Opinion du Comité économique et social « Plantes produites par des nouvelles techniques génomiques » sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les antes issues de nouvelles techniques génomiques et amendant le règlement 2017/625, [COM(2023) 411 final – 2023/0226 (COD)]

Niveau juridique : Union européenne

Le Comité économique et social européen (CESE) a étudié la proposition de la Commission de règlement sur les plantes issues de nouvelles techniques génomiques, et a rendu son avis. Ce dernier a été adopté en plénière le 26 octobre 2023, avec 168 voix pour, 48 contre et 15 abstention.

Le CESE, bien qu’accueillant favorablement l’intention de la Commission de favoriser les plantes issues de nouvelles techniques génomiques, émet un certain nombre de réserves sur le contenu du projet, en particulier concernant la surveillance des plantes issues de ces nouvelles techniques de sélection, l’utilisation en agriculture biologique, la problématique des brevets… Toutefois, il reprend aussi à son compte nombre des arguments mis en avant par les défenseurs de la proposition de loi : le fait qu’il n’existe pas de méthode de détection des plantes issues de NTG, et estime que le fait d’étiqueter les semences de NTG suffit à assurer une traçabilité et une transparence sur l’usage de telles plantes.

Plus spécifiquement, le CESE recommande une analyse risques-bénéfices applicable 10 ans après l’introduction des nouvelles techniques, appelle à une réflexion sur l’éthique, insiste sur la complexité et la technicité du sujet de la sécurité générale et alerte sur certaines simplifications (comme le fait de laisser penser que seul le gène d’intérêt est concerné en appuyant sur l’équivalence entre plantes issues de sélection conventionnelle et plante NTG).

Extraits (passages en gras soulignés par nos soins) :

1. Conclusion et recommandations

« 1.1 Le CESE est favorable à l’innovation, y compris variétale, et à des mesures permettant de préserver la compétitivité des producteurs européens en vue d’assurer à la fois la sécurité et la durabilité alimentaires de l’Union européenne. C’est pourquoi il souscrit au principe consistant en une évaluation des risques sur l’environnement et la santé adaptée au type de modification appliquée et estime que la Commission européenne doit garantir la transparence quant aux plantes obtenues à l’aide de certaines nouvelles techniques génomiques (NTG). Le CESE plaide néanmoins pour le renforcement de la surveillance, qui passera par un suivi des potentiels effets systémiques sur l’environnement et la santé, au moyen d’une méthodologie devant être développée en collaboration avec l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), le Centre commun de recherche (JRC) et les acteurs intéressés de la société civile.

1.2 Le CESE se félicite de l’intention de la Commission de préparer le terrain pour accélérer les processus de sélection végétale et fournir aux agriculteurs de l’UE des variétés végétales prometteuses et résilientes. Répondre aux défis multifactoriels toujours croissants dans ce domaine permettra au secteur de renforcer sa contribution à la sécurité alimentaire, de mieux contribuer aux différents objectifs ambitieux du pacte vert pour l’Europe et d’améliorer sa compétitivité dans un contexte mondial.

1.3 Le CESE demande également à la Commissiondes garanties afin que les modèles réussis que sont l’agriculture biologique et la filière «sans OGM 1 » puissent continuer à prospérer. Il faut une définition des mesures de coexistence harmonisée au niveau de l’UE afin d’éviter des règles différentes et une distorsion de concurrence entre États membres. Si ces modèles font le choix de demander une interdiction, celle-ci aurait davantage sa place dans le règlement relatif à la production biologique que dans la réglementation sur les NTG, qui n’est pas l’espace juridique approprié (comme dans le cas des OGM).

1.4 Le CESE souligne le risque potentiel d’un grand nombre de brevets en lien avec l’utilisation des NTG, pouvant créer des dépendances pour les agriculteurs et les PME semencières. Le processus de suivi prévu devra répondre à cette préoccupation de manière adéquate. Le CESE appelle par conséquent à une clarification des règles en matière de propriété intellectuelle sur le vivant d’ici l’entrée en vigueur de cette législation.

