[DECISION] Médiateur européen, Affaire 346/2023/MIK Enquête « Comment la Commission européenne a-t-elle répondu aux préoccupations concernant la manière dont elle réalise une évaluation de l’impact des nouvelles techniques génomiques dans le cadre de l’application des règles de l’UE sur les organismes génétiquement modifiés ? », avril 2023

Niveau juridique : Union européenne

Suite à une plainte déposée le 17 février 2023 par deux ONG au sujet de la manière dont la Commission a répondu à leurs inquiétude concernant l’organisation des consultations publiques menées dans le cadre de l’analyse d’impact de la réforme, et de la manière dont la Commission a construit l’étude concernant le « statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l’Union ». Pour rappel, cette étude, publiée le 21 avril 2021, avait servi de point de départ à la Commission pour annoncer la réforme de la réglementation concernant « les OGM issus de mutagénèse ciblée et de cisgénèse ».

Les plaignants opposent en effet que la Commission n’a pas respecté les règles applicables aux analyses d’impact, notamment en ce qui concerne la représentativité des consultations des parties prenantes, la transparence du processus de l’analyse d’impact et la prise en compte des risques pour l’environnement naturel.

Ainsi, la médiatrice, dans sa lettre adressée à la Commission, demande à cette dernière de répondre aux questions suivantes (traduction par nos soins) avant le 24 juillet 2023 :

« 1) Comment la Commission s’est-elle assurée que l’étude et l’évaluation d’impact en cours comprenaient une analyse complète de la recherche existante sur les NGT [nouvelles techniques génomiques, ndlr], en distinguant les opinions des parties prenantes de la recherche scientifique empirique ?

2) Comment la Commission a-t-elle veillé à ce que l’étude et l’évaluation d’impact en cours prennent en compte tous les facteurs pertinents, y compris ceux soulevés dans l’avis d’expert de l’Agence fédérale allemande pour la conservation de la nature (BfN) auquel se réfère le plaignant ?

3) Comment la Commission s’est-elle assurée que l’analyse d’impact comprenait également une évaluation des risques pour l’environnement naturel des produits obtenus par le biais des NGT ?

4) La Commission a-t-elle évalué la fiabilité des déclarations, en particulier celles émanant du secteur privé, concernant les produits en cours de développement qui reposent sur les NGT ? Dans l’affirmative, comment ?

5) L’analyse d’impact initiale énumère, dans sa section B « Objectifs et options politiques », les objectifs de l’initiative et les « différents éléments politiques » qui « seront pris en considération lors de l’élaboration ultérieure des options politiques ». La Commission pourrait-elle préciser si elle était tenue, en vertu des lignes directrices relatives à l’amélioration de la réglementation, de publier les options stratégiques envisagées avant les consultations publiques ?

6) Le site web spécialisé de la Commission contient-il des informations complètes et actualisées sur l’ensemble des réunions et des échanges entre la Commission, les États membres et les parties prenantes ?

7) Comment la Commission a-t-elle assuré la transparence des activités de consultation menées par le contractant mentionné par le plaignant ? »

C’est sur la base de la réponse de la Commission, et des observations des plaignants, que la médiatrice décidera s’il y a lieu de poursuivre l’enquête.

Au cours de l’enquête, la Commission a expliqué de manière claire et raisonnable comment elle a suivi les règles applicables aux analyses d’impact, comment elle a veillé à ce que sa proposition soit fondée sur des éléments de preuve, en particulier les avis scientifiques de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, et comment elle a cherché à rendre le processus d’analyse d’impact transparent et inclusif.

La Médiatrice a donc clôturé l’affaire en constatant l’absence de mauvaise administration. Toutefois, elle a suggéré qu’à l’avenir, lorsqu’elle répondra aux préoccupations (scientifiques) soulevées au sujet des choix politiques, la Commission doive s’efforcer de répondre à ces préoccupations de fond plutôt que de réaffirmer sa position, et expliquer publiquement comment ces préoccupations ont été prises en compte.

Extraits de la décision de la médiatrice du 15 avril 2024 :

L’évaluation du Médiateur

Éléments de preuve sur lesquels l’analyse d’impact a été fondée

30. Le Médiateur européen n’est pas un organisme scientifique et n’a pas pour mission de remettre en question les choix politiques opérés par les organes de l’UE sur la base de preuves scientifiques. Le Médiateur peut uniquement vérifier si la Commission a sollicité des éléments de preuve fiables, comme l’exigent ses règles, et si les conclusions tirées par la Commission des avis scientifiques n’étaient pas manifestement déraisonnables.

31. Dans la proposition législative sur les nouvelles techniques génomiques, la Commission a proposé de nouvelles procédures de vérification ou d’autorisation, destinées à être moins contraignantes que les procédures existantes, pour les végétaux produits au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques [17].

32. La Commission a expliqué en détail aux plaignants comment elle cherchait à obtenir des informations fiables concernant la sécurité de ces techniques. Ces informations proviennent principalement de l’EFSA, qui est le principal conseiller scientifique de la Commission en matière de sécurité alimentaire [18]. En outre, le CCR a fourni des informations supplémentaires sur le développement de nouvelles techniques génomiques.

