Niveau juridique : France
Cet avis de l’ANSES s’inscrit dans le cadre de la saisine n° 2021-SA-0019 du 28 janvier 2021 faite par la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de l’Ecologie et la Direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’Agriculture « Demande d’avis relatif aux travaux de fond sur les méthodes d’évaluation des risques liés à l’utilisation des OGM en alimentation animale et humaine ». Suite à la reprise par l’Anses de certaines missions du Haut conseil des biotechnologies (HCB) depuis le 1erjanvier 2022, le contrat d’expertise entre l’agence et ses ministères commanditaires (mai 2022) précise que le champ de cette saisine a été élargi aux aspects environnementaux et socio-économiques. A l’origine, cette saisine avait clairement pour objectif de préparer les discussions à venir au niveau européen sur les plantes issues de nouvelles techniques génomiques (NTG), la Commission ayant d’ors et déjà annoncé son intention de lancer une initiative législative pour les plantes issues de mutagénèse dirigée (ou ciblée) et de cisgénèse.
Les deux principaux objectifs de l’expertise étaient de :
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déterminer si des adaptations pourraient être apportées aux requis réglementaires actuels de l’évaluation des risques (sanitaires et environnementaux) des plantes génétiquement modifiées lorsque l’évaluation porte sur des plantes issues de mutagénèse dirigée (ou ciblée) ;
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documenter et analyser les enjeux socio-économiques associés aux NTG
Plus spécifiquement, ces deux objectifs ont été déclinés en six questions à instruire (questions 1 à 4 pour le premier objectif et questions 5 et 6 pour le second objectif) :
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Question 1 : établir un état des connaissances sur les effets non désirés potentiels au niveau du génome, à la cible et hors cible, en cas de mutagénèse dirigée réalisée au moyen du système CRISPR-Cas ;
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Question 2 : déterminer les requis spécifiques en termes d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux pour les plantes issues de mutagénèse dirigée réalisée au moyen du système CRISPR-Cas ;
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Question 3 : déterminer, pour les plantes issues de mutagénèse dirigée réalisée au moyen du système CRISPR-Cas, à quels requis réglementaires actuels de l’évaluation des plantes génétiquement modifiées il est possible de déroger ;
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Question 4 : selon l’état d’avancement des questions précédentes, déterminer comment le référentiel actuel d’évaluation des OGM pourrait être adapté pour les plantes issues de mutagénèse dirigée réalisée au moyen du système CRISPR-Cas ;
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Question 5 : établir un descriptif de la filière ou des filières concernées par l’utilisation de plantes obtenues au moyen de NTG et les produits issus de ces plantes,de l’amont vers l’aval de la chaîne de valeur ;
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Question 6 : sur cette base, documenter et analyser les enjeux socio-économiques associés, en premier lieu pour les entreprises et opérateurs économiques concernés, s’agissant notamment de la compétitivité et de la capacité d’innovation, et en second lieu et selon l’état des données disponibles, pour les consommateurs et les autorités de contrôle.
Ce rapport présente une position bien plus critique envers les plantes issues de nouvelles techniques génomiques que celle habituellement soutenue par le Gouvernement français, qui est plutôt favorables à ces dernières (sa seule (petite) réserve portant sur les questions de propriété industrielle). Un article du Monde, publié le 3 mars, révèle d’ailleurs que ce dernier aurai sciemment retardé sa publication, afin que celle-ci n’intervienne qu’après le vote sur le texte au Parlement européen, le 7 février dernier. En effet, le rapport a été signé dès le 22 janvier 2024 par le directeur de l’ANSES, et a été directement transmis au Gouvernement. La date initiale de publication était prévue au 2 février 2024, soit avant le vote au Parlement européen. Mais sa publication aurai été stoppée sur « pression politique ». En tout état de cause, le rapport n’a finalement été publié sur le site de l’ANSES que le 6 mars 2024… De là à y voir une manœuvre de rétention du Gouvernement il n’y a qu’un pas qu’il semble aisé de franchir, dans la mesure où la position de l’ANSES entre en opposition frontale avec le discours officiel français.
Extraits du communiqué de présentation : (passages en gras soulignés par nos soins)
Une évaluation des risques au cas par cas, adaptée aux plantes NTG
« Les experts de l’Anses ont étudié les risques associés aux plantes obtenues au moyen de NTG, particulièrement celles issues de mutagénèse dirigée réalisée au moyen du système CRISPR-Cas, et leurs méthodes d’évaluation. Suite à cette analyse, l’Agence estime que le référentiel actuel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des plantes génétiquement modifiées n’est que partiellement adapté à l’évaluation de ces nouvelles plantes.
