Niveau juridique : France
Débat
Subsidiarité
Protection des ressources génétiques
Communication et proposition de résolution européenne
portant avis motivé de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet. - La protection des ressources génétiques est un enjeu important dans l’industrie pharmaceutique. J’ai abordé le sujet pour la première fois à Seattle, lors d’un cycle de négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans une communication à l’Union interparlementaire, j’indiquais qu’on ne peut piller impunément les ressources végétales, animales, minérales de certains pays.
La proposition de règlement traite de l’accès aux ressources génétiques. Le point de départ est le protocole international de Nagoya, signé en novembre 2010, qui fut en quelque sorte la compensation de l’échec du sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique. Ce protocole additionnel à la convention sur la diversité biologique signée en 1992 visait à garantir l’accès aux ressources et le partage des avantages (APA) liés à l’usage de ressources génétiques, tout en favorisant un partage des bénéfices avec les pays dont ces ressources sont issues.
On entend par ressources génétiques les ressources d’origine végétale, animale ou microbienne contenant des gènes ayant une valeur effective ou potentielle pour la société, en particulier pour la recherche ou certaines industries telles que l’industrie pharmaceutique. La menace de pillage des ressources naturelles, en particulier génétiques, est réelle et les premiers contentieux sont apparus en Amérique du Sud, où quelques sociétés exploitent de telles ressources sans avoir songé à demander une autorisation aux États, qui sont eux-mêmes défaillants, bien peu conscients des richesses ainsi détournées.
La France est directement concernée, en particulier parce que l’outre-mer français représente un patrimoine d’exception. Certains territoires, en particulier la Guyane et la Nouvelle-Calédonie font partie des hot spots - points chauds - de la biodiversité mondiale. Il y a bien sûr la forêt, mais aussi l’espace marin, avec des milliers de kilomètres carrés de récifs coralliens.
Le protocole visait à donner le libre accès tout en organisant l’exploitation de ces ressources et en partageant les avantages sous forme de redevances ou de transferts de savoirs. Un projet de règlement européen vise à mettre en oeuvre ce texte, à travers des codes de bonne conduite établis par des associations d’utilisateurs et une labellisation par la Commission. Celle-ci serait chargée de collecter les données scientifiques et d’établir un registre des prélèvements.
Ce texte présente néanmoins plusieurs difficultés d’ordre institutionnel. Quelle est la compétence de l’Union dans ce domaine précis des ressources génétiques ? L’environnement est une compétence partagée entre l’Union européenne et les États, encadrée par le principe de subsidiarité fixé aux paragraphes 3 et 4 de l’article 5 du traité sur l’Union européenne. L’Union n’intervient que si les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être atteints par l’action des seuls États membres. En l’espèce, en quoi l’action de l’Union serait-elle plus efficace et plus proportionnée que les mesures prises au niveau national ? Le recours trop systématique aux mesures d’exécution, confiées à la Commission, doit aiguiser notre vigilance.
La convention sur la diversité biologique et le protocole de Nagoya rappellent le principe de souveraineté nationale sur les ressources naturelles et les connaissances traditionnelles. Le règlement ne prévoit pas explicitement un transfert de compétences vers l’Union européenne, cela serait manifestement incompatible avec ce principe, mais certaines dispositions affectent directement ou indirectement la compétence nationale. La rédaction est maladroite, le texte mord sur les pouvoirs des États membres, par exemple lorsqu’il affirme que « le règlement établit les règles régissant l’accès aux ressources génétiques ».
La définition de l’accès aux ressources n’est pas de la compétence communautaire ; la définition des connaissances traditionnelles incombe aux communautés autochtones.
Cet examen rapide me conduit à exprimer des réserves sur le respect du principe de subsidiarité : veillons à sa bonne application, afin de protéger les intérêts de nos collectivités d’outre-mer.
Un problème spécifique se pose pour la France : l’État détient la compétence sur la gestion des ressources naturelles dans les départements d’outre-mer ainsi qu’à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Le règlement s’y appliquerait de plein droit. En revanche, d’autres collectivités, la Polynésie, la Nouvelle Calédonie, sont régies par des lois organiques spécifiques. Certaines ont déjà adopté des règles d’accès aux ressources, mais sans couvrir tout le champ du protocole de Nagoya, modalités de contrôle incluses. L’articulation des lois locales et du règlement européen exigera une longue phase d’adaptation.
