Niveau juridique : France
Quatre ans après la promulgation de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le 08 août 2016, la Section environnement du CESE dresse un premier bilan de son application. Dans un avis adopté le 23 septembre 2020, elle constate la poursuite du déclin de la biodiversité en France (avis adopté avec 191 voix pour 2 voix contre 7 abstentions).
Elle déplore également que la palette d’outils mise en place par la loi biodiversité soit restée lettre morte, ou du moins sous-investie (séquence Eviter-Réduire-Compenser ; Obligation réelles environnementales etc.), et notamment le « mécanisme d’accès aux ressources génétiques et de partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation de ces ressources » (APA). La France s’était pourtant engagée, en signant le Protocole de Nagoya (ratifié par l’article 46 de la loi biodiversité), à créer un dispositif législatif complet relatif à l’APA.
Avis du CESE sur la mise en place du dispositif APA (extrait) :
« Comme le soulignaient déjà les auteurs du rapport parlementaire de juin 2018, «le dispositif, susceptible de constituer une avancée remarquable, voire une ‘’révolution’’, pour la biodiversité est à ce stade plus virtuel que concret».Pour le régime général de l’APA, le CESE constate que les outils nécessaires aux procédures de déclaration et autorisation (formulaires CERFA et téléservices) sont désormais disponibles. Entre le 17 mai 2017 (date du début des enregistrements) et le 16 janvier 2020, 272 récépissés de déclaration ont été enregistrés, dont beaucoup en Guyane mais aussi en France métropolitaine par exemple pour des études génétiques sur des espèces sauvages à des fins de connaissance ou encore des activités de R&D. Les déclarants sont aujourd’hui majoritairement des organismes de recherche publics (CNRS, MNHN, Ifremer, Universités, etc.), quelquefois étrangers (Chine, Brésil, Allemagne, etc.).Toutefois, sur cette période, aucun permis d’exploiter ne paraît avoir été enregistré alors qu’il est probable que des projets à finalité commerciale ont conduit des entreprises, françaises ou étrangères, à prélever des ressources génétiques sur le territoire français. A fortiori, il ne semble pas non plus qu’il y ait eu des cas de permis de prélèvement ou de partage de ressources avec les fournisseurs que sont les communautés d’habitants de Guyane et de Wallis-et-Futuna (aux termes de la loi, cette dernière n’est fournisseur que pour les connaissances traditionnelles associées qu’elles détiennent). Déjà peu effectif, ce dispositif a été entamé par l’exclusion du régime APA des micro-organismes de France métropolitaine à titre expérimental et pour 3 ans. Cette exemption, prévue par la loi dite «Pacte» du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, a été justifiée par la préservation de l’innovation, de la compétitivité et le risque de délocalisation de l’activité de recherche et développement. Afin de rendre possible l’évaluation de cette expérimentation, les entreprises devront toutefois fournir des indications sur les utilisations faites des micro-organismes. Pour les régimes spécifiques, la mise en œuvre de l’APA est encore plus compromise. Ils devaient être mis en place, selon les cas, par les ordonnances prévues à l’article 45 de la loi ou par décrets et arrêtés. Or ces textes n’ont pas été pris. Au total, le dispositif APA reste presqu’entièrement formel. Son application se heurte:
-
à la volonté de ne pas augmenter les coûts d’accès aux ressources génétiques pour l’innovation, la compétitivité des entreprises et la localisation des activités de R&D;
-
aux souhaits de ne pas entourer les besoins de prélèvements génétiques pour la recherche de formalités trop contraignantes;
-
au flou de la notion de «connaissances traditionnelles des communautés d’habitants concernées»;
-
à la circonstance que les communautés (autochtones ou non) ne sont pas reconnues en vertu du principe d’indivisibilité du peuple français.
Les dispositifs similaires au niveau mondial ne donnent pas lieu à davantage d’applications. Ainsi, selon le président de la FRB, «les échanges relatifs au partage juste et équitable des avantages n’auraient portés que sur quelques milliers ou dizaines de milliers d’euros à l’échelle mondiale». Le CESE constate qu’il n’a pas été possible de connaître au cours des auditions les ressources apportées par la gestion de l’APA en France, ni de connaître larépartition éventuelle des ressources issues de l’APA entre les différents acteurs : État, OFB, collectivités territoriales, communautés, etc. Il y a un réel enjeu démocratique à rendre plus transparent le dispositif de l’APA et sa mise en œuvre, tant au niveau national que mondial. »
Préconisations du CESE pour la mise en oeuvre du dispositif APA (extrait) :
« À ce jour, le mécanisme de l’APA n’est presque pas appliqué. Il pourrait pourtant constituer un outil efficace de protection de la biodiversité. En effet, la France est un des principaux pays fournisseurs de ressources génétiques et de connaissances traditionnelles associées. Les territoires d’outre-mer, du fait de leur situation géographique, et surtout quand ils sont insulaires, sont particulièrement riches en biodiversité endémique. Le contexte de développement des biotechnologies est porteur pour la valorisation de ces ressources qui n’ont potentiellement pas de substitut direct. C’est pourquoi le CESE préconise de développer, par le mécanisme de l’APA, l’accès payant aux ressources génétiques afin de financer la protection de la biodiversité dans les territoires dont elles sont issues. Les fonds potentiellement collectés par l’OFB (chargé de la gestion de l’APA) pourraient être redistribués à l’agence régionale du territoire d’où proviennent la ressource ou les connaissances associées. Cet apport supplémentaire existerait sans préjudice des financements de droit commun liés à la protection et à la reconquête de la biodiversité. Redistribuer directement à des «communautés d’habitants» porterait atteinte au principe constitutionnel d’indivisibilité du peuple français et serait inapplicable faute de pouvoir définir lesdites communautés et leurs représentants. À l’inverse, affecter la ressource au budget général de l’État ou même à d’autres territoires ne serait pas conforme à la loi qui pose une forme de fléchage vers le territoire d’où provient la valorisation.
Parallèlement, les ministères concernés sont appelés à poursuivre leur travail afin de constituer une «doctrine» d’interprétation et d’application claire, précise et pédagogique permettant à tous les acteurs de comprendre le champ d’application et les conséquences de la loi sur leurs activités. En particulier, il convient de garantir que le secteur de la recherche fondamentale, notamment publique, ne soit pas pénalisé par la mise en œuvre de l’APA. Sur ce point, il faut d’abord relativiser les craintes: l’APA n’alourdit pas significativement le travail de recherche mené sur les ressources génétiques. Lorsqu’elle est sans objectif direct de développement commercial, la recherche est possible par une simple déclaration auprès du service ministériel compétent. La procédure ne devient plus lourde que quand la recherche poursuit un objectif de développement commercial: demande d’autorisation préalable et négociation des modalités du partage des avantages dans un contrat. Cette procédure, pour l’instant très peu utilisée, concernera essentiellement les entreprises. Afin de lever les difficultés subsistantes d’appropriation, le CESE préconise que le bureau du MTES dédié à la gestion de l’APA réalise un guide et des tutoriels à destination des acteurs de la recherche.
S’agissant des régimes spécifiques d’APA, il est indispensable de publier dans les meilleurs délais les textes d’application manquants, comme le demandait déjà les auteurs du rapport d’information parlementaire en juin 2018. »
Ces constats et préconisations sont notamment destinés à être pris en compte lors de l’élaboration de la prochaine « Stratégie nationale biodiversité » (SNB) pour la période 2021-2030.
Pour lire l’avis du CESE dans son intégralité, voir ici.
Une synthèse de ce document et des préconisations du CESE est disponible ici.