Guy Kastler,
Résumé
Trois directions de la commission européenne sont désormais mobilisées par la rédaction de la proposition de réforme des règlements commercialisation des semences, santé des plantes et contrôles qui doit être prochainement proposée au Conseil et au Parlement européens : la DG Sanco en charge du dossier, confrontée aux DG Agriculture et Environnement qui ont manifesté de fortes oppositions à sa dernière proposition (non paper) de novembre 2011. Si les trois DG impliquées n’arrivent pas à se mettre d’accord, ce qui reste probable vu l’importance des divergences qui les séparent, c’est le collège des commissaires qui devra arbitrer en mobilisant alors l’ensemble des autres DG de la commission. Cela risque de repousser encore la publication de la proposition définitive annoncée initialement en 2011.
Lors d’un meeting organisé le 18 janvier 2013 par la DG Sanco, l’ESA( association européenne des semenciers) et le COPA COGECA (les gros agriculteurs et les coopératives) ont exprimé leur approbation de la proposition de la DG Sanco tout en réclamant un renforcement supplémentaire des contrôles. L’ESA a manifesté son impatience et a demandé fermement à la commission de clore rapidement les discussions. La DG Sanco s’est donc remise au travail pour tenter d’obtenir un compromis évitant l’arbitrage du collège des commissaires. Pour comprendre les divers arguments avancés et les nouvelles propositions en discussion, il convient de revenir sur les intérêts en jeu et les demandes des divers acteurs.
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Texte complet
« Better Régulation Semences », où en est-on ?
le 6 février 2012
Trois directions de la commission européenne sont désormais mobilisées par la rédaction de la proposition de réforme des règlements commercialisation des semences, santé des plantes et contrôles qui doit être prochainement proposée au Conseil et au Parlement européens : la DG Sanco en charge du dossier, confrontée aux DG Agriculture et Environnement qui ont manifesté de fortes oppositions à sa dernière proposition (non paper) de novembre 2011. Si les trois DG impliquées n’arrivent pas à se mettre d’accord, ce qui reste probable vu l’importance des divergences qui les séparent, c’est le collège des commissaires qui devra arbitrer en mobilisant alors l’ensemble des autres DG de la commission. Cela risque de repousser encore la publication de la proposition définitive annoncée initialement en 2011.
Lors d’un meeting organisé le 18 janvier 2013 par la DG Sanco, l’ESA (association européenne des semenciers) et le COPA COGECA (les gros agriculteurs et les coopératives) ont exprimé leur approbation de la proposition de la DG Sanco tout en réclamant un renforcement supplémentaire des contrôles. L’ESA a manifesté son impatience et a demandé fermement à la commission de clore rapidement les discussions. La DG Sanco s’est donc remise au travail pour tenter d’obtenir un compromis évitant l’arbitrage du collège des commissaires. Pour comprendre les divers arguments avancés et les nouvelles propositions en discussion, il convient de revenir sur les intérêts en jeu et les demandes des divers acteurs.
I - Du côté de l’industrie, soutenue par les coopératives et les agriculteurs « industriels », deux groupes bien distincts défendent des options différentes portées les différents DG de la commission :
1) les semenciers dits « traditionnels », obtenteurs de variétés distinctes, homogènes et stables (DHS) protégées par un Certificat d’Obtention Végétale (COV). Ils ne sont pas à l’origine de la réforme actuelle. Ils demandent au contraire de conserver et de renforcer le système actuel. L’enregistrement au catalogue réservé aux semences des variétés DHS protégeables par un COV leur garantit un monopole absolu d’accès au marché et interdit la concurrence que pourraient leur faire des semences paysannes librement reproductibles. L’investissement financier et le temps nécessaires pour homogénéiser et stabiliser leurs variétés avant toute inscription au catalogue ne les gêne pas dans la mesure où ils correspondent exactement à l’investissement et au temps nécessaires à la sélection des caractères qui justifient leur qualité et leur monopole commercial.
