Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à l’analyse scientifique de l’annexe I de la proposition de règlement de la Commission européenne du 5 juillet 2023 relative aux nouvelles techniques génomiques (NTG) – Examen des critères d’équivalence proposés pour définir les plantes NTG de catégorie 1, Saisine n° 2023-AUTO-0189

Niveau juridique : France

Suite à la publication de la proposition de règlement de la Commission relative aux plantes issues de certaines techniques génomiques, l’ANSES a décidé, le 6 novembre 2023, de s’auto-saisir pour réaliser une expertise sur les critères d’équivalence proposés pour définir les plantes NTG de catégorie 1. Comme indiqué dans son introduction, cet avis vise à éclairer la préparation de la décision publique présidant à l’adoption de la réglementation.

En effet, la présente proposition établi une distinction entre les végétaux NGT de catégorie 1, qui échappent à la législation sur les OGM, et les végétaux NGT de catégorie 2, qui bénéficient d’aménagement dans le cadre de la législation sur les OGM.

Cette analyse, confiée au groupe de travail « Biotechnologie » avait pour objectif de répondre à la question suivante : dans quelle mesure les plantes définies comme appartenant à la catégorie 1 des NGT peuvent-elles être effectivement considérées comme équivalentes à des plantes conventionnelles ?

Le GT a analysé les critères énoncés en annexe I de la proposition de règlement, conjointement avec la définition des plantes NTG de catégorie 1, en s’appuyant principalement sur le document technique5 des services de la Commission européenne du 16 octobre 2023 (voir fiche veille 4062).

Les conclusions du GT « Biotechnologies » sont de trois ordres : des besoins de clarification de définitions ou de champ d’application, la question de la justification scientifique des critères, et enfin la prise en compte des risques potentiels dans les critères d’équivalence. De façon plus globale, il critique également le choix fait par la Commission de différencier le cadre réglementaire selon les modifications obtenues, et non selon les techniques utilisées, une approche qui, selon lui, n’a pas de fondement scientifique.

L’Anses, si elle partage le constat des experts du GT sur la non prise en compte, dans les critères d’équivalence, des conséquences fonctionnelle ou des risques potentiels, rappelle que cette situation prévaut d’ors et déjà dans l’encadrement actuel des OGM par la directive 2021-18 (dans la mesure où seuls les OGM issus de transgénèse doivent présenter un dossier détaillant la maîtrise ou l’absence de risques, ce qui n’est pas le cas de celles issues des techniques exemptées de réglementation, comme la mutagénèse aléatoire). Toutefois, elle estime que de ce fait, « les termes et les définitions doivent être particulièrement clairs et univoques ». Aussi, l’Anses endosse et soutient les demandes de clarification des experts. En particulier, elle souhaiterai une définition des végétaux conventionnels.

L’Anses endosse également les conclusions du GT « Biotechnologie » relatives à différentes limites dans les justifications scientifiques des critères d’équivalence. L’Agence souligne notamment que la piste de remplacer certains seuils en valeur absolue par des seuils dépendant de la longueur des génomes des plantes serait à considérer.

Extraits (passages en gras soulignés par les auteur.ices.s) :

« 3.2.Analyse des critères d’équivalence proposés dans l’Annexe I

3.2.1. Énoncé des critères d’équivalence entre les végétaux NTG et les végétaux conventionnels (…)

Seuil maximal des 20 modifications

Le document technique des services de la Commission européenne (EC, 2023) justifie ce seuil par l’objectif d’exclure les plantes NTG avec des modifications complexes dont il serait peu probable qu’elles puissent être obtenues par des techniques d’obtention conventionnelles. Dans ce document, l’exemple de l’obtention d’une lignée de blé avec un taux de gluten réduit illustre la capacité de CRISPR-Cas9 de modifier simultanément jusqu’à 35 des 45 gènes codant la protéine alpha-gliadine présents chez le blé (Sánchez-León et al., 2018). Ce résultat ne pouvant être atteint par des techniques conventionnelles, la plante NTG ainsi modifiée ne peut être considérée comme équivalente à une plante conventionnelle.

Si l’objectif recherché par un tel seuil est clair, le GT considère que le nombre de 20 choisi comme seuil maximal de modifications génétiques acceptées pour qu’une plante NTG soit considérée équivalente à une plante conventionnelle n’est pas justifié. Le document technique s’appuie sur l’identification d’un nombre de 30 à 100 mutations générées par mutagenèse aléatoire par plante. Le GT considère que cette comparaison semble peu pertinente considérant que le nombre de ces mutations varie selon l’intensité du traitement mutagène et que les mutations non désirées sont ensuite éliminées par l’obtenteur par ségrégation génétique, ce qu’il ne ferait pas nécessairement suite à une mutagenèse ciblée.

