Appliquer les principes de compensation et de réparation à l’industrie semencière
Réseau Semences Paysannes,
Résumé
En prélevant gratuitement ses ressources phytogénétiques dans les champs des paysans et en confisquant la totalité des semences commercialisables, l’industrie a accumulé une immense dette envers des milliards de paysans. Elle a aussi déclenché une alarmante érosion de la biodiversité. La compensation de cette dette et la réparation de cette atteinte à l’environnement passent par un soutien financier aux maisons paysannes de la semence et aux programmes de sélections paysannes participatives qui allient paysans et chercheurs.
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Une alarmante érosion de la biodiversité…
En un demi-siècle, les trois quarts de la biodiversité cultivée ont disparu des champs. Les semences ont été enfermées dans les banques de gènes où elles sont à leur tour menacées de disparition dans les programmes numériques informatiques. L’industrie semencière est l’artisan et la cause de cette érosion de la biodiversité, elle ne saurait en être la solution. Les sélections paysannes au champ sont la solution : elles seules sont capables de permettre aux plantes de s’adapter à la diversité et à la variabilité des conditions de cultures sans béquilles chimiques. Elles ont besoin pour se développer d’un cadre juridique respectant les droits des agriculteurs (Voir article « Les droits des agriculteurs pour la biodiversité »).
Les maisons paysannes de la semence : une gestion locale d’un bien universel
Les semences paysannes sont un bien collectif. Nous l’héritons de nos parents et l’empruntons à nos enfants à qui nous devons la restituer dans toute sa diversité. Aucun agriculteur ne peut conserver, sélectionner et produire seul toutes ses semences, ni ressemer ses champs si l’année précédente a été trop mauvaise. Aucune sélection n’est durable sans permettre à la semence de renouveler sa diversité, en changeant de terrain de culture, ou par de petits apports exogènes : il n’y a pas de semences paysannes sans échanges et sans travail collectif. Les maisons de la semence, qui émergent un peu partout, sont l’outil de cette organisation collective entre paysans et jardiniers. C’est un lieu commun où les semences sont conservées une ou plusieurs années, où l’on peut partager et si possible rémunérer le travail d’entretien des collections vivantes de ressources, où les échanges informels entre paysans et jardiniers s’organisent et où le stock semencier est géré collectivement au niveau local.
La sélection paysanne participative : une relation win-win adaptée à notre terre
L’accélération actuelle de l’érosion de la biodiversité cultivée et des bouleversements générés par la mondialisation du commerce et le changement du climat nécessitent une accélération des sélections paysannes. Des chercheurs de plus en plus nombreux souhaitent quitter leur laboratoire pour travailler dans les champs avec les paysans. Quelques pionniers ont déjà franchi le pas sans aucun soutien, souvent malgré la répression de leur institution. Leur confrontation aux savoirs paysans, non scientifiques mais tout aussi pertinents et très complémentaires des visions de la science, les ont parfois contraint à renoncer à certaines certitudes académiques. Leur propre savoir, leur accès aux ressources génétiques des banques et les liens qu’ils créent entre les paysans multiplient également l’efficacité des sélections paysannes. Les premiers résultats sont là pour leur donner raison : en l’absence de produits chimiques, toutes les variétés issues de sélections paysannes participatives sont plus productives – surtout dans des conditions difficiles –, plus nourrissantes et plus adaptées aux besoins et à la culture des paysans. Les cultures associées et les techniques de l’agroécologie génèrent des rendements bruts à l’hectare bien supérieurs à ceux des monocultures industrielles.
Le partage des avantages : un leurre !
Les seuls droits offerts aujourd’hui aux agriculteurs sont des droits individuels : devenir semenciers pour vendre des semences, déposer des Droits de Propriété Intellectuelle (DPI) ou partager les avantages économiques tirés par ceux qui déposent des DPI sur leurs semences. Pourtant, les droits des agriculteurs sont des droits collectifs et non individuels. Ils portent sur l’usage de la semence et non sur sa propriété. Le droit international actuel en profite pour considérer que les semences paysannes n’ont pas de propriétaire. Par contre, il autorise le dépôt de titres individuels de propriété sur les variétés et l’appropriation des ressources génétiques par les Etats. (Voir article « Une Europe sans droits de propriété intellectuelle sur les semences). Cette expropriation des paysans permet à l’industrie d’amasser des milliards d’euros et de dollars de bénéfice. En pleine crise agricole, les multinationales des biotechnologies ont annoncé en 2008 des profits records dus à l’augmentation exponentielle du prix des semences et des pesticides.
Pour faire accepter cette spoliation et les outils juridiques qui la fondent (le brevet, le COV et le catalogue), elles promettent d’en partager les bénéfices avec les agriculteurs. Mais ce « partage des avantages » n’est qu’une illusion car un droit d’usage collectif inaliénable souvent non écrit ne se partage pas en titres de propriété individuels et aliénables. Les communautés rurales qui gèrent ces droits d’usage n’ont pour la plupart aucun statut juridique qui leur permettrait de faire valoir un quelconque droit. Elles n’ont pas non plus les moyens de surveiller tous les brevets déposés dans tous les pays de la planète. Pire, l’absence d’obligation d’information sur les ressources utilisées interdit toute revendication de partage sur un COV. Enfin, les firmes semencières utilisent essentiellement des ressources qui ont été collectées avant la signature de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et pour lesquelles elles ont obtenu qu’elles conservent le statut de « bien commun de l’humanité ». Elles n’ont ainsi aucune rémunération à partager.
La double dette de l’industrie
Le partage des avantages se solde donc par une immense dette de l’industrie semencière vis-à-vis des milliards de paysans à qui elle a emprunté toutes ses ressources sans aucune compensation. Mais l’industrie a aussi une deuxième dette envers les générations futures : comme l’entreprise Total après le naufrage de l’Erika, elle doit d’urgence réparer l’érosion de la biodiversité cultivée qu’elle a provoquée. La dette collective de l’industrie doit servir à compenser et à réparer ces dommages en finançant les maisons de la semence et le développement de la sélection paysanne participative.
proposition :
prélever une taxe sur les ventes de semences non librement reproductibles, destinée à financer les maisons paysannes de la semence et des programmes de sélections participatives de semences paysannes reproductibles