CE 3ème et 8ème chambres réunies, 8 novembre 2021, n° 451264, Arrêt rendu suite au référé exécution du 12 octobre 2020 concernant la décision du Conseil d’État du 7 février 2020

Niveau juridique : France

Cet arrêt a été rendu dans l’affaire des variétés tolérantes aux herbicides (VRTH) suite à la requête en non-exécution par l’État français de la décision du Conseil d’Etat du 7 février 2020 déposé par les requérants* à l’arrêt le 13 octobre 2020. Ces derniers demandait au juge administratif de contraindre le Gouvernement français - sous astreinte - à respecter les différentes injonctions faites à ce dernier dans l’arrêt du 7 février 2020. (Pour plus de détails sur cette décision, voir ICI).

Dans cette décision du 8 novembre 2021, le Conseil d’État constate l’absence d’exécution de l’injonction faite au Gouvernement

  • de fixer la liste limitative des techniques de mutagénèse « traditionnellement utilisées (…) et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » (et donc exemptée de la réglementation OGM)

  • et d’identifier, au sein du Catalogue officiel des variétés, celles qui ont été obtenues par des techniques de mutagénèse développées postérieurement à l’adoption de la directive 2001/18, et qui auraient donc dû être soumises aux obligations applicables aux OGM (traçabilité, étiquetage…).

Besoin de nouvelles précisions de la part de la CJUE pour le CE.

Si le Gouvernement français a bien élaboré un projet de décret pour modifier la liste des des techniques d’obtention d’organismes génétiquement modifiés ayant fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement, il n’a pas encore été adopté. Le Gouvernement a en effet choisi de notifier ce dernier à la Commission européenne. Cette dernière, a estimé dans son avis circonstancié que les dispositions de ce projet étaient contraires au droit européen (notamment la directive 2001/18/CE sur les OGM). Il y a donc conflit sur l’interprétation du droit entre le Conseil d’État (dans sa décision du 7 février 2020) et celle de la Commission.

C’est pourquoi le CE renvoi à la CJUE pour question préjudicielle, l’épineuse question de savoir si pour déterminer les techniques de mutagénèse traditionnellement utilisées, il convient de prendre en compte le processus par lequel le matériel génétique est modifié (position de la Commission européenne) ou l’ensemble des incidences sur l’organisme du procédé utilisé, qu’elles soient dues à l’agent mutagène ou à la méthode de reconstitution de la plante (position du CE dans la décision du 7 février 2020).

Il demande aussi à la CJUE de trancher si, pour distinguer parmi les techniques/méthodes de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps (ie qui doivent être exemptée de la réglementation OGM), il convient de ne considérer que les modalités selon lesquelles l’agent mutagène modifie le matériel génétique de l’organisme ou s’il faut prendre en compte l’ensemble des variations de l’organisme induites par le procédé employé, y compris les variations somaclonales, susceptibles d’affecter la santé humaine et l’environnement.

Et, en raison des « risques particuliers pour la santé humaine et l’environnement que la présente affaire met en jeu » et de l’ « importante controverse qui implique la Commission européenne et un nombre significatif d’Etats membres et concerne, au-delà, l’ensemble des Etats membres », les juges demandent à la CJUE se statuer en urgence.

Des délais et astreintes renouvelés pour amener l’Etat à agir.

Le CE constate aussi l’inaction de l’État à prendre des mesures pour évaluer les risques liés aux variétés rendues tolérantes aux herbicides. Il lui laisse encore trois mois pour agir, et condamne ce dernier à une astreinte de 100 000 € par semestre de retard à compter de l’expiration de ce délai.

De même, après avoir confirmé que l’État n’avait pas exécuté l’injonction qui lui avait été faite par l’arrêt du 7 février 2020 à mettre en œuvre la procédure prévue par l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, pour être autorisé à prescrire des conditions de culture appropriées pour les VRTH issues de la mutagénèse utilisées en France, il condamne ce dernier à agir en ce sens dans les 3 mois, et le condamne, à défaut, à une astreinte 500 euros par jour de retard à compter du lendemain de l’expiration de ce délai.

 

Si le Conseil d’Etat accède donc à la plupart des demandes des requérants, confirmant ainsi encore une fois leur légitimité, entre les nouveaux délais accordés et les questions renvoyées à la CJUE, l’affaire n’est pas prête de se terminer…

 

 

* Il s’agit des neufs organisations paysannes parties prenantes au recours VrTH (Amis de la Terre, Confédération Paysanne, CSFV 49, OGM-dangers, Nature et Progrès, Réseau Semences Paysannes, vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OGM 33, Vigilance OG2M).

Lien vers la décision sur le site du Conseil d’État ICI

Lien vers le communiqué de presse de la Confédération paysanne ICI

Pour un rappel du contexte et des conclusions de l’arrêt du Conseil d’État du 7 février 2020 voir la synthèse des actualités juridiques janvier-février 2020.