Par ailleurs, sur une telle base d’équivalence numérique, il serait attendu que la définition d’un seuil de modifications génétiques par génome dépende de la taille du génome et ne soit donc pas fixée dans l’absolu. Si un parallèle est fait avec le nombre de mutations générées par mutagenèse aléatoire, il est attendu qu’à densité équivalente de mutations dans le génome, un nombre plus grand soit généré dans un génome plus grand.

Pour ce qui est de la considération de la ploïdie, le GT note que chez les polyploïdes, un nombre supérieur de modifications devra être réalisé pour obtenir un phénotype donné du fait de la redondance fonctionnelle des gènes homéologues. Par exemple, chez le blé hexaploïde, la modification ciblée des trois allèles homéologues du gène MLO a été nécessaire pour obtenir une résistance à l’oïdium des céréales (Wang et al., 2014). Ainsi, pour un seuil de modifications génétiques donné, les plantes à basse ploïdie seront favorisées en ce qu’elles auront la possibilité d’accumuler davantage de modifications génétiques uniques.

Par ailleurs, la probabilité d’obtenir des mutations similaires sur différents homéologues par des techniques d’obtention conventionnelles étant infime, il semble cohérent que ces plantes atteignent moins facilement le statut de catégorie 1 du fait de la complexité des modifications effectuées par NTG.

D’un autre côté, s’il est avéré que ces mutations existent dans le pool génétique des obtenteurs, l’obtention d’une telle lignée par des techniques conventionnelles ne serait pas impossible mais juste extrêmement laborieuse du fait du grand nombre de croisements qu’elle nécessiterait. Dans ce cas particulier où la mutagenèse ciblée faciliterait et accélérerait l’obtention d’une combinaison de modifications qui pourraient également être obtenues par des techniques conventionnelles, l’équivalence serait justifiée.

Cette réflexion montre qu’un seuil numérique n’est pas toujours le critère le plus pertinent pour décider de l’équivalence d’une plante NTG à une plante conventionnelle. (…)

3.2.3. Autres commentaires généraux

3.2.3.1.Points à clarifier

Le GT « Biotechnologie » considère que, dans son ensemble, l’annexe I manque de clarté.

Le GT souligne que :

  • certains termes ne sont pas définis dans la proposition de règlement et demandent à être clarifiés (végétaux conventionnels, site ciblé, similarité, gène, séquence d’ADN contiguë) ;

  • a contrario, certains termes définis dans la proposition de règlement ne sont pas utilisés dans l’annexe I alors qu’ils seraient éclairants, comme mutagenèse, cisgenèse et intragenèse ;

  • les termes à la fois définis dans la proposition de règlement et utilisés dans l’annexe I prêtent à confusion, comme « végétaux NTG », qui désignent un sous-ensemble des végétaux obtenus par NTG.(…)

3.2.3.2.Questions en termes de fondement scientifique

Le document technique de la Commission affirme que « des modifications génétiques similaires obtenues par différentes techniques ne sont pas supposées présenter différents risques », et « si certains types et nombres de mutations peuvent être introduits par des techniques d’obtention conventionnelles autant que par des NTGs, alors le type de caractères associés à ces mutations ne diffèreront pas entre ces techniques ». Il en conclut qu’il est suffisant de ne considérer que le type et le nombre de mutations pour évaluer l’équivalence entre ces plantes, et qu’il n’est pas nécessaire de considérer les effets associés.

Le GT « Biotechnologie » considère qu’il n’y a pas de fondement scientifique sous-tendant une équivalence de type de caractères ou de niveau de risques entre deux catégories de plantes sur la base d’un contenu équivalent en variations ou modifications génétiques qui seraient uniquement définies par leur type, leur taille et leur nombre.

Le GT rappelle que la variabilité génétique ou les variations génétiques observables dans la nature sont le produit de milliers d’années d’évolution, de dérive ou de sélection naturelle. Les variations ou modifications génétiques observées dans les variétés produites par des techniques d’obtention conventionnelles ont passé le crible de la sélection par les obtenteurs. Dans les deux cas, les variations ou modifications génétiques associées à des effets délétères sont éliminées, que ce soit par rapport à la fitness de la plante ou à sa valeur sélective dans la nature, ou par rapport aux caractéristiques agronomiques et qualitatives recherchées par l’Homme dans les programmes de sélection conventionnelle. L’élimination ou la sélection de ces variations et modifications ne se fait pas par rapport à leur type, leur taille ou leur nombre, mais par rapport à leurs éventuelles conséquences sur une fonction biologique.

Le GT « Biotechnologie » souligne que les conséquences fonctionnelles ou biologiques d’une variation ou modification génétique donnée ne sont pas déterminées par son type ou sa taille.

Si l’on analyse néanmoins la démarche d’équivalence proposée, qui se concentre donc sur les types, les tailles et le nombre de modifications génétiques, le GT « Biotechnologie » estime que les seuils à ne pas dépasser, fixés à un nombre de 20 modifications génétiques par plante, au site ciblé et aux séquences similaires, et à une taille de 20 nucléotides pour les insertions et les substitutions, ne sont pas justifiés. Pas plus que l’acceptation de toute délétion et de toute inversion sans conditions, ou, dans une moindre mesure, d’une cisgenèse ciblée sans conditions d’orthologie sur la cible.