Ainsi, l’Agence propose une évaluation au cas par cas prenant à la fois en compte la précision de la technique utilisée et les caractéristiques de la plante obtenue une fois le génome modifié, en tenant également compte de l’ensemble des potentielles conséquences toxicologiques, nutritionnelles, agronomiques et environnementales des nouvelles caractéristiques. Elle a ainsi élaboré un arbre de décisions adapté à une approche graduée des risques. « Pour élaborer ce référentiel d’évaluation précis et complet, les experts se sont notamment appuyés sur les données de la littérature et des études de cas représentatives des nombreuses applications possibles. Il s’agit d’un arbre de décision qui permet de proposer, selon les cas, le maintien du cadre d’évaluation actuel ou bien une évaluation simplifiée ou adaptée. Le choix d’une évaluation allégée se fait en comparant les caractéristiques moléculaire, phytochimique, nutritionnelle et agronomique de la plante obtenue avec les données disponibles dans la littérature scientifique » explique Youssef El Ouadrhiri, chef de l’unité biotechnologies à l’Anses.
Si la mutation reproduit une modification du génome observée dans la nature ou déjà obtenue par des techniques traditionnelles, et pour laquelle aucun risque n’a été identifié, l’Anses ouvre la possibilité d’alléger le référentiel d’évaluation des risques.
Pour l’Anses, certains risques identifiés pour les NTG ne sont pas radicalement différents de ceux découlant des techniques de transgénèse mais le niveau d’exposition aux plantes obtenues pourrait être beaucoup plus important si l’on considère la diversité des applications possibles. De ce fait, l’Agence soulignel’importance de la surveillance post mise sur le marché et recommande la mise en place d’un mécanisme global de suivi des plantes NTG et produits dérivés pour surveiller l’apparition d’effets sanitaires et environnementaux, mais aussi pour observer l’évolution des pratiques culturales associées à ces plantes. Une telle surveillance permettrait à la fois de compléter les connaissances, encore limitées, sur les plantes et produits issus de NTG et de renforcer la sécurité sanitaire et environnementale liée à l’utilisation de ces produits.
Sur base des requis réglementaires qui seront finalement décidés, l’Anses appelle enfin à l’élaboration de lignes directrices communes afin de limiter les différences d’appréciation de l’évaluation des risques selon les pays de l’Union européenne.
Quels enjeux socio-économiques liés au développement des plantes NTG ?
Les experts de l’Anses ont par ailleurs analysé les implications socio-économiques potentielles, selon différents scénarios d’évolution réglementaire possibles concernant les plantes NTG. L’expertise identifie ainsi les secteurs d’activités et acteurs potentiellement concernés par les plantes NTG pour quatre filières agricoles (tomate, blé tendre, carotte et vigne), représentatives de la variété des applications possibles des NTG et des situations en termes de développement variétal, de production, de commercialisation et de consommation en France.
Étant donné les spécificités de chaque filière, il est probable qu’une introduction de plantes ou produits issus des NTG dans l’Union européenne ne les affecterait pas de la même manière. L’Anses a identifié plusieurs enjeux majeurs à prendre en compte dans la réglementation, comme la propriété intellectuelle liée aux brevets autour de la création variétale et la concentration du secteur, ou encore l’information du consommateur. Même si les connaissances nécessitent d’être consolidées sur ces questions, l’Anses recommande aux autorités d’être vigilantes pour limiter les déséquilibres entre acteurs en matière de partage de la valeur et d’éviter les abus de position dominante sur les marchés. Les attentes de traçabilité et de détectabilité des NTG peuvent aussi avoir d’importantes conséquences pour les filières.
Par ailleurs, l’Agence souligne la diversité des motivations qui peuvent conduire au développement d’innovations variétales : l’accroissement de l’efficacité ou de l’efficience de la production agricole et agro-industrielle, les stratégies de différenciation sur les produits, la réponse à des enjeux sanitaires, environnementaux ou sociétaux. Ces diverses motivations pourraient être traitées de façon différenciée dans le dispositif législatif et réglementaire à venir. Le soutien de la recherche publique serait aussi déterminant pour garantir les capacités de développement d’innovations dans la perspective d’une plus grande durabilité du système agricole et alimentaire européen.
Une nécessaire mise en débat la plus ouverte et éclairée possible
Ce travail d’expertise montre combienles controverses liées aux plantes et produits issus des NTG excèdent le champ de la sécurité sanitaire et s’étendent à un ensemble beaucoup plus large de préoccupations relatives aux modèles de production agricole et à la place des technologies génomiques dans un objectif de transition agroécologique. « Modifier la réglementation pour tenir compte des NTG engage des choix de société car différents impacts économiques et sociétaux sont aussi dans la balance. Ce travail d’expertise de l’Anses permet d’identifier toutes les questions qu’il faut se poser afin de garantir une mise en débat la plus ouverte et éclairée possible » explique Brice Laurent, directeur Sciences sociales, économie et société à l’Anses. »
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