Niveau juridique : France
Cette proposition de résolution européenne vient fusionner deux propositions de résolutions européennes sur le même sujet déposées parallèlement par deux groupes de député.e.s (par une cinquantaine de député.e.s socialistes – voir fiche veille 4 139 et par 8 député.e.s écologistes – fiche veille 4 140)
Dans l’exposé des motifs, les député.e.s défendent que « Avec sa proposition, la Commission tend à accréditer l’idée que les NTG ne sont pas des OGM. Ce retour en arrière est défendu depuis des années par les géants de l’industrie agroalimentaire ([1]) au mépris du principe de précaution et du droit à l’information des consommateurs et consommatrices. Récemment critiquée par un avis de l’ANSES ([2]) qui remet en cause le fondement même de la proposition de la Commission, cette nouvelle réglementation inquiète de nombreux paysans et paysannes, distributeurs et associations de consommateurs. Bien évidemment, notre position ne consiste pas à aller à l’encontre de la recherche scientifique. De fait, la réglementation appliquée aux OGM depuis plus de deux décennies sur le territoire européen n’a aucunement bridé la recherche agronomique. Cependant, en l’état actuel, une telle dérégulation, sans garde‑fous pour les États membres, est en totale incohérence avec les objectifs d’alimentation durable, de sécurité alimentaire et d’information des consommateurs et consommatrices qui sont au cœur de la transition alimentaire de demain. »
Parmi les arguments mis en avant ressortent :
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Une analyse scientifique infondée : « Le postulat aujourd’hui utilisé par la Commission est le suivant : les plantes issues des NTG sont similaires à ce que la nature pourrait produire. Cette analyse est très largement contestée, notamment par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). (…)L’absence de justification scientifique inquiète d’autant plus que la mise en culture de NTG est loin d’être anodine pour la santé des consommateurs et pour l’environnement. »
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Des risques sanitaires et environnementaux non négligeables : « L’étendue des impacts des « nouveaux OGM » sur la santé humaine est aujourd’hui très peu détaillée. Au lieu d’être supprimée, l’évaluation des risques devrait donc être un prérequis avant toute autorisation. (…) À ce risque sanitaire s’ajoutent des risques environnementaux qui commencent à peine à être documentés. Plusieurs chercheurs mettent ainsi en avant les potentiels « effets hors cibles » de certaines de ces technologies, c’est‑à‑dire des impacts non anticipés sur des secteurs génétiques non supposés être affectés par la modification génétique initiale. Une étude de l’Agence fédérale allemande de conservation de la nature ([3]) évoque également différents impacts potentiels des NTG qui provoqueraient la création de variétés plus invasives et plus résistantes aux pesticides, ce qui appauvrirait encore davantage la biodiversité agricole et la santé des sols. Une autre inquiétude se focalise sur la création des « super variétés » ultra résilientes issues de NTG, qui pourraient à long terme écraser la diversité agricole et uniformiser les paysages. (…) Enfin, la nouvelle réglementation pourrait déréguler complètement des plantes ayant des propriétés insecticides fatales pour de nombreuses espèces d’insectes, dont les pollinisateurs. »
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Une nouvelle dépendance pour nos agriculteurs et agricultrices : « En l’état actuel, il permettrait à quelques multinationales des semences d’accroître leur contrôle sur le secteur agricole et in fine sur notre souveraineté alimentaire. La perspective de brevets sur les traits génétiques édités serait ainsi une catastrophe pour nos cultivateurs qui devraient faire face à un coût d’achat encore plus important, à l’heure où l’inflation alimentaire et la rémunération de nos agriculteurs sont deux priorités nationales. La question du monopole des semences par quelques multinationales pose aussi celle de la souveraineté alimentaire de notre pays. »
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Une atteinte au droit à l’information : « Alors que certaines études démontrent que plus de 90 % des consommateurs français souhaitent que soit indiquée l’inscription « nouveau OGM » sur leurs emballages ([4]), la proposition de la Commission, faute d’exigence en matière d’étiquetage, ne permettra plus au consommateur d’être éclairé sur ce qu’il achète. »
