EFSA, Avis scientifique sur l’analyse de l’ANSES relative aux méthodes d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux et des enjeux socio-économiques associés aux plantes obtenues au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques (NTG), juin 2024

Niveau juridique : Union européenne

Cet avis du groupe scientifique sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) de l’EFSA fait suite à la demande du Parlement européen de fournir un avis scientifique sur l’analyse par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) de l’annexe I de la proposition de règlement de la Commission européenne relative aux végétaux obtenus par certaines nouvelles techniques génomiques (NTG) et à leurs denrées alimentaires et aliments pour animaux, et modifiant le règlement (UE) 2017/625. Alors que l’avis de l’ANSES dénotait par sa dimension critique (voir fiche veille n°4121), la posture du groupe scientifique sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) de l’EFSA est plus attendue (voir fiche bip n°457). En effet, il considère qu’il est scientifiquement justifié de considérer les plantes NTG de catégorie 1 comme équivalentes aux plantes sélectionnées de manière conventionnelle au regard de la similitude des modifications génétiques et des risques potentiels.

Pour ce faire, le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA a distingué trois grandes questions dans l’avis de l’ANSES : celle de la clarification des définitions et du champ d’application, de la base scientifique des critères d’équivalence et enfin de la prise en compte des risques potentiels liés aux plantes NTG de catégorie 1. A partir de là, il reprend les questions de l’ANSES et y répond lui-même en s’appuyant sur les considérations scientifiques publiées dans les avis scientifiques antérieurs de l’EFSA :

  • en ce qui concerne la nécessité de clarifier les définitions et le champ d’application :

Le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA se penche tout d’abord sur la cisgénèse et l’intragénèse. Il valide la proposition de la Commission européenne (points 3a et 3b de l’annexe I) qui exclut l’intragenèse de la catégorie 1 des NTG, puisque l’annexe I fait explicitement référence à une « séquence d’ADN contiguë ». En effet, l’EFSA interprète le terme « contigu » comme une séquence d’ADN continue déjà présente dans le patrimoine génétique des sélectionneurs, sans réarrangements ni modifications. Or, l’avis scientifique actualisé de l’EFSA sur les plantes développées par cisgenèse et intragenèse (groupe scientifique OGM de l’EFSA, 2022) les définit comme des « modifications génétiques impliquant du matériel génétique obtenu de l’extérieur de l’organisme hôte et transféré à l’hôte à l’aide de diverses stratégies d’administration ». A cet égard, le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA valide a fortiori la proposition de la Commission européenne qui exclut la cisgénèse non ciblée dans le sens où l’annexe 1 (points 3, 4 et 5) fait référence aux modifications ciblées et exclut, en creux, les modifications non ciblées et donc doublement la cisgénèse non ciblée.

Le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA s’intéresse ensuite à la définition de « site ciblé ». A l’instar de l’ANSES, il considère que la définition de ce terme requiert une clarification. En effet, le « site ciblé » peut être interprété comme le site reconnu par la nucléase ou le lieu destiné à être modifié. Or, l’EFSA n’en donne pas de définition, même si elle considère qu’il renvoie à la séquence spécifique ciblée par la nucléase. Le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA propose donc d’expliciter cette définition dans la proposition de la Commission ou dans les lignes directrices de l’EFSA.

Le groupe scientifique sur les OGM s’intéresse enfin aux modifications non ciblées et non intentionnelles du génome de la plante. Il conclut que les mutations se produisant à d’autres endroits du génome que le site ciblé sont moins nombreuses que celles qui se produisent avec les techniques de mutagénèse aléatoire. De plus, lorsqu’elles se produisent, ces modifications seraient également des mêmes types que celles dérivées par les techniques de sélection conventionnelles. Ainsi, elles ne pourraient pas être distinguées des mutations spontanées (groupe scientifique OGM de l’EFSA, 2020).

  • à propos de la base scientifique des critères d’équivalence :

Le groupe scientifique sur les OGM souligne que le seuil du nombre de modifications génétiques pour les plantes NTG de catégorie 1 est prudent. En effet, la Commission propose, aux points 1 à 5 de l’annexe I, de ne pas dépasser 20 modifications génétiques de types définis. Or, selon les références citées par l’ANSES, ce nombre est 1000 à 10 000 fois plus élevé lorsque la mutagénèse aléatoire est utilisée. Ainsi, ce seuil semble convenir, même pour une décision de gestion des risques. Surtout, le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA considère, comme l’ANSES, que l’ampleur de la modification ne permet pas à elle seule d’informer sur ses conséquences fonctionnelles. Pour autant il souligne, non seulement que c’est également le cas pour les mutations provenant de plantes sélectionnées de manière conventionnelle, mais aussi que l’objectif est de trouver des critères d’équivalence, et non de définir des niveaux de risque. A cet égard, la méthodologie adoptée interroge : alors que l’ANSES se demande si les plantes NTG de catégorie 1 peuvent, ou non, être considérées comme équivalentes aux plantes conventionnelles, il semblerait que le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA tente, à rebours, de partir de cette équivalence donnée par la Commission pour l’étayer.