Tout en acceptant l’esprit du texte, nous devons marquer qu’en l’état, il ne respecte pas le principe de subsidiarité. Depuis Seattle, nous avons parcouru du chemin : tenons notre objectif. L’avenir de l’humanité pourrait bien dépendre un jour de quelques bactéries…
M. Joël Guerriau. - Au troisième paragraphe, il est indiqué que « la France doit aussi veiller au respect… » Bien sûr, mais là n’est pas la question et c’est à l’Europe que nous nous adressons. C’est à elle que nous demandons de respecter ses engagements concernant les spécificités de l’outre-mer. Cette mention est à supprimer.
M. Jean Bizet. - Vous avez raison.
M. André Gattolin. - L’enjeu concerne aussi les semences rares. Une association française qui retrouve et commercialise certaines semences anciennes est attaquée par une société américaine qui en a acheté la propriété aux États-Unis. En Amérique latine, des groupes nord-américains s’emparent pour les faire breveter des espèces exploitées par la population locale, laquelle est ensuite attaquée devant les tribunaux ! Autant de situations aberrantes… Les accords de Nagoya sont nécessaires mais non suffisants. Prenons conscience de la gravité du problème. On a décomposé l’ADN. Demain apparaîtront des médicaments fondés sur telle ou telle de ses séquences. Heureusement que les brevets sont exclus en cette matière, sinon cinq propriétaires tout au plus se partageraient la manne ! Il est important d’être vigilant pour préserver ces éléments du patrimoine commun de toute appropriation privée.
M. Jean Bizet. - Soyons clairs : je dénonce la tentative de certains sociétés de s’approprier et de breveter le vivant. Les espèces végétales et animales ne peuvent être brevetées, conformément à la directive de 2001. Quant au génome humain, les Français du Genopole d’Evry et l’américain Craig Venter, lancés dans une course de vitesse, ont réussi à le décrypter au même moment. Les présidents français et américain de l’époque, Jacques Chirac et Bill Clinton, ont alors pris la bonne décision : ils ont conjointement déclaré que le génome humain appartenait à l’humanité. Et ils se sont empressés de faire connaître via internet au monde entier le détail des séquences. Mais toutes les ambiguïtés ne sont pas levées pour autant. Dans le règne animal et végétal, les choses sont plus claires, on ne peut breveter que le triptyque gène, fonction, application. Reste que certaines officines jouent sur les concepts…
M. André Gattolin. - En particulier sur les semences !
M. Jean Bizet. - Oui. Sur la forme, ne laissons pas passer le non-respect du principe de subsidiarité. Et, sur le fond, surveillons ces développements.
Mme Bernadette Bourzai, présidente. - Merci, monsieur Bizet, de ce travail remarquable.
A l’issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l’unanimité, le projet d’avis motivé dans le texte suivant :
Proposition de résolution européenne portant avis motivé
La proposition de règlement COM (2012) 576 est une application du protocole international de Nagoya signé en novembre 2010. Il vise à garantir l’Accès aux ressources et le Partage des Avantages (APA) liés à l’usage des ressources génétiques tout en favorisant un partage des bénéfices avec les pays dont ces ressources sont issues.
Vu l’article 88-6 de la Constitution,
Le Sénat fait les observations suivantes :
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L’article 1 de cette proposition de règlement établit les règles régissant l’accès aux ressources génétiques. L’article 2 prévoit que la définition des connaissances traditionnelles revient à l’Union ;
-
Le Sénat rappelle que la convention sur la diversité biologique signée en 1992 ainsi que le protocole de Nagoya établissent le principe de souveraineté nationale sur les ressources naturelles et les connaissances traditionnelles ;
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Le Sénat considère que la rédaction actuelle des articles 1 et 2 de la proposition de règlement a un effet direct et indirect sur cette compétence nationale et remet en cause cette dernière. La France doit aussi veiller au respect des compétences de ses collectivités d’outre-mer, directement impliquées dans la définition des connaissances traditionnelles ;
Le Sénat estime en conséquence que les articles 1 et 2 de la proposition de règlement ne sont pas conformes dans leur rédaction actuelle à l’article 5 du traité sur l’Union européenne et au protocole n° 2 annexé à ce traité.
www.senat.fr/basile/visio.do?id=a/compte-rendu-commissions/20121126/europ.html&idtable=a/compte-rendu-commissions/20121008/mci_pesticides.html|a/compte-rendu-commissions/20121126/europ.html|a/compte-rendu-commissions/20121022/devdur.html&_c=semence*&rch=gs&de=20121112&au=20121204&rqg=dqrnstpa&dp=1+an&radio=deau&aff=sep&tri=p&off=0&afd=ppr&afd=ppl&afd=pjl&afd=cvn#toc4
Proposition finale de résolution :