Assemblée nationale, Commission des Affaires européennes : 7-10-2014 Communication de la présidente Danielle Auroi sur le projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada et résolution

Niveau juridique : France

Suite à la publication du texte officiel de l’Accord entre le Canada et l’UE, la question de la qualification se texte comme accord mixte (appelant donc une ratifcation par chaque parlement nationaux) est discutée par la commission européenne.

Au sein de l’Assemblée nationale, la commission des affaires européennes a pris la résolution suivante (qui est suivi d’extraits intéressants des débats dans point II) :

I)« L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 206, 207 et 218 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la recommandation de la Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à engager des négociations en vue d’un accord d’intégration économique avec le Canada du 27 avril 2009,

Vu la résolution du Parlement européen du 8 juin 2011 sur les relations commerciales entre l’Union européenne et le Canada,

Vu le texte de l’accord finalisé lors du sommet bilatéral d’Ottawa du 26 septembre 2014,

Considérant le projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada qui opère une large libéralisation du commerce entre les deux parties, au-delà des accords de l’Organisation mondiale du commerce ;

Considérant le droit souverain des États et de l’Union européenne à mettre en œuvre des politiques publiques, notamment de santé publique, de protection de l’environnement, de protection sociale et de promotion de la diversité culturelle ;

Considérant le précédent que pourrait constituer un tel accord pour les négociations du projet de partenariat transatlantique en cours ;

1. Demande à la Commission européenne et au Conseil de l’ Union européenne d’ affirmer clairement la qualification juridique d’accord mixte de l’ accord économique et commercial entre le Canada et l’Union européenne ;

2. Exige que la portée et l’invocation du principe de précaution inscrit dans l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne puissent pas être remises en cause par les dispositions de l’accord ;

3. S’oppose à ce que les dispositions prévues en matière de coopération bilatérale en biotechnologie puissent aller à l’encontre de la réglementation européenne relative aux organismes génétiquement modifiés, notamment en matière d’étiquetage et de prévention de la contamination ;

4. Demande que soient définies avec précision les modalités de composition, de saisine, de décision et de contrôle du processus de coopération réglementaire ;

5. S’oppose à tout mécanisme d’arbitrage des différends entre les États et les investisseurs et demande en conséquence la révision substantielle des chapitres 10 et 33 sur la protection des investissements. »

 

II) Compte-rendu complet, extraits choisis :

« La Présidente Danielle Auroi. Notre commission s’est beaucoup impliquée dans le projet de partenariat transatlantique. Pour autant, les autres négociations en cours – avec le Mercosur, le Japon ou le Canada – méritent toute notre vigilance. S’agissant du Canada, le sommet qui s’est tenu à Ottawa le 26 septembre a annoncé la conclusion officielle des négociations lancées en 2009.

Le texte – pour le moment seulement en anglais – vient d’être rendu public et nous vous l’avons transmis. En tout état de cause, vu l’ampleur de ce document - 1 500 pages avec les annexes – il est bien trop tard pour mener un travail d’information et de mise en débat public. Cela pose la question récurrente de la transparence vis-à-vis de la société civile et des citoyens que nous représentons qui seront directement impactés par cet accord. Notre revendication de suivre de près les négociations sur le partenariat transatlantique se trouve ainsi légitimée.

Sur la procédure, le sommet d’Ottawa a ouvert la voie au processus d’approbation par le Conseil et le Parlement européen. L’accord devra ensuite être soumis à notre Parlement pour ratification dans la mesure où il sera qualifié d’accord mixte, c’est-à-dire comportant des dispositions autres que commerciales et touchant aux domaines de compétences partagées. Sur la qualification de l’accord, les déclarations faites début septembre par le négociateur en chef devant la Commission du commerce international du Parlement européen selon lesquelles l’accord ne serait pas mixte ont été heureusement démenties lors du sommet d’Ottawa par Karel De Gucht. Il serait en effet inacceptable que le Parlement français ne puisse pas se prononcer sur un accord de cette importance.

(….)

S’agissant de l’harmonisation des normes et la coopération réglementaire, le texte ne prévoit pas de mécanismes d’harmonisation ou de reconnaissance des normes mais prévoit des dispositions afin de faciliter la convergence des réglementations actuelles et futures, y compris celles touchant à la protection des consommateurs, des salariés ou de l’ environnement. C’est ce que l’on a appelé le « caractère vivant » de l’accord car les dispositions dites de « coopération réglementaire » permettront une co-écriture des réglementations bien après la ratification de l’accord. Le texte se caractérise par l’absence de précisions quant aux modalités de composition, de saisine, de décision et de contrôle du « forum de coopération réglementaire.

Le texte comprend un chapitre « Commerce et développement durable » dans l’ ensemble assez précis. Toutefois, au moment où est discuté le projet de loi sur la transition énergétique, il est permis de s’interroger sur la portée de la disposition qui permettrait aux États d’imposer certaines obligations aux entreprises installées sur son territoire à condition qu’elles ne soient pas « inutilement compliquées et prohibitives ». Le caractère vague de cette formulation ouvre la porte à certaines interprétations. Dans quelle mesure une interdiction de la fracturation hydraulique ne pourrait-elle pas être considérée comme inutilement « compliquée et prohibitive » ?