Les demandes de ce secteur se résument à un renforcement du COV par :
une fusion des procédures et des essais d’enregistrement et d’obtention de COV
un accès à l’information sur les agriculteurs utilisant des semences de ferme afin de pouvoir collecter les royalties qu’ils exigent pour les 21 espèces dérogatoires et poursuivre toute utilisation interdite pour les autres espèces,
un renforcement des contrôles visant à interdire tout ce qui passe au travers du filtre catalogue + COV
2) les multinationales des « biotech », détentrices de brevets sur les gènes et les caractères des plantes. Leurs demandes sont à l’origine de la réforme better regulation actuelle. La majorité des brevets déposés ces dernières années à l’Office Européen des Brevets (OEB) ne concernent plus des OGM étiquetés, mais des plantes issues d’autres techniques de modifications génétiques non étiquetées (mutagénèse dirigée, fusion cellulaire, biologie synthétique…) ou des caractères gustatifs, nutritionnels… issus de techniques classiques de sélection. Ce secteur bénéficie d’un avantage concurrentiel énorme sur le secteur du COV : contrairement à ce dernier, le brevet n’autorise pas l’utilisation libre d’une plante brevetée pour en sélectionner et en commercialiser une autre ; et la simplicité des nouvelles techniques de marquage moléculaire permettent de poursuivre efficacement toute contrefaçon sur des semences de ferme contenant des gènes brevetés, ce que ne peut faire la description visuelle des caractères phéntotypiques protégés par le COV qui évoluent dès la première multiplication en conditions agricoles de culture.
Le brevet n’a pas non plus besoin du catalogue pour interdire la concurrence des semences paysannes librement reproductibles : il lui suffit pour cela d’organiser leur contamination « fortuite et inévitable » par ses gènes brevetés. Mais il a besoin de variétés pour y insérer ses gènes brevetés. Pour avoir accès au marché européen, il se heurte aux contraintes de la DHS du catalogue qui n’ont rien à voir avec les qualités commerciales de ses gènes brevetés. Le coût et le temps nécessaire à l’homogénéisation et à la stabilisation des variétés de plantes contenant ses caractères brevetés sont pour lui totalement inutiles. Ils diminuent et retardent trop à son goût le retour sur investissement qu’il attend de ses brevets. C’est pourquoi il souhaite supprimer les contraintes H et S. Cette suppression permettrait de surcroît de commercialiser les semences des variétés brevetées non H et/ou non S qui ne peuvent aujourd’hui être cultivées que sous contrat. En effet, l’interdiction de breveter des variétés exigée par les directives européenne se limite pour l’OEB aux seules variétés DHS telles que définies par l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV). Toute variété non H et/ou non S est donc brevetable.
La demande forte de ce secteur est le remplacement de la barrière d’accès au marché que constitue aujourd’hui le catalogue par des barrières environnementales et sanitaires, par l’établissement de règles de biosécurité, et par la privatisation des contrôles. Les réponses exclusivement génétiques aux questions environnementales et sanitaires (tolérance aux herbicides permettant le non labour, gènes résistants aux pathogènes, gènes climats…) sont certes des mauvaises réponses à des problèmes d’abord agronomiques avant d’être génétiques, mais ce sont les seules envisagées par la réglementation du commerce des semences. Et elles ne sont pas à la portée des petites entreprises ou des agriculteurs qui se retrouvent de ce fait exclus de toute possibilité de commercialiser des semences. Il en est de même des analyses indispensables à la garantie d’absence d’organismes « nuisibles » ou au respect des seuils de biosécurité (seuil OGM), des équipements et de la gestion administrative des auto-contrôles sous contrôle officiel… Le surcoût de ces contraintes pour les grandes multinationales est largement compensé par les économies d’échelle résultant de leur accès à la totalité du marché européen. Il est par contre rédhibitoire pour toute variété locale destinée à un marché local.