1.5 Le CESE demande en outre à la Commission d’y traiter également de la question de l’irréversibilité, et donc des responsabilités en la matière. Le CESE propose notamment de créer, de manière publique et décentralisée, une banque européenne de semences traditionnelles qui collecterait, par l’intermédiaire des banques de semences nationales existantes ou d’initiatives similaires, les graines des plantes endémiques pour les préserver (empêcher leur extinction potentielle et les croisements avec des végétaux issus des NTG) et les rendre disponibles en cas de besoin à l’avenir. Cette banque est importante pour la souveraineté alimentaire et le patrimoine gastronomique de l’UE, tout comme pour son autonomie stratégique. La Commission devrait évaluer les possibilités de collaboration avec la banque mondiale de semences en Norvège et s’appuyer sur le catalogue des collections nationales, ainsi que sur la collection européenne de ressources génétiques. (…)

1.7 Le CESE pourrait accepter la proposition de la Commission, à condition qu’elle intègre ses préoccupations de façon efficace. Celle-ci devrait donc envisager expressément de mettre en place une surveillance systémique ex post et un étiquetage des NTG de catégorie 1 jusqu’au consommateur, qui pourrait s’appuyer sur la traçabilité administrative et mentionner des informations sur la valeur ajoutée de la variété.

1.8 Dans cette attente, le CESE reste ouvert pour contribuer à l’amélioration de l’actuelle proposition de règlement de la Commission relative aux NTG.

(…)

3. Observations générales

(…) 3.2 Par rapport au contexte existant, certains agriculteurs, semenciers, artisans, industriels et consommateurs voulant vivre sans ce qu’ils nomment de «nouveaux OGM» s’estimeraient privés d’une partie de leurs libertés, car les NTG1 et leurs produits dérivés seraient exemptés d’une évaluation approfondie de leurs risques pour l’environnement et la santé, de mesures de traçabilité, ainsi que d’étiquetage pour le consommateur final.

3.3 En parallèle, une majorité des agriculteurs siégeant au CESE et les semenciers, etc., veulent pouvoir utiliser les NTG comme un levier parmi d’autres pour s’adapter au changement du climat et réduire leur usage d’intrants. Ils considèrent comme la Commission que les variétés NTG de type 1 sont identiques aux variétés obtenues par des méthodes de sélection conventionnelle, lesquelles sont utilisées dans différents types d’agriculture, et ils tiennent à préciser que les méthodes de sélection conventionnelle incluent la mutagénèse aléatoire, technique OGM exemptée de la directive 2001/18/CE, dont certaines variétés sont utilisées en agriculture biologique.

3.4 La proposition de la Commission repose sur des connaissances scientifiques fournies par le JRC et l’EFSA (Centre commun de recherche et Autorité européenne de sécurité des aliments). Certaines organisations de la société civile estiment cependant que ces connaissances ignorent l’expertise critique et une partie du principe de précaution.

3.5 Alors que des organisations sont favorables à la proposition de la Commission concernant les NTG1, d’autres expliquent que la Commission s’appuie pour cette catégorie sur un postulat fictif: NTG = conventionnel, car le mode d’obtention et le résultat ne sont pas identiques, allant ainsi à l’encontre des études réalisées par l’EFSA et le JRC et d’une large majorité de scientifiques utilisant les NTG.

3.6 Le CESE se félicite que la proposition de la Commission prévoie de mettre en place un programme pour évaluer les impacts de cette réglementation sur la durabilité, l’agriculture biologique et l’acceptation des NTG par les consommateurs. Il demande cependant que la surveillance comprenne un suivi des potentiels effets systémiques ainsi qu’une analyse bénéfice-coût.

3.7 Une surveillance systémique, ou globale, diffère d’une évaluation au cas par cas, comme dans le cas de l’évaluation analytique. Elle nécessite la mise au point, en collaboration avec l’EFSA, le JRC et les parties intéressées de la société civile, d’indicateurs relatifs à la dynamique des systèmes auxquels nous appartenons (sociétés, écosystèmes, etc.). Une telle surveillance vise à rendre possibles des pratiques qui seraient bloquées, sans elle, par le principe de précaution.

3.8 Le CESE reconnaît la législation existante et constate que la proposition de la Commission invite à régler les questions de propriété intellectuelle d’ici 2026 à travers une évaluation sur l’incidence des brevets en sélection végétale. Toutefois, dans l’immédiat, la question des brevets n’est pas réglée. Il est difficile d’évaluer le risque de restreindre le droit des agriculteurs et semenciers (autres que les détenteurs de brevets) à utiliser les plantes pour produire leurs propres semences, ou le risque d’imposer des frais d’utilisation élevés pour les agriculteurs.

3.9 Le CESE appelle donc à une réflexion sur la manière d’aborder la question des brevets et de trouver une solution qui respecte de manière adéquate les besoins des agriculteurs, des producteurs de semences et des acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Le CESE soutient l’élaboration d’une réglementation sur les brevets concernant les NTG d’ici la mise en application du règlement ad hoc (deux années après sa ratification).