Ce chapitre prévoit également que les restrictions au commerce et à l’investissement du fait de réglementations environnementales ne seront admises que si « elles tiennent compte des informations scientifiques et techniques pertinentes ». N’est-ce pas là limiter la portée du principe de précaution qui a dans notre pays valeur constitutionnelle, d’autant que le texte prévoit qu’aucune des parties, face à des menaces sérieuses pour l’environnement, ne pourra invoquer le manque de certitude scientifique pour différer des mesures lorsqu’elles seront « rentables » ? Que se passera-t-il quand une collectivité publique décidera d’une mesure dont la rentabilité ne peut être estimée, par exemple, un moratoire ou la protection d’une zone fragile ?

(….)

S’agissant des marchés publics, le principe de non-discrimination entre opérateurs interdit toute possibilité de faire prévaloir les circuits courts ou d’introduire des critères de durabilité. Engager la transition écologique et sociale suppose de laisser aux collectivités publiques des possibilités juridiques d’agir faute de quoi elles seront susceptibles d’être attaquées par un entrepreneur estimant ses droits lésés. C’est là que l’on retrouve le point d’ achoppement principal de ce texte, l’inclusion d’un mécanisme d’arbitrage des différends sur les investissements . En effet, les chapitres 10 et 33 du projet d’accord traitent de la protection des investissements et prévoient la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends investisseur-État. Vous savez que l’inclusion d’un tel mécanisme dans le projet de partenariat transatlantique constitue l’une de nos lignes rouges définies notamment dans la résolution présentée par Mme Seybah Dagoma. Une telle clause a soulevé de telles réserves, notamment au Parlement européen et dans la société civile, que la Commission européenne a suspendu les négociations sur ce point et a organisé une consultation publique. Toute décision sur l’inclusion d’une telle clause avec les États-Unis est suspendue. Quelle est alors la légitimité de prévoir de telles dispositions dans l’accord avec le Canada, préjugeant de la suite qui serait donnée à la consultation dont les résultats ne seront connus que fin octobre ? Et si l’ Union européenne accepte ce précédent, comment pourra-t-elle défendre autre chose au cours des négociations transatlantiques ?

Que prévoit la clause de règlement des différends ? Sans se livrer à un examen détaillé, on peut à titre d’exemple relever deux points qui suscitent des interrogations particulières . D’abord , cette clause d’arbitrage permettra aux entreprises – canadiennes ou américaines ayant une filiale au Canada – de contester des lois ou décisions publiques qui affecteraient leurs profits et qui estimeraient donc être victimes d’une « expropriation indirecte ». De telles clauses dans d’autres accords ont ouvert la voie à la contestation d’une augmentation du salaire minimum en Egypte, de la sortie du nucléaire en Allemagne ou du message sanitaire sur les paquets de cigarettes en Australie. La notion d’expropriation indirecte est définie par un faisceau d’indices parmi lesquels le fait que les mesures ont un « effet sur la valeur économique de l’investissement » ou qu’elles aient un impact sur les « retours sur la valeur économique de l’investissement ». Ce flou dans la définition de l’expropriation indirecte constitue une épée de Damoclès pour la puissance publique et peut porter atteinte à la possibilité des États à réguler . Ensuite, l’organe de règlement des différends sera composé par trois arbitres internationaux choisis par les parties. Ces arbitres appliqueront les règles de l’accord, ce qui veut dire qu’aucun autre texte, de quelque nature que ce soit, ne sera pris en considération.

Ce type de mécanisme qui se caractérise par le flou des motifs pour lesquels les États peuvent être mis en cause, l’opacité des procédures, le coût des litiges, le risque de conflits d’ intérêts ne se justifie pas dans un accord entre deux États de droit. L’argument de la commission européenne selon lequel, si on revient sur le mécanisme de règlement des différends investisseur-État, ce serait l’ensemble de la négociation qu’il faudrait revoir ne tient pas. Le Gouvernement français a posé sur ces chapitres une réserve d’examen.

(…)

Enfin, sur une autre ligne rouge que notre commission a tracée dans le cadre du partenariat transatlantique – les OGM – ce projet d’accord suscite plus que des réserves. En effet, le Canada a été le premier pays à cultiver des OGM à grande échelle et la presque totalité de son colza est génétiquement modifié. L’accès aux marchés pour ce colza est pour ce pays d’une grande importance. D’ailleurs, un différend a longtemps envenimé les relations entre le Canada et l’Europe à l’OMC sur cette question. Les règles européennes et canadiennes sont très différentes que ce soit en matière d’étiquetage ou de contamination. Les exportations en provenance des États Unis ou du Canada sont refoulées des ports européens si elles sont contaminées : les autorités canadiennes ou américaines n’ont de cesse de demander que soit acceptée une présence d’OGM. Or le chapitre consacré à la « coopération bilatérale en biotechnologie » du projet d’accord ouvre la porte de l’Europe aux OGM canadiens. En effet, il y est prévu un dialogue portant – je cite – « sur toute répercussion commerciale liée à des approbations asynchrones de produits ou à la dissémination accidentelle de produits non autorisés » ou encore sur « toute mesure pouvant avoir des répercussions sur le commerce entre le Canada et l’Union européenne, y compris les mesures prises par les États membres ». Ces dispositions prennent un relief particulier quand on les rapproche de la lettre adressée en mars par le commissaire sortant à la santé Tonio Borg au ministre canadien de l’ agriculture dans laquelle il était indiqué que « la Commission assurera que les propositions pour l’autorisation de tous les OGM soient traitées aussi vite que possible ».

 

Lien complet (CR + résolution) www.assemblee-nationale.fr/14/europe/c-rendus/c0157.asp#P125_39556