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Un véritable risque pour la filière bio : « le manque de traçabilité des semences ne permettra pas aux distributeurs et aux marques, de garantir que leur production ne contient pas d’OGM. De même, les contaminations entre cultures ne permettront plus aux paysans et paysannes de garantir que leur production ne contient pas d’OGM, (…). Cette contamination, provoquée par la pollinisation, mais aussi par le vent ou les manipulations tout au long de la chaîne de production, menace le développement et la confiance des consommateurs envers la filière bio en France. »
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Une dérégulation sans possibilité d’opt-out national : « La suppression des « clauses de sauvegarde », principe pour lequel la France s’était largement battue lors des négociations sur la directive qui régit depuis 2001 la culture et la commercialisation des OGM de première génération, ne permettra plus à un État de revenir en arrière. En l’état actuel de la rédaction, il serait donc impossible pour un État membre de refuser de cultiver ou d’importer des « nouveaux OGM » alors même que ces quinze dernières années, deux gouvernements français, l’un de gauche et l’autre de droite, ont pris des décisions en ce sens. Il est donc impératif que la France porte, lors des négociations futures, le retour de clause de sauvegarde, seul garde‑fou à l’échelle nationale – il en va de notre souveraineté agricole. »
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Une maladaptation face à la crise environnementale : « Si, par la présente résolution, nous alertons sur les dangers d’une telle dérégulation, c’est également parce que l’histoire des OGM nous incite à la prudence. Comme pour les NTG aujourd’hui, les variétés d’OGM « classiques » étaient également supposées créer des plantes plus résistantes aux aléas climatiques et ainsi favoriser la souveraineté alimentaire européenne et mondiale. Trente ans après, le résultat est très éloigné des ambitions initiales. (…) À ce stade, rien n’indique que les plantes obtenues via NTG soient durables, ou résistent à des stress hydriques ou à des hausses de température. De telles caractéristiques ne reposent pas sur un gène mais sur une combinaison et une interaction entre de nombreux gènes. Au‑delà de la plante elle‑même, la résistance à la sécheresse ou tout autre trait lié à la durabilité dépendent surtout de facteurs environnementaux externes, en particulier la qualité du sol, les conditions climatiques, la biodiversité locale et les pratiques agricoles, facteurs sur lesquels les manipulations génétiques n’auront aucune prise. Bien qu’elles soient présentées comme une solution face à la raréfaction de la ressource en eau, les plantes obtenues via des NTG ne permettront sans doute pas la mise en œuvre de la transition du monde agricole, pourtant nécessaire. Au contraire : présentées comme un vecteur d’adaptation, elles serviront d’alibi pour ne pas activer les véritables leviers de la transition, et constituent en cela une maladaptation au changement climatique et à la crise environnementale en général. (…) »
Texte de la résolution :
« L’Assemblée nationale (…)
Considérant que le Traité de fonctionnement de l’Union européenne dispose que le niveau de protection des consommateurs au sein de l’Union européenne doit être élevé, qu’il instaure un principe de précaution en matière environnementale impliquant que la législation en la matière doit tenir compte des données scientifiques et techniques disponibles, et que les États membres peuvent prendre des mesures de protection renforcées,
Considérant que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne « Confédération paysanne e.a. contre Premier ministre et ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt », du 25 juillet 2018, précise que les plantes issues des nouvelles techniques génomiques doivent être soumises aux mêmes règles que celles régissant les organismes génétiquement modifiés,
Considérant que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2023 précitée, dit règlement « NTG », a pour objectif de proposer une nouvelle législation relative aux plantes issues de ces nouvelles techniques, que ce soit par cisgenèse ou mutagenèse,
Considérant que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2023 précitée, dit règlement « NTG », propose de distinguer deux catégories de plantes, les nouvelles techniques génomiques de catégorie 1, qui ne comprendraient pas plus de « vingt modifications » et seraient de ce fait dites équivalentes aux plantes conventionnelles, et les nouvelles techniques génomiques de catégorie 2, qui comprendraient plus de vingt modifications,
Considérant que les nouvelles techniques génomiques de la première catégorie échapperaient aux restrictions relatives à la législation propre aux organismes génétiquement modifiés tandis que celles de la seconde catégorie y resteraient partiellement soumises,
