Assemblée Nationale, examen en 1ère lecture de proposition de loi relative à plusieurs articles de la loi, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, sûre et durable (n° 1786)

Niveau juridique : France

Cette proposition de loi, qui vise à rétablir des articles du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable déclarés contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel en octobre 2018. Son article 6 entend ainsi rétablir l’article 78 de la loi EGALIM permettant la vente de semences du domaine public non inscrites au Catalogue officiel à des amateurs. (Voir fiche veille de présentation de la proposition de loi).

Lien vers le dossier législatif sur le site de l’Assemblée nationale ici

Examen de la proposition en Commission des affaires économiques, mardi 26 novembre

Extraits choisis :

« Mme Barbara Bessot Ballot, rapporteure. Nous revenons ce soir sur un sujet qui nous concerne toutes et tous : celui d’une alimentation saine, sûre, durable et de qualité. Ce sujet essentiel est inscrit au cœur des grands enjeux économiques, écologiques, agricoles et sociétaux. À mon sens, il devrait être au cœur des préoccupations de chacun dans la vie du quotidien.

La proposition de loi que nous allons examiner ce soir reprend des dispositions précises, pragmatiques, nécessaires et longuement débattues, puisqu’elles correspondent à des articles adoptés dans le cadre de la loi EGALIM et censurés comme cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel. Elles concernent la transparence et l’étiquetage alimentaire.

Attendue, cette proposition de loi est aussi cohérente, puisqu’elle reprend huit articles d’EGALIM, tous issus du titre II, et tous relatifs à l’étiquetage et, plus généralement, à l’information du consommateur. Elle reprend également le sujet consensuel des semences non inscrites au catalogue et destinées aux jardiniers non professionnels, dont nous débattons régulièrement depuis la loi « Biodiversité » (loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages), par deux fois censurée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de fond et de procédure qui sera, je l’espère, enfin adoptée.(…)

L’article 6 autorise la cession à titre onéreux de variétés de semences relevant du domaine public destinées aux utilisateurs non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale. Nous avons débattu à plusieurs reprises de cette question ; les positions de chacun sont connues et je soutiendrai cette mesure, telle qu’elle figure dans la proposition de loi, en rappelant à chacun que ces semences sont destinées à des jardiniers non professionnels, et à eux seuls. C’est une disposition attendue, dont nous débattons depuis des années et qui contribue au maintien de la biodiversité. (…)»

« M. Nicolas Turquois. Au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, je voudrais tout d’abord saluer un texte qui, dans la droite ligne du texte issu des États généraux de l’alimentation (EGA), renforce l’information du consommateur, que ce soit sur l’origine géographique, sur la composition des produits ou encore sur la méthode de fabrication – vous avez parlé, Madame la rapporteure, de la notion de fromages fermiers. Je dois pourtant faire part de quelques interrogations sur ce texte que, pour l’heure, je limiterai à trois. (…)

Troisièmement, je relève une incongruité dans ce texte à propos d’un sujet auquel je suis sensible : les semences. Alors que le fil conducteur de cette proposition de loi est une meilleure information du consommateur, l’article 6 va autoriser à la vente des graines dont les caractéristiques sont moins bien identifiées qu’auparavant ! Sous l’apparence d’une bonne idée, ce sera pour moi un recul. Pouvoir échanger ou même s’acheter des semences ou des plantes entre jardiniers est une pratique ancestrale – et tout à fait légale, contrairement à un discours largement partagé. Mais donner cette possibilité à des entités commerciales est à mes yeux une erreur. Cela ne garantit en rien que la diversité génétique soit préservée – on parle souvent des « anciennes variétés » ; seules des collections de variétés anciennes régulièrement régénérées par ensemencement peuvent la garantir. Or la filière peut s’organiser pour ce faire. Cela ne garantit en rien non plus la correspondance entre ce qui est écrit sur le sachet de graines et son contenu : seule une définition, à la rigueur simplifiée, peut le garantir.

Il faudrait aussi aborder le sujet des objectifs de pureté variétale ou d’absence de graines étrangères. On a observé récemment la prolifération d’espèces invasives telles que le datura ou l’ambroisie, qui peuvent se multiplier par ce genre de pratiques. Des questions sanitaires se posent aussi : dans un marché de producteurs, l’année dernière, je pouvais acheter des « semences de pays » de quinoa… C’est ce genre de pratiques qu’il faut éviter. Je m’exprimerai donc à nouveau lors nous examinerons l’article 6, pour en montrer les limites. ».

Les amendements en commission n° CE 86 et n° CE 85 , déposés par le député Loïc Prud’homme et un groupe de députés France insoumise et visant pour le premier à permettre pour les agriculteurs la vente de semences du domaine public entre pairs et pour le second à clarifier la référence à la législation sanitaire à laquelle fait référence l’art L. 661‑8 du code rural n’ont pas été soutenus.

Lors de la séance, l’article 6 a été adopté sans modifications.

Lien vers le rapport de la commission ici

Lien vers les comptes rendus de séance ici (examen général) et ici (examen de l’article 6)

Examen du texte en séance publique.

Le texte a été examiné en séance publique les 3 et 4 décembre.

