Niveau juridique : Union européenne
Dans ce document, l’association autrichienne Arche Noah présente ses positions concernant la proposition de règlement européen sur la commercialisation et la production de matériel de reproduction des végétaux, présenté par la Commission en juillet 2023.
Résumé (traduction par nos soins) :
« Les dix directives européennes régissant la production et la commercialisation des semences et d’autres matériels de reproduction des végétaux (MRV) (telles que les arbres fruitiers, la vigne et les pommes de terre) remontent aux années 1960. Elles ont contribué à l’appauvrissement de la diversité des plantes cultivées (1) au cours des dernières décennies en (i) promouvant des variétés présentant un degré très élevé d’uniformité génétique et (ii) en imposant des coûts réglementaires élevés et des obstacles à l’entrée sur le marché pour les petits producteurs de semences régionaux.
Alors que nous sommes confrontés à des températures plus élevées, à des conditions climatiques plus extrêmes et à la propagation de nouveaux ravageurs et de nouvelles maladies, la diversité génétique restante et la production décentralisée et locale de semences seront notre « bouée de sauvetage » pour assurer une plus grande résilience.
Malheureusement, la proposition de règlement sur le matériel de reproduction des végétaux (MRV), publiée par la Commission en juillet 2023, menace à la fois la conservation et l’utilisation de cette diversité, ainsi que sa production et sa commercialisation par de petits opérateurs qui produisent des MRV diversifiés adaptés aux besoins de différents agriculteurs dans différentes conditions de culture locales. La proposition élargit considérablement le champ d’application de la réglementation, tant en ce qui concerne les types de transferts de MRV que l’éventail des acteurs concernés. Pour les plus petits opérateurs, la charge réglementaire est si lourde qu’elle pousserait nombre d’entre eux à cesser leur travail dans la diversité ou à entrer dans l’illégalité.
Bien que des dérogations positives soient prévues pour la commercialisation des MRV aux jardiniers amateurs et des variétés de conservation aux agriculteurs, les dispositions relatives aux banques de gènes et aux réseaux de conservation des semences sont trop restrictives et ne tiennent pas compte des différences fondamentales entre les activités de conservation et les activités commerciales. Dans sa forme actuelle, la proposition met en péril la préservation de la diversité génétique restante des plantes cultivées et va à l’encontre des engagements pris par l’UE et ses États membres dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique et du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. En outre, elle ne respecte pas le droit des agriculteurs et des jardiniers d’échanger et de vendre leurs propres semences et autres MRV, inscrit dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) de 2018.
La proposition de règlement PRM met en danger la conservation et l’utilisation durable de la diversité des plantes cultivées et ne tient pas compte du droit des agriculteurs à récolter, utiliser, échanger et vendre leurs propres semences, tel qu’il est inscrit dans le droit international des droits de l’homme. Nous appelons le Parlement européen et les ministres de l’Agriculture à revoir de manière significative la proposition, en adoptant une législation qui jette les bases d’un système alimentaire réellement durable, résilient et diversifié.
(1) La diversité des plantes cultivées désigne la diversité des espèces et des variétés cultivées dans l’agriculture, la diversité génétique au sein de ces espèces et variétés, ainsi que les connaissances traditionnelles associées à leur culture et à leur utilisation. »
Arche Noah dénonce la proposition de règlement sur plusieurs aspects et propose pour chacun d’eux des amendements.
Définition de « commercialisation » et d’ »opérateur professionnel »
Arche Noah dénonce en particulier la définition de « commercialisation » particulièrement large, qui capture tous les transferts de matériel de reproduction des végétaux effectués par des opérateurs professionnels, y compris de manière gratuite et dans des buts non commerciaux. L’association s’élève également contre la définition « d’opérateur professionnel », qui recouvre TOUT acteur impliqué de manière professionnelle dans une large liste d’activités relatives à la production et à la commercialisation de MRV, incluant les banques de gènes publique et communautaires, les paysan.ne.s produisant des MRV pour leur propre use et les jardineries vendant des semences.
