Niveau juridique : Union européenne
Nouvel épisode dans le feuilleton du recours contre les variétés rendues tolérantes aux herbicides : les conclusions de l’avocat général sur le second renvoi préjudiciel.
Rappelez-vous, en novembre 2021, le Conseil d’État, sollicité par les requérants pour statuer sur la non-exécution par le Gouvernement français des injonctions qui lui avaient été faites dans l’arrêt du 7 février 2020, avait décidé de poser à nouveau des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), pour clarifier le champ d’application exact de la réglementation OGM. Plus précisément, il demande à la CJUE d’une part de trancher si, pour distinguer parmi les techniques de mutagénèse qui sont exemptées de la réglementation, il convient de ne considérer que les modalités selon lesquelles l’agent mutagène modifie le matériel génétique ou s’il faut prendre en compte l’ensemble des variations de l’organisme induits par le procédé employé, y compris les variations somaclonales, susceptibles d’affecter la santé humaine et l’environnement (question portant sur le caractère des variations induites). D’autre part, il interroge la CJUE pour savoir si, pour déterminer si a été traditionnellement utilisée et si sa sécurité est avérée depuis longtemps, il faut prendre en compte uniquement les cultures de plein champ des organismes obtenus par cette technique, ou s’il est également possible de prendre en compte les travaux et publications de recherche ne se rapportant pas à ces cultures et s’ils ne faut considérer que ceux qui portent sur les risques pour la santé humaine et environnementale.
En effet, lors de la notification des projets de texte français visant à modifier la liste des techniques d’obtention d’organismes génétiquement modifiés ayant fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement (et relevant donc de l’annexe I B de la directive 2001-18) et à supprimer du Catalogue officiel des variétés issues de mutagenèse aléatoire in vitro, la Commission européenne avait estimé que rien ne justifiait une distinction entre mutagenèse in vitro et in vivo.
Dans ses conclusions, l’avocat général Szpunar estime que, pour pouvoir apporter une réponse au litige opposant les requérants et l’État français, et assurer une application uniforme des dispositions de la directive 2001/18 en cause, il convient d’aller plus loin. Selon lui, la question à trancher est celle de savoir si la mutagenèse aléatoire in vitro relève des exemptions à la réglementation OGM énumérées dans l’annexe IB de la directive 2001-18, car c’est précisément sur cette méthode que porte le litige.
Selon lui, l’application des critères tirés du premier arrêt de la CJUE pour statuer sur l’exclusion de certaines méthodes du champ d’application de la directive 2001/18, à savoir le fait que la technique a été traditionnellement utilisée avant l’adoption de la directive et que sa sécurité soit avérée depuis longtemps, peut donner des résultats divergents selon l’organisme considéré. Or, cela conduirai à des risques de confusion concernant le champ d’application de la directive 2002/18 et, de ce fait, porterai atteinte à l’uniformité de l’interprétation du droit de l’Union.
L’Avocat général estime que l’appréciation du caractère des variations induites dans l’organisme et du caractère des données scientifiques n’est pertinent que pour l’évaluation de la sécurité d’un organisme génétiquement modifié concret, et non pas dans le cadre de l’évaluation de la sécurité d’une technique ou méthode de modification génétique. On retrouve ici l’approche basée sur le produit, mainte et mainte fois mise en avant par les promoteur.rice.s des OGM : ce n’est pas la méthode qui compte, mais le résultat, peut importe comment on l’a obtenu…
M.Szpunar passe d’ailleurs une bonne partie de son argumentaire à reprendre à son compte les conclusions du rapport de l’EFSA du 29 septembre 2021 et de l’avis du comité scientifique du HCB du 29 juin 2020, qui estiment que les mutations induites par la mutagénèse aléatoire in vitro ne sont pas différentes de celles obtenues par mutagenèse in vivo, ou même de celles résultant de mutations spontanées. Pour lui, « il découle clairement de l’avis [du HCB] et du rapport EFSA que la mutagenèse aléatoire in vivo et la mutagenèse aléatoire in vitro sont non pas deux techniques de modification génétique distinctes, mais la même technique, à savoir la mutagenèse aléatoire induite, qui peut être appliquée à divers types de matériels, tels que les organismes entiers ou des parties d’organisme, les tissus, le cal, les cellules ou les protoplastes. », dès lors, il convient de les traiter de la même manière, et de les exclure toutes deux du champ d’application de la réglementation OGM.
Pour justifier sa position, l’Avocat général évoque aussi les difficultés pratiques que poseraient des décisions de suppression des variétés issues de mutagénèse aléatoire in vitro du Catalogue officiel des variétés, « [d]ans la mesure où les traits caractéristiques de ces variétés sont semblables à ceux des variétés issues de la mutagenèse aléatoire in vivo, voire des mutations spontanées ».
Dans leur communiqué de presse, les requérants dénoncent cette approche réductrice, qui prend ne prend pas en considération la plante entière, dans son histoire et son développement, mais la résume à une somme d’informations génétiques.
Anticipant certainement la critique, l’Avocat général tient cependant à prendre la peine de souligner que l’exclusion de ces variétés ne les soustrait pas à tout contrôle puisque « les législations sur les espèces et les variétés végétales, sur l’utilisation des pesticides, sur la sécurité des aliments, etc., continuent de s’appliquer. ». Quand on voit leurs effets jusqu’ici, voilà de quoi nous rassurer…
Lien vers les conclusions de l’avocat général ICI
Lien vers le communiqué de presse de la CJUE ICI
Lien vers le communiqué de presse des requérants ICI