Discussion générale le 3 décembre, Extraits choisis :

« M. Nicolas Turquois. (…) En revanche, je m’interroge sur l’article 6, qui porte sur la vente de semences. Par ce texte, en effet, nous cherchons à juste titre à favoriser l’information du consommateur ;  dans cet article, au contraire, il est proposé d’abaisser le niveau d’information actuellement exigé. Si la biodiversité est un enjeu fondamental dont l’importance est reconnue sur tous les bancs, notamment pour ce qui concerne les variétés anciennes, on peut s’interroger sur la façon la plus efficace de la préserver. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen de l’article concerné. » (…)

« M. Loïc Prud’homme. (…) Puisque j’évoque les fruits et légumes, comment ne pas mentionner le timide article 6 sur les semences paysannes, qui constituent notre patrimoine commun ainsi qu’une assurance inestimable sur l’avenir, tant la diversité génétique est indispensable à la vie ? Je vous demande d’adopter l’amendement que je défendrai afin de permettre aux agriculteurs d’échanger ces semences, s’il le faut à titre onéreux. Pour rassurer les libéraux de tout poil – ils sont nombreux ici –, je tiens à préciser que cette disposition ne remettra pas en cause le business des firmes semencières qui trouveront toujours des clients pour acheter leurs semences brevetées, vendues à prix d’or.

En adoptant ces amendements, vous rehausseriez l’ambition de la proposition de loi de sorte qu’elle ne soit pas qu’un texte d’affichage, d’autant qu’il est urgent d’agir pour les agriculteurs endettés, pour les millions de victimes de maladies chroniques liées à la malbouffe et face au changement climatique. »

Lien vers le CR de la séance du mardi 3 décembre : ici

Amendements déposés pour la discussion en séance plénière :

  • Amendement 137 présenté par M. Turquois : cet amendement reprend la position défendue lors des discussion en commission : il souhaite une inscription gratuite mais obligatoire au Catalogue officiel, et y adjoint la question de la vente du matériel hétérogène biologique.

Texte de l’amendement :

« ARTICLE 6

Rédiger ainsi cet article :

« L’article L. 661‑8 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre onéreux à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale pour les variétés appartenant au domaine public, est autorisé, dans les conditions du présent article, sous réserve de leur inscription au catalogue officiel sur la base d’une déclaration gratuite, dont les modalités sont fixées par décret. Le matériel hétérogène biologique tel que défini par le règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, et abrogeant le règlement (CE) no 834/2007 du Conseil peut être commercialisé auprès des utilisateurs finaux non professionnels sur la base d’une déclaration gratuite. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement vise à répondre aux principales critiques qui sont faites vis-à-vis de la réglementation qui encadre la commercialisation des semences destinées aux amateurs, tout en apportant quelques garanties minimales et informations au consommateur.

En effet, l’article 6 dans sa rédaction actuelle supprime toute exigence sur les semences vendues aux amateurs : que ce soit sur le contenu du sachet de graines ou sur son étiquetage.

Le consommateur n’aura plus aucune garantie sur le fait qu’une majorité de graines du sachet sont de la bonne espèce, que la variété X qu’il achète sera la même que l’année précédente ou que celle d’une autre jardinerie (puisqu’il n’existera pas de référentiel des variétés) et que les graines germeront. Il ne pourra pas non plus savoir quand les graines ont été produites (la capacité à germer diminue pourtant avec le temps).

Cette suppression de toute exigence est d’autant plus problématique que, dans les conditions prévues par l’article 6, le consommateur pourra difficilement faire la différence de façon claire entre les sachets de semences qui respectent les exigences européennes et ceux qui ne respectent aucune exigence. Les pouvoirs publics ne disposeront en effet d’aucun moyen pour obliger à un quelconque étiquetage ni d’obliger le producteur à vendre des semences avec une qualité minimale telle que le consommateur serait en droit de l’attendre. 

Il est donc proposé, dans le cadre de la commercialisation de semences de légumes aux amateurs, de mettre en place une procédure allégée (par simple déclaration des éléments à disposition du metteur en marché) et gratuite d’inscription des variétés, qui est le principal point critiqué de la réglementation actuelle. Dans le même temps il convient de maintenir des exigences minimales de qualité (capacité à germer notamment) pour la commercialisation afin d’apporter les garanties et informations attendues de l’acheteur.

De plus, grâce au matériel hétérogène biologique prévu par le nouveau règlement européen relatif à l’agriculture biologique, les semences de variétés non stables, c’est-à-dire qui évoluent au fur et à mesure des générations, pourront également être inscrites et leurs semences commercialisées. »

L’amendement a été rejeté en séance publique.

  • Amendement N° 100 présenté par Mme Le Pen, M. Aliot, M. Bilde, M. Chenu et M. Pajot (pour rappel, Marine Le Pen avait déjà déposé une proposition de loi dans ce sens). Il vise à permettre la vente de semences du domaine public non inscrites au Catalogue à tout public, y compris les professionnels.