Sur ce point, les principaux amendements proposés sont :
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Exemption explicite du champ d’application du règlement pour le transfert de MRV à des fins de conservation et d’utilisation durable des ressources phytogénétiques et de l’agrobiodiversité (article 2).
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Limitation des définitions de « commercialisation » et d’« opérateur professionnel » pour les cas où il existe une intention d’exploiter commercialement le MRV, à l’exclusion des acteurs de la conservation tels que les banques de gènes (article 3).
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Retrait des restrictions inappropriées à la commercialisation du MRV par les banques de gènes, les organisations et les réseaux de conservation (article 29).
Droit des paysans sur leurs semences
Sur le sujet du droit aux semences des paysan.ne.s, reconnu de façon explicite dans l’UNDROP, que la Commission européenne propose de réduire arbitrairement aux seuls échanges de semences (et non d’autres MRV comme les pommes de terre ou les baies) « en nature », en petite quantités et sous certaines conditions, les principaux amendements sont :
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Mise en œuvre complète du droit des agriculteurs, en vertu de l’article 19 de l’UNDROP, d’échanger et de vendre leurs semences de ferme ou d’autres MRV (article 30).
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Limitation des définitions de « commercialisation » et d’« opérateur professionnel » pour les cas où il existe une intention d’exploiter commercialement le MRV, à l’exclusion des agriculteurs qui conservent leurs semences ou les transmettent gratuitement (Article 3)
Nouveaux coûts réglementaires pour des variétés plus diverses
Bien qu’Arche Noah supporte les dispositions de la proposition concernant les nouvelles variétés de conservation, elle estime que la proposition rend plus difficile la mise à disposition de ces semences par les petits producteurs, par le biais de règles supplémentaires et nébuleuses pour la production de semences (article 8 et annexe III) et d’exigences supplémentaires lourdes en matière de rapports, de contrôle et de traçabilité (article 8 et annexe III).
Sur ce points, les principaux amendements portés par l’association sont :
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Suppression des règles supplémentaires pour la production de semences et de matériel standard qui entraînent des coûts réglementaires disproportionnés pour les petits producteurs de semences (article 8 et annexe III).
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Exemption des micro-entreprise aux nouvelles exigences en matière de déclaration, de suivi et de traçabilité imposées aux opérateurs professionnels (articles 41 et 42).
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Révision de la définition des « variétés de conservation », rebaptisées « variétés de diversité », appropriée pour toutes les espèces ainsi que pour les races locales et les nouveaux écotypes (article 3)
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Exclusion des plantes OGM et des plantes NGT de la définition des « variétés de conservation » (article 3).
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Suppression de l’acte d’exécution inutile sur les « variétés de conservation » (article 53) et extension de la période d’enregistrement des variétés à 30 ans (article 69).
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Certitude légale que les « variétés de conservation » de toutes les espèces réglementées puissent être produites et commercialisées en tant que semences/matériel standard (articles 8, 26 et annexe III).
Appropriation illicite de MRV circulant dans les réseaux de conservation ou les systèmes de semences paysannes
Pour Arche Noah, la proposition ne propose pas de mesures pour empêcher l’appropriation des variétés traditionnelles par les entreprises semencières par le biais de leur inscription.
Elle souhaiterai donc une :
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Evaluation de la distinction d’une nouvelle variété et de l’adéquation de la dénomination variétale doivent tenir compte des variétés non enregistrées, telles que les variétés figurant dans les catalogues des opérateurs qui vendent des MRV aux jardinier.ère.s amateur.e.s ou dans la documentation mise à disposition par les organisations participant à la conservation et à l’utilisation durable des ressources phytogénétiques et de l’agrobiodiversité (articles 48 et 54).
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Consultation des autorités compétentes et autres experts nationaux lors de l’examen de la dénomination d’une nouvelle variété, et pas seulement l’Office communautaire des variétés végétales(article 66).