II – Les propositions initiales de la DG Sanco
La DG Sanco a fait deux propositions successives. La première a été rédigée sous la pression des conclusions de l’avocate générale de la CJUE dans l’affaire Kokopelli, qui déclarait en janvier 2012 que les contraintes du catalogue sont abusives. Concernant la commercialisation des semences et la santé des plantes, elle tentait de concilier les demandes des deux secteurs industriels :
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ouvrir, au côté du système d’enregistrement actuel de variétés DHS sur description officielle (DO), une deuxième possibilité d’enregistrement sur description officiellement reconnue (DOR) sans obligation de DHS, ni de VAT, ni d’essais officiels, ni de certification des lots de semences commercialisées,
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simplifier le système en fusionnant la gestion du catalogue et celle du COV; accepter pour l’enregistrement au catalogue les tests réalisés pour le COV,
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autoriser, pour certaines espèces, la commercialisation de semences de « populations de plantes qui n’appartiennent pas à une variété enregistrée »,
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étendre le champ d’application du catalogue aux semences destinées à l’autoconsommation. Seuls la recherche, la sélection, les banques de gènes et les réseaux associés sont exonérés des obligations du règlement commercialisation.
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autoriser les auto-contrôles sous contrôle officiel, autant pour la production des semences, les certificats sanitaires que pour l’enregistrement des variétés,
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étendre l’obligation d’enregistrement des opérateurs sur des registres officiels aux agriculteurs producteurs de leurs propres semences de ferme ou paysannes ; obligation d’enregistrement dans chaque entreprise et à la ferme de tous les échanges de semences ; cet enregistrement donnera à l’industrie l’accès qu’elle réclame à la liste des agriculteurs utilisateurs de semences de ferme,
Suite à la décision définitive de la CJUE qui a justifié les contraintes du catalogue en refusant les conclusions de son avocate générale, la DG Sanco a publié en novembre 2012 une deuxième proposition. Principaux changements :
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l’enregistrement DOR devient réservé aux variétés anciennes commercialisées avant la publication du règlement et dont les semences sont produites dans leur région d’origine. La définition de la variété selon l’UPOV (caractères issus d’un certain génotype ou d’une certaine combinaison de génotypes) réintroduit l’obligation de DHS. Les semences de « populations de plantes qui n’appartiennent pas à une variété enregistrée » ne peuvent plus être commercialisées, pour aucune espèce. Seuls les essais officiels ne sont pas obligatoires.
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les échanges en nature entre « non opérateurs » ne sont pas soumis aux obligations du règlement commercialisation. Selon la DG Sanco, les agriculteurs qui ne produisent pas de semences commerciales, mais uniquement des semences fermières ou paysannes, seraient quand même des opérateurs et ne seraient donc pas concernés par cette dérogation. Par contre les échanges entre agriculteurs dans le cadre de « réseau de conservation in situ à la ferme associés à des banques de gènes » pourraient être exonérés des obligations du règlement commercialisation.
III – Du côté « société civile », les médias relayent surtout le message de ceux qui se plaignent des entraves au commerce de semences de variétés anciennes et des atteintes à la biodiversité qui en résultent. Ils sont beaucoup moins sensibles aux besoins de semences adaptées aux agricultures paysannes et biologiques et de défense des droits des paysans d’utiliser et d’échanger leurs semences pour adapter localement leurs cultures à la diversité des terroirs et aux changements climatiques tout en diminuant l’utilisation des engrais et pesticides chimiques, et pour assurer la souveraineté alimentaire des peuples face à la confiscation de l’ensemble des semences par les DPI. Trois groupes d’acteurs ont adressé aux autorités européennes leurs réactions aux propositions de la DG Sanco :
1) Les associations et petites entreprises qui commercialisent des semences dites « anciennes ». Leur principal souci est de supprimer les contraintes du catalogue. Les unes s’opposent à toute réglementation et réclament un marché libre (Kokopelli), les autres tentent de regrouper le maximum d’appui pour négocier des niches de commercialisation dans lesquelles elles pourraient se glisser (Arche de Noah). Les plus petites sont prêtes à se contenter de toutes petites niches hors du catalogue (liberté d’échange pour les non professionnels et/ou le marché local…), les plus grandes souhaitent un accès sans limite au marché.
2) Les obtenteurs bio et biodynamiques représentés par Ecopb
Leurs demandes actuelles :
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une plus grande souplesse pour l’évaluation DHS et une adaptation des tests VAT à la bio,
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la possibilité de commercialisation de petites quantités sans enregistrement,
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le maintien de service publics décentralisés d’enregistrement, prenant en compte les spécificités de la bio
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l’information sur les techniques de sélection non conformes à la bio.