En revanche, il s’oppose à l’ANSES sur la question des délétions et des inversions. En effet, si, dans le rapport de l’ANSES, la littérature scientifique montre que les variations structurelles génomiques correspondent à de courtes délétions ou inversions, le groupe scientifique sur les OGM montre le contraire. Et de conclure que les inversions et délétions génomiques ne sont pas spécifiques aux plantes NTG mais peuvent être trouvées dans les plantes produites par des approches de sélection classiques (groupe scientifique OGM de l’EFSA, 2012b, 2020). C’est ainsi que le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA montre qu’il est scientifiquement justifié de considérer ces plantes comme équivalentes aux plantes sélectionnées de manière conventionnelle, en expliquant que les plantes contenant les types et les nombres de modifications génétiques utilisés comme critères d’identification des plantes NGT de catégorie 1 existent bien à la suite de mutations spontanées ou de mutagénèse aléatoire.

  • quant à la prise en compte des risques potentiels liés aux plantes NTG de catégorie 1 :

Le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA s’oppose aux conclusions de l’ANSES. Ce dernier conclut que les critères d’équivalence ne prennent pas en compte les risques potentiels et les conséquences fonctionnelles découlant des modifications permettant à un végétal NTG d’être considéré comme équivalent à un végétal conventionnel. Or, comme le souligne le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA, d’une part, les critères proposés par la Commission pour définir les plantes NTG de catégorie 1 visent à déterminer si une plante NTG donnée peut être considérée comme équivalente à des plantes sélectionnées de manière conventionnelle et n’ont donc pas pour but de définir des niveaux de risque. D’autre part, il ajoute qu’il n’a pas identifié de danger supplémentaire associé à l’utilisation des NTG par rapport aux techniques de sélection conventionnelles (groupe OGM de l’EFSA, 2020, 2022). Cette démarche, encore une fois, est surprenante dans le sens où le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA s’attarde sur une rhétorique méthodologique surprenante en considérant que la question du niveau de risque ne se pose pas dans le sens. Pour lui, il s’agit simplement de classer certaines plantes NTG comme équivalentes à des plantes sélectionnées de manière conventionnelle. Or, il semblerait tout aussi pertinent de traiter l’hypothèse scientifique inverse, à condition d’adopter une démarche scientifique critique, et pas simplement de chercher à justifier scientifiquement l’équivalence entre les plantes NTG et celles sélectionnées de manière conventionnelle. Le traitement laconique des études menées sur les risques potentiels liés aux plantes NTG, qui ne convoque pas la littérature scientifique, est symptomatique de ce parti pris méthodologique boiteux. Bref, il est surprenant que les critères d’équivalence entre les végétaux NTG et conventionnels choisis par le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA ne soient pas faits pour déterminer les niveaux de risque. En effet, la réglementation sur les OGM se structure précisément autour de l’évaluation des niveaux de risque, comme en témoigne l’omniprésence du principe de précaution en la matière. C’est pour cette raison que Pollinis, dans son communiqué de presse du 12 juillet 2024, souligne que « L’autorité européenne de sécurité des aliments élude par ailleurs la question des risques » (voir fiche veille n°4280).

Conclusion

Ce travail du groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA interroge. Tout d’abord, l’extrême synthétisation des travaux de l’ANSES en trois axes principaux simplifie à outrance la démarche adoptée. En outre, cette simplification semble servir un propos, certes clair, mais dont les conclusions opposées à celles de l’ANSES semblent se nourrir de leur travail. Cet avis semble donc développer un narratif - comme le montre la concision de l’avis publié - qui se distingue substantiellement du message de l’ANSES mais qui, en apparence, le développe. Cette impression témoigne également d’un choix méthodologique surprenant qui aboutit à un message univoque. En effet, le groupe scientifique sur les OGM montre que les mutations produites sciemment ou incidemment par les nouvelles techniques génomiques de catégorie 1 sont semblables aux mutations spontanées. Or, il semblerait qu’une seule hypothèse ait été testée, à savoir l’existence de critères d’équivalence entre les végétaux NTG et les végétaux conventionnels. C’est-à-dire que la mise à l’écart méthodologique, puis le traitement laconique, de l’équivalence du niveau de risque entre les végétaux NTG et conventionnels laisse penser que l’hypothèse inverse n’a pas été testée, à savoir l’existence de critères dissociant les végétaux NTG des conventionnels. Bref, le groupe scientifique sur les OGM de l’EFSA donne l’impression de chercher à montrer les critères d’équivalence entre les végétaux NTG de catégorie 1 et les conventionnels et de mettre de côté les critères qui pourraient fragiliser cette équivalence, à l’instar des risques potentiels.

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