3.10 Le CESE alerte au sujet de la menace pesant sur l’agriculture biologique et la filière «sans OGM». Les OGM y sont interdits et les NTG le seraient aussi, cependant, comme aucune méthode de détection, d’identification et de traçabilité n’est requise, les acheteurs, les États membres et la Commission seraient incapables de bien appliquer la loi. Les efforts de contrôle des processus requis pour l’agriculture biologique et les autres modèles de production «sans OGM» risqueraient de considérablement augmenter avec l’introduction de la législation proposée. Il conviendrait donc de garantir que les coûts induits soient couverts de manière équitable et que le fardeau ne pèse pas uniquement sur les modèles de production biologique et «sans OGM».

3.11 Concernant l’interdiction ou non des NTG en agriculture biologique, le CESE recommande de se référer à l’avis des organisations professionnelles de ce secteur. En ce sens, si tel était leur choix, une interdiction aurait davantage sa place dans le règlement relatif à la production biologique que dans la réglementation sur les NTG, qui n’est pas l’espace juridique approprié (comme dans le cas des OGM).

3.12 Le CESE note qu’une partie importante de la société civile souhaite un encadrement plus sécurisant des NTG (pétition citoyenne, ONG, certaines organisations agricoles, nombreux distributeurs et chaînes de supermarchés européens). Toutefois, le cadre réglementaire proposé par la Commission offre déjà certaines garanties en matière de sécurité. Si les consommateurs ne souhaitent pas avoir de NTG, cela pourrait se refléter dans leur consentement à payer pour des produits alimentaires «sans NTG», avec toutes les difficultés techniques que cela implique pour garantir une telle assertion. En l’état actuel, les variétés NTG1 ne sont pas distinguables des variétés obtenues par mutagénèse aléatoire déjà largement commercialisées et consommées dans l’UE.

3.13 Le CESE est néanmoins favorable à la mise au point de technologies et de semences novatrices. C’est pourquoi il pourrait accepter la proposition de la Commission, à condition qu’elle intègre ses préoccupations de façon efficace.

3.14 En l’état actuel, les NTG étant difficilement détectables, les contrôles effectués au moyen d’analyses biologiques en vue de garantir un étiquetage jusqu’au consommateur sont impossibles ou extrêmement coûteux. Compte tenu de la difficulté à réaliser ces contrôles, un étiquetage jusqu’au consommateur ne devrait être mis en place que sous la forme d’une traçabilité administrative, qui dans le cas des semences est déjà assurée jusqu’à l’agriculteur. Les NTG étant moins coûteuses que la transgénèse, la Commission devrait veiller, après un débat transparent avec l’ensemble des parties prenantes concernées, à ce que le coût de cet étiquetage ne pèse pas sur les agriculteurs et autres plus petits acteurs de la chaîne économique agroalimentaire.

3.15 Dans le même esprit de partage, la Commission pourrait accroître l’opportunité que représentent les NTG pour les PME européennes en développant un programme public d’évaluation systémique de leurs créations.

3.16 Une grande partie des organisations agricoles et semencières sont en attente de la nouvelle réglementation européenne, notamment dans un contexte concurrentiel où divers pays tiers viennent de faciliter des mises sur le marché de produits et semences issus de NTG. En attendant que celle-ci soit complète et effective au sens où le CESE l’appelle, ce dernier demande expressément à la Commission de prendre relativement aux pays tiers toutes les mesures nécessaires pour protéger l’UE d’éventuelles distorsions de concurrence et expositions aux risques.

3.17 Le CESE défend les concepts de proportionnalité (les mesures proposées par la Commission doivent être appropriées et non inutilement restrictives), le principe de précaution (car il existe une incertitude scientifique quant aux impacts globaux des NTG) et celui de réversibilité (pour inverser ou atténuer les dommages potentiels si l’activité réglementée par la Commission devait provoquer des effets négatifs).

3.18 Le CESE estime que la Commission devrait tenir compte de l’impact des NTG sur les différents modèles agricoles. Les petits agriculteurs craignent que ces nouvelles semences ne viennent polluer les pratiques d’agriculture biologique, écologique, régénératrice ou traditionnelle qu’ils appliquent déjà. Le Comité invite dès lors la Commission à réaliser une étude d’impact qui prenne en considération la viabilité et la rentabilité futures de ces formes d’agriculture, ainsi que leurs aspects social et culturel. En outre, il importe tout particulièrement que le consommateur soit en mesure d’identifier l’origine du produit, grâce à un étiquetage adéquat indiquant le type d’agriculture et de semences.