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Possibilité pour que les tiers puissent faire appel des décisions relatives à l’enregistrement des variétés (Article 67)
Critère de durabilité
Arche Noah estime que l’insertion d’un critère de durabilité dans l’évaluation des variétés ouvre la porte à l’éco-blanchiment, en réduisant la « durabilité » sur un trait ou une variété. Pour assurer une véritable durabilité (qui se mesure à l’échelle du système), tous les essais de variétés devraient avoir lieu dans des conditions biologiques ou à faible niveau d’intrants, afin que les nouvelles variétés ne dépendent pas de pesticides ou d’engrais synthétiques.
Principaux amendements :
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Suppression de toutes références au mot « durable » dans l’essai de valeur de culture et d’utilisation (VCU) (article 52).
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Clarification que l’examen VCU doit être réalisé dans des conditions biologiques ou à faible niveau d’intrants pour les variétés conventionnelles, ainsi que dans des conditions biologiques pour les variétés biologiques (article 52).
Lien avec le règlement bio
Selon l’association, cette proposition ré-ouvre des aspects critiques de la réglementation bio, en particulier concernant la commercialisation de « matériel hétérogène biologique » et la définition de la sélection biologique, créant de l’incertitude pour le secteur.
Elle demande donc l’abandon de tous les amendements au règlement 2018-2031 sur l’AB.
Jardinier.ère.s amateur.e.s
L’association supporte les propositions concernant les jardinier.ère.s amateur.e.s : exclusion du champ de la réglementation des échanges/ventes entre ces derniers et exemption de l’enregistrement obligatoire des variétés et de la certification des semences pour les MRV vendus en petites quantités à des jardinier.ère.s amateur.e.s.
Elle demande toutefois d’ajouter une définition desdites petites quantités, basée sur la réglementation existante.
Conservation de la diversité fruitière
Pour l’association, en voulant proposer un seul texte unique pour tous les MRV, la proposition ne parvient pas à prendre en compte les différences fondamentales entre différents types de MRV. En particulier, le texte ne propose aucune règle de production adaptées pour les variétés traditionnelles d’arbres fruitiers, ce qui rendrait leur commercialisation impossible.
Arche Noah propose donc :
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l’ajout des « variétés communément connues » figurant sur les listes nationales en vertu de la directive 2008/90/CE aux registres des variétés en tant que variétés de conservation (article 68).
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la réplication des règles actuelles de production des « matériels CAC » dans le cadre des dispositions relatives aux matériels standard pour les arbres fruitiers (annexe III).
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l’adaptation des règles de sélection conservatrice des variétés d’arbres fruitiers pour réfléter la réalité du terrain (article 72).
Importation de semences de banques de gène, de variétés de conservation et d’amateurs
Les MRV ne peuvent être importés de pays tiers que si un audit de la Commission détermine que les MRV satisfont à des exigences équivalentes à celles de la réglementation de l’Union. Toutefois, l’article 39 ne prévoit pas la réalisation d’un tel audit pour les MRV relevant de régimes dérogatoires (variétés de conservation, matériel hétérogène, MRV pour jardiniers amateurs et MRV provenant de banques de gènes). Cela signifie qu’il serait impossible d’importer dans l’Union, par exemple, des variétés amatrices du Royaume-Uni, des variétés de niche de Suisse ou tout matériel provenant de banques de gènes situées en dehors de l’UE.
L’association estime que ceci n’est pas justifié et demande de supprimer l’exclusion des régimes dérogatoires pour la possibilité d’importer sur la base de l’équivalence (article 39).
Transparence
L’association déplore que le texte n’impose pas de transparence sur l’existence éventuelle de droits de propriétés intellectuelle (en particulier les brevets) ni sur la méthode de sélection.
Elle souhaite donc :
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l’ajout des informations sur les droits de propriété intellectuelle et les méthodes de sélection aux registres des variétés (annexe VII).
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l’ajout des informations sur les droits de propriété intellectuelle sur les étiquettes officielles (article 17).
Document à retrouver ICI (en anglais)