3) Les agriculteurs défenseurs de l’agriculture paysanne. Via Campesina Europe (ECVC) a publié ses propositions et les a présentées aux cours de trois rencontres avec les DG Sanco, Agri et Env :
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pas d’enregistrement obligatoire de la variété ni aucune limitation quantitative ou géographique pour la commercialisation de semences libres de droits de propriété industrielle (DPI = COV ou brevet) destinées à l’agriculture vivrière et l’auto-consommation ; obligation d’étiquetage du nom de la variété, de l’espèce et de la région d’origine, qualités germinative et sanitaire,
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droit des agriculteurs de produire et d’échanger librement leurs semences, hors de toute mise en marché et des contraintes qui vont avec (enregistrement de la variété, des opérateurs, des échanges), dans le cadre de la conservation in situ à la ferme et des échanges entre non opérateurs,
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ouverture de l’enregistrement DOR aux variétés populations (et modification en conséquence de la définition de la variété), aux variétés nouvelles tout autant qu’anciennes à condition qu’elles soient libres de tout DPI (COV ou brevet), et sans aucune limitation quantitative ou géographique,
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information obligatoire sur les techniques de sélection et les DPI,
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maintien de service publics décentralisés d’enregistrement et de contrôle, établir des normes sanitaires adaptées aux agriculture paysannes et bio.
IV – Les nouvelles propositions en discussion au sein de la commission
Les DG Agri et Env refusent elles aussi la deuxième proposition de la DG Sanco. La DG agri réclame un enregistrement DOR de toute variétés ancienne ou nouvelle n’exigeant aucune autre obligation que le nom de la variété, de l’espèce, de la région d’origine et de l’obtenteur, ouvert aux variétés dont les plantes sont protégées par un brevet, et obligatoire aussi pour les échanges de semences associés à la conservation in situ à la ferme. La DG Env demande une ouverture plus grande pour la biodiversité.
Face à ces deux refus, la DG Sanco maintient actuellement sa proposition de deux enregistrement DO et DOR dans leur version de novembre, mais propose de rajouter une troisième possibilité de commercialisation : sans enregistrement obligatoire de la variété, pour toute variété ancienne ou nouvelle, mais restriction quantitative de commercialisation (petits sachets + quantité globale limitée) et limitation de la taille des opérateurs (quatre salariés et 75 000 € de chiffre d’affaire, ce qui exclut la majorité des associations ou petites entreprises qui commercialisent des semences « anciennes » et vise avant tout les agriculteurs) + contrôles sanitaires, qualité… C’est dans ce cadre que pourraient être commercialisées les semences de « populations de plantes qui n’appartiennent pas à une variété enregistrée ». Cette proposition entraînera un contrôle administratif supplémentaire de toutes les quantités commercialisées : si la quantité globale annuelle dépasse la quantité limitée prévue, la variété devrait être enregistrée l’année suivante. Cette procédure et ces contrôles s’imposeraient aussi aux échanges entre agriculteurs (conservation in situ à la ferme).
Cette dernière proposition encore en discussion n’est qu’informelle. Il est clair que son but est de contrôler tous les échanges de semences entre agriculteurs ou jardiniers et de les enfermer dans une niche la plus étroite possible. Nous ne pouvons pas l’appuyer, ni quémander un agrandissement de la niche qui sera supprimée à la première occasion. L’autonomie semencière des paysans, l’autonomie et souveraineté alimentaire des populations sont des droits inaliénables et non des niches commerciales. Les échanges entre agriculteurs ne sont pas une mise en marché et ne doivent pas subir les contrôles destinés au commerce. Le problème est la généralisation du commerce de semences brevetées et génétiquement manipulées et non la qualité ancienne ou nouvelle des variétés : la solution est le droit des paysans d’échanger librement leurs semences et la généralisation de la commercialisation de semences libres de DPI et de tout bricolage génétique, et non la limitation des quantités commercialisées ou de la taille des opérateurs qui les commercialisent. C’est pourquoi nous devons maintenir nos demandes initiales.