Considérant que dans son avis scientifique, du 23 novembre 2023, le groupe de travail « Biotechnologies » de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, a précisé que le nombre de « vingt modifications » pour poser un principe d’équivalence entre les plantes issues des nouvelles techniques génomiques et les plantes obtenues par des techniques d’obtention conventionnelles n’avait aucune pertinence scientifique,
Considérant que la proposition de règlement issue du vote au Parlement européen, le 6 février 2024, ne tient pas compte de l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail du 23 novembre 2023 précité, et ne modifie pas la catégorie 1 des nouvelles techniques génomiques,
Considérant également que cette proposition de règlement ne prévoit pas de « clause de sauvegarde » (opt‑out) pour les États membres ne souhaitant pas le mettre en œuvre,
Considérant que la première génération d’organismes génétiquement modifiés n’a pas tenu ses promesses et n’a pas permis de réduire l’utilisation d’herbicides et de pesticides sur les surfaces cultivées,
Considérant que toute nouvelle technologie doit faire l’objet d’un contrôle accru en amont de son autorisation, notamment pour évaluer les possibles risques sanitaires, écologiques, socio‑économiques ainsi que sur la souveraineté française en fonction du principe de précaution tel que reconnu par le Traité de fonctionnement de l’Union européenne,
1. À titre principal, demande au Gouvernement français de garantir que toutes les plantes issues des nouvelles techniques génomiques continuent à être réglementées par la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, étant donné l’absence de consensus scientifique au niveau européen et l’alerte donnée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sur le manque de scientificité du règlement,
2. À défaut, demande au Gouvernement, lors du prochain Conseil de l’Union européenne, de défendre le principe d’adoption d’une « clause de sauvegarde » (opt‑out) permettant à chaque État membre de refuser l’application de cette législation sur son territoire conformément au principe de subsidiarité en matière environnementale, tel que défini par le Traité de fonctionnement de l’Union européenne,
3. Prend acte de l’adoption par le Parlement européen de la proposition de règlement issue de ses travaux, et notamment des modifications suivantes :
– de conserver dans la catégorie 1 uniquement les plantes ayant une incidence positive en termes de durabilité sur l’agriculture,
– d’exclure de cette catégorie les plantes tolérantes aux herbicides,
– de mettre en place des plans de surveillance des cultures des plantes issues des nouvelles techniques génomiques,
– de prévoir une procédure de retrait de ces produits en cas de problème environnemental ou sanitaire,
– d’interdire la culture des nouvelles techniques génomiques en agriculture biologique,
– d’interdire la brevetabilité des produits issus des nouvelles techniques génomiques,
– de rendre obligatoire leur traçabilité ainsi que leur étiquetage pour les consommateurs,
4. Demande également au Gouvernement, faute de parvenir à garantir que toutes les plantes issues des nouvelles techniques génomiques continuent à être réglementées par la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil, de conserver les modifications votées par le Parlement européen pour définir une position lors du prochain Conseil de l’Union européenne,
5. Invite le Gouvernement à s’assurer que le Conseil de l’Union européenne prendra en compte l’avis scientifique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, ainsi que celui de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, avant d’adopter une position sur le texte. »
([1]) En mars 2021, une série de documents intitulés « Crispr Files » avait été publiée par l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO). Elle révélait le lobbying des géants de l’agronomie et des chercheurs en biotechnologie au sein de la Commission européenne sur la dérégulation des NTG.
(2) Avis de l’Anses Saisine n° 2023-AUTO-0189, relatif à l’analyse scientifique de l’annexe I de la proposition de règlement de la Commission européenne du 5 juillet 2023 relative aux nouvelles techniques génomiques (NTG) – Examen des critères d’équivalence proposés pour définir les plantes NTG de catégorie 1
([3]) Bohle, F., Schneider, R., Mundorf, J., Zühl, L., Simon, S., & Engelhard, M. (2023). Where Does the EU-Path on NGTs Lead Us?. Preprints.doi.org/10.20944/preprints202311.1897.v1
([4]) Sondage - Les Français et les (nouveaux) OGMs – mai 2022, Kantar Public/Greepeace
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