L’absence de considération des modifications potentielles hors des sites ciblés et des séquences similaires (à l’exception des éléments transgéniques, de par la définition du végétal NTG) n’est pas justifiée non plus.

3.3.Conclusions du Groupe de travail « Biotechnologie »

Le GT « Biotechnologie » rappelle le contexte de cette autosaisine : La proposition de règlement relative aux NTG adoptée le 5 juillet 2023 par la Commission européenne propose de soustraire de la législation OGM certaines plantes génétiquement modifiées par des NTG au motif qu’elles seraient équivalentes à des plantes conventionnelles.

Pour ce faire, elle propose des critères d’équivalence qui permettraient d’assurer que les plantes NTG qui les respecteraient (plantes NTG de catégorie 1) auraient pu être produites au moyen de techniques d’obtention conventionnelles.

Le GT « Biotechnologie » rappelle la question clef de l’autosaisine : dans quelle mesure les plantes ainsi définies peuvent-elles être effectivement considérées comme équivalentes à des plantes obtenues par des techniques conventionnelles ?

Pour y répondre, le GT « Biotechnologie » s’est d’abord attaché à clarifier les critères d’équivalence proposés, explicitant les termes et notions nécessaires pour les comprendre et délimitant les différents ensembles de techniques concernées, capables de générer les modifications génétiques considérées. Il a ensuite approfondi son analyse scientifique, critère par critère, et soulevé un certain nombre de questions, mettant en évidence les limites associées et examinant plus largement leur fondement scientifique.

A l’issue de ses travaux, le GT « Biotechnologie » retient les points suivants :

1) Manque de clarté :

  • Les critères d’équivalence manquent singulièrement de clarté, notamment par l’utilisation de termes non univoques (site ciblé, similarité, gène, pool génétique des obtenteurs, séquence d’ADN contiguë) ;

  • Les critères se focalisent uniquement sur des modifications génétiques localisées dans un « site ciblé » et des séquences similaires. Le « site ciblé » et les séquences similaires sont à définir ; leur définition conditionnera les modifications génétiques considérées ;

  • L’exclusion de plantes intragéniques des plantes NTG de catégorie 1 n’est pas explicitement indiquée dans les critères et devrait être clarifiée ;

  • L’exclusion de plantes obtenues par cisgenèse non ciblée des plantes NTG de catégorie 1 n’est pas explicitement indiquée dans les critères et devrait être clarifiée.

2) Insuffisance de justifications scientifiques de l’équivalence recherchée entre des plantes NTG respectant les critères proposés et des plantes conventionnelles :

  • Le seuil maximal de modifications génétiques acceptables proposé est insuffisamment justifié ;

  • La possibilité ou la probabilité qu’une modification ou une combinaison de modifications donnée soit obtenue par des techniques conventionnelles devrait être considérée ;

  • Sur la base de l’analyse des pan-génomes, l’acceptation de délétions et inversions sans conditions de taille n’est pas scientifiquement justifiée ;

  • L’absence de considération des modifications génétiques non intentionnelles potentiellement localisées hors des sites ciblés et des séquences similaires (à part les éléments transgéniques) n’est pas justifiée.

3) La non prise en compte de la relation des critères d’équivalence proposés au risque :

  • Le document technique indique que des catégories de plantes qui seraient équivalentes en type, taille et nombre de variations ou modifications génétiques seraient équivalentes en type de caractères et niveau de risques. Ce postulat n’a pas de justification scientifique ;

  • La proposition d’un seuil maximal de modifications génétiques acceptables n’est pas scientifiquement fondée en termes de risques : le risque associé n’est pas directement proportionnel à un nombre de modifications quelles qu’elles soient ;

  • La proposition d’un seuil maximal pour la taille des insertions ou substitutions acceptées n’a pas de sens biologique ; les conséquences fonctionnelles et les risques potentiellement associés à une insertion ne sont pas proportionnels à la longueur de sa séquence nucléotidique ;

  • L’acceptation de toute délétion ou inversion sans considérer les conséquences fonctionnelles et les risques potentiellement associés n’est pas justifiée ;

  • Le fait que les modifications génétiques non intentionnelles, générées par manque de spécificité dans les séquences similaires à la cible, soient comptabilisées dans le décompte des modifications génétiques proposé sans que leurs possibles effets négatifs ne soient considérés n’est pas justifié.

Ainsi, l’analyse des critères proposés visant une équivalence entre plantes NTG et plantes conventionnelles a conduit le GT « Biotechnologie » à considérer la problématique de façon plus globale. Le GT propose que ces critères d’équivalence, basés uniquement sur les aspects moléculaires, qui de plus sont insuffisamment justifiés, prennent en compte les caractères des plantes et leurs éventuels risques. »

Avis à télécharger ICI