Texte de l’amendement :

« ARTICLE 6

Rédiger ainsi cet article :

« Le dernier alinéa de l’article L 661‑8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

« 1° Les mots : « ou le transfert, réalisé à titre gratuit » sont remplacés par les mots : « , le transfert, ou la vente » ;

« 2° Les mots : « à des utilisateurs finaux non professionnels » sont supprimés ;

« 3° Après le mot : « variété » sont insérés les mots : « ou exploités commercialement dans le cadre de la vente directe, ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement propose de libéraliser la vente de semences non inscrites au catalogue à des utilisateurs non professionnels qui n’en font pas un usage commercial mais aussi à tous ceux, particuliers, associations ou professionnels, qui peuvent l’exploiter dans le cadre de la vente directe dans une optique de développement des circuits courts. Bien évidemment cette exemption ne concerne pas les règles sanitaires relatives à la sélection et à la production de semences qui doivent s’appliquer dans tous les cas. »

  • Amendement n° 117 présenté par M. Prud’homme, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin et Mme Taurine. Cet amendement, identifque à celui préenté en commission, vise à ajouter un article pour permettre la vente de semences du domaine public produites sur la ferme entre agriculteurs.

Texte de l’amendement :

« ARTICLE ADDITIONNEL

APRÈS L’ARTICLE 6, insérer l’article suivant:

Le second alinéa de l’article L. 315‑5 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :

« Sans préjudice de la réglementation qui leur est applicable, des échanges, entre agriculteurs, de semences ou de plants n’appartenant pas à une variété protégée par un certificat d’obtention végétale et produits sur une exploitation hors de tout contrat de multiplication de semences ou de plants destinés à être commercialisés peuvent être réalisés en application de l’article L. 325‑1 ou faire l’objet d’un échange à titre onéreux. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement vise à rétablir les possibilités de cession à titre onéreux des variétés de semences et plants relevant du domaine public entre agriculteurs. Les agriculteurs jouent un rôle crucial dans la conservation, la diffusion et l’enrichissement de la biodiversité agricole, enjeu majeur pour l’agriculture et l’alimentation du XXIème siècle.

En effet, en l’espace de cent ans, 90 % des variétés traditionnellement utilisées par les paysans ne sont plus cultivées ; et 75 % d’entre elles sont irréversiblement perdues, selon la FAO. Il y a aujourd’hui « des preuves de plus en plus tangibles et inquiétantes que la biodiversité qui sous-tend nos systèmes alimentaires est en train de disparaître, menaçant gravement l’avenir de notre alimentation, de nos moyens de subsistance, de notre santé et de notre environnement. »[1]

Il s’agit ici d’encourager et de donner des moyens légaux et règlementaires au travail de préservation du patrimoine vivant. Nous souhaitons ainsi que les agriculteurs aient accès à une plus grande diversité de semences, et surtout aux variétés qui ont été interdites à la commercialisation par le système du catalogue officiel GNIS. Il s’agit de donner la possibilité de recréer des réseaux d’échanges horizontaux de semences, seuls à même de renouveler la biodiversité cultivée, et de sauvegarder un patrimoine génétique, mais également culturel et social, dont nous serons bien heureux de pouvoir profiter dans les prochaines années.

L’article 6 de la présente loi prévoit déjà les possibilités de cession à titre onéreux des variétés de semences relevant du domaine public pour les jardiniers amateurs.

Cet amendement prévoit d’étendre cette possibilité pour les agriculteurs : il autorise donc la cession entre pairs, à titre onéreux et à destination commerciale, de semences et plants relevant du domaine public.

[1]Rapport FAO : « The state of the world’s biodiversity for food and agriculture » – 20/02/2019 »

L’amendement a été rejeté en séance publique.

  • Amendement n° 103 présenté par Mme Ménard et amendement n° 116 présenté par M. Prud’homme, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin et Mme Taurine : les deux amendements sont identifques. Ils reprennent celui déposés en commission, visant à clarifier la référence à la réglementation sanitaire.

Texte de l’amendement :

« ARTICLE ADDITIONNEL

APRÈS L’ARTICLE 6, insérer l’article suivant:

À la fin du dernier alinéa de l’article L. 661‑8 du code rural et de la pêche maritime, les mots : « relatives à la sélection et à la production » sont remplacés par le mot : « applicables ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement clarifie la rédaction de l’article L. 661‑8 du code rural et de la pêche maritime : actuellement, cet article présente des distinctions entre la « production » et la « sélection », que la législation sanitaire ne fait pas.

Il introduit ainsi une confusion sur les dispositions sanitaires qui seraient applicables et celles qui ne le seraient pas. La réécriture de cet alinéa permet de clarifier ce point. »

Amendement rejeté en séance publique.

Lien vers le CR de la séance du 3 décembre ici

Lien vers le CR de la séance du 4 décembre ici

L’article 6 a été adopté sans amendements. Le texte doit maintenant être examiné au Sénat (dossier législatif à retrouver ici sur le site du Sénat)

EDIT du 11 juin 2020 : La proposition de loi a été adoptée au Sénat (voir fiche veille) puis en seconde lecture à l’Assemblée nationale. Elle a été promulguée le 11 juin et publiée au JORF n°0142 du 11 juin 2020. Le texte de la LOI n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires (1) est à retrouver ici