4. Observations particulières

4.1 Le CESE recommande une analyse bénéfice-risque applicable dix ans après l’arrivée de nouvelles techniques

(…)

4.2 Le CESE souligne un besoin d’amélioration éthique

4.2.1 L’être humain a toujours eu besoin de s’assembler en sociétés pour survivre. Ceci implique une mise en compatibilité de son comportement avec la vie sociale. C’est le rôle de l’éthique.

L’éthique a d’abord été sociale, la nature étant implicitement considérée comme ayant une résilience infinie. Actuellement, la puissance technique développée perturbe significativement les systèmes naturels et met en péril leur stabilité.

Il en découle une nécessaire évolution de l’éthique, qui, tout en restant sociale, doit assurer la cohérence des comportements humains avec les systèmes naturels, ce qui entraîne aussi un changement de la hiérarchie des valeurs: la stabilité des systèmes naturels étant nécessaire pour que le reste existe, ce qui est nécessaire au maintien de cette stabilité prévaut sur toute autre considération, tout comme ce qui est nécessaire au maintien des sociétés prévaut sur les intérêts individuels. Une étude sur la globalité des systèmes ne peut pas avoir lieu pour l’introduction de chaque nouvelle variété compte tenu du temps et du coût considérables supplémentaires.

L’approche systémique proposée se limiterait donc à une surveillance unique des techniques dans leur ensemble, et non de chaque nouvelle variété.

4.2.2 À un autre niveau du contexte éthique, de nombreux Européens veulent être informés de la présence d’OGM dans l’alimentation. Dans ce cas, le respect des convictions personnelles s’impose. Le CESE demande à la Commission qu’il en soit de même pour les végétaux et produits issus des NTG.

(…)

4.4 Le CESE alerte sur certaines simplifications non conformes à la réalité

4.4.1 Les comparaisons faites par la Commission entre des plantes obtenues par les NTG et celles conventionnelles laissent à penser que seul le gène d’intérêt est concerné.

4.4.1.1 La transgénèse, la cisgénèse, l’intragénèse impliquent toutes des techniques comprenant des cultures in vitro qui sont inductrices de mutations et d’épimutations, sans compter les insertions non intentionnelles d’ADN étranger (Zang 2014). Ces modifications non intentionnelles sont évaluées dans le cadre de la proposition de la Commission, que ce soit à travers le dossier d’autorisation d’une NTG de type 1 ou dans le cadre de l’évaluation propre à une NTG de type 2.

Le CESE considère que les autorités devraient avoir les moyens de vérifier les informations fournies à cet égard, par exemple grâce à des organismes indépendants.

4.4.1.2 La cisgénèse correspond à l’insertion de gènes issus soit de la même espèce soit d’espèces compatibles sexuellement dans une variété d’intérêt.

4.4.1.3 Les réactifs utilisés par toutes les NTG (ADN, ARN, RNP) laissent tous des traces d’ADN étranger dans les génomes modifiés (Bertheau 2022; Kawall 2020; Norris 2019, 2020; Ono et al. 2015; Ono et al. 2019). Il n’y a donc pas équivalence entre une plante GM et naturelle.

4.4.1.4 Les mutations ponctuelles d’un gène peuvent avoir des effets très différents selon le fond génétique et l’environnement quand plusieurs gènes sont impliqués (Siegal 2017) et aboutir à des fonctions différentes (Copley 2014; Huberts 2010; Jeffery 2014). Une mutation synonyme peut changer la structure tridimensionnelle d’une protéine et son activité enzymatique sans changer sa séquence (Chamary et Hurst 2009; Kimchi-Sarfaty 2007).

4.4.2 Les modifications hors cible non intentionnelles ne sont pas éliminées par les rétrocroisements (Bertheau 2019, 2022): les NTG laissent, outre les modifications hors cible, des chromothripsies et de très nombreuses épimutations. Des modifications hors cible, des épimutations et des chromothripsies peuvent subvenir dans le cadre de la mutagénèse aléatoire in vivo ou in vitro déjà autorisée, ce qui soulève également des interrogations quant aux OGM qui en sont dérivés et ne sont soumis pour l’heure ni aux mesures concernant les autres OGM, ni à des mesures simplifiées telles que celles qu’il est proposé d’appliquer aux NTG2. Les variétés obtenues par mutagénèse aléatoire sont sur le marché depuis plus de 30 ans, sans conséquences sur la santé ou l’environnement, malgré d’éventuelles modifications hors cible ou épimutations qui pourraient subsister en dépit d’un rétrocroisement. »

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