environnement dénoncent ces conclusions et y voient « un boulevard pour un déferlement massif d’OGM non identifiés » , l’industrie semencière salue elle, une « décision rassurante ».
Reste à attendre la décision du Conseil d’État, chargé de tirer les conséquences pratiques de cette décision, pour mettre fin à cette affaire qui dure depuis 8 ans…
Lien vers la décision de la CJUE ICI
Communiqué de presse de la CJUE ICI
Revue de presse
Communiqué de presse de la Confédération paysanne
Communiqué de presse de l’Union française des semenciers
Article dans Actu-environnement
Article du Monde »La justice européenne offre une victoire à l’indutrie des biotechnologies végétales »
Article du Figaro »La justice européenne déçoit les anti-OGM »
Article de Ouest-France »Pourquoi la justice européenne hérisse les anti-OGM »