33. Le Médiateur note que la proposition de la Commission concerne la mutagenèse ciblée [19] et la cisgenèse [20] impliquant de nouvelles techniques génomiques. Selon l’EFSA et d’autres organismes d’experts cités par la Commission, ces techniques ne présentent aucun risque nouveau par rapport aux techniques établies et à l’élevage conventionnel. Ils peuvent même réduire la probabilité de mutations hors cible. Comme l’a conclu l’EFSA, « aucun risque nouveau n’est identifié chez les plantes cisgéniques et intragéniques obtenues avec des NTG [nouvelles techniques génomiques], par rapport à celles déjà prises en considération pour les plantes obtenues par sélection conventionnelle et les TGE [techniques génomiques établies] […] L’utilisation de NTG réduit les risques associés à d’éventuelles modifications involontaires du génome hôte. Par conséquent, moins d’exigences peuvent être nécessaires pour l’évaluation des plantes cisgéniques et intragéniques obtenues par les NTG, en raison de l’intégration du matériel génétique ajouté dirigé par le site.. Au cas par cas, une moindre quantité de données pourrait être nécessaire pour l’évaluation des risques de plantes cisgéniques ou intragéniques obtenues au moyen de NTG.» [21]

34. Les plaignants soutiennent que, sur la base des avis scientifiques de l’EFSA, la Commission ne devrait pas proposer d’autoriser la dissémination de certains organismes génétiquement modifiés dans l’environnement sans aucune évaluation des risques. En particulier, elles ont souligné que, si l’EFSA avait conclu qu’une « moins grande quantité de données pourrait être nécessaire » pour l’évaluation des risques au cas par cas, l’EFSA n’a pas conclu qu’aucune évaluation des risques n’était du tout nécessaire. Les plaignants s’attendent à des preuves scientifiques plus solides quant à l’absence de risque que ces techniques posent pour l’environnement.

35. Au cours de l’enquête, la Commission a expliqué pourquoi elle avait proposé d’exempter certains cas de plantes génétiquement modifiées de l’évaluation complète des risques et comment cette proposition était étayée par l’avis de l’EFSA. Selon elle, la Commission s’est appuyée sur des informations montrant que les nouvelles techniques génomiques ne présentent aucun risque nouveau par rapport aux techniques établies et à l’élevage conventionnel.

36. Dans leurs commentaires sur le rapport de réunion qui a été communiqué aux plaignants au cours de la présente enquête, les plaignants ont insisté sur le fait que, dans de nombreux cas, les plantes produites avec de nouvelles techniques génomiques sont différentes par rapport aux résultats de la sélection conventionnelle et présentent de nouveaux risques. Toutefois, les plaignants n’ont fourni aucun élément ni aucune référence à l’appui de ces déclarations. Par conséquent, les arguments des plaignants n’indiquent pas une erreur manifeste de la Commission.

37. Cela dit, il y a clairement un intérêt accru du public pour la réglementation des organismes génétiquement modifiés. Dans ce contexte, et dans un souci de bonne administration, la Commission devrait s’intéresser ouvertement au fond des arguments scientifiques et autres soulevés par le public en remettant en cause ses choix politiques. Elle peut également demander à des organes spécialisés de l’UE, tels que l’EFSA, de l’informer de toute préoccupation substantielle.

38. Dans sa réponse aux questions écrites du Médiateur et dans le rapport d’analyse d’impact, la Commission a reconnu que certaines organisations n’étaient pas d’accord avec son évaluation concernant l’absence de nouveaux risques posés par les nouvelles techniques génomiques. Toutefois, elle n’a pas expliqué pourquoi les arguments scientifiques de ces organisations n’avaient pas mis en doute les avis de l’EFSA.

39. Au cours de la réunion avec l’équipe d’enquête du Médiateur, les représentants de la Commission ont attiré l’attention sur un document public de questions-réponses publié par l’EFSA [22], qui fournit des réponses aux doutes communément exprimés quant à la sécurité des nouvelles techniques génomiques [23]. Il n’est toutefois pas clair si la Commission avait renvoyé les plaignants à ce document avant la présente enquête.

40. Dans ce contexte, le Médiateur proposera de faire en sorte que, lorsqu’elle prépare des propositions législatives à l’avenir, la Commission fasse davantage pour expliquer comment les préoccupations exprimées par le public ou les parties prenantes ont été prises en compte.

Conclusion

Sur la base de l’enquête, le Médiateur clôt cette affaire avec la conclusion suivante:

Il n’y a pas eu de mauvaise administration dans la manière dont la Commission a procédé à l’analyse d’impact concernant les nouvelles techniques génomiques.

Le plaignant et la Commission seront informés de cette décision.

Suggestion d’amélioration

52. Le Médiateur formule la suggestion d’amélioration suivante:

Lorsqu’elle répond aux préoccupations (scientifiques) soulevées au sujet des choix politiques, la Commission devrait s’efforcer de répondre à ces préoccupations de fond plutôt que de réaffirmer sa position. La Commission devrait expliquer publiquement comment ces préoccupations ont été prises en compte.

Emily O’Reilly Médiatrice européenne

Strasbourg, 15/04/2024

[17] En particulier, la proposition introduit une «procédure de vérification» pour les végétaux obtenus par mutagenèse ciblée ou cisgenèse qui pourraient également se produire naturellement ou être produites par reproduction conventionnelle. Ces installations seraient traitées de la même manière que les plantes conventionnelles et ne nécessiteraient pas d’autorisation, d’évaluation des risques, de traçabilité et d’étiquetage en tant qu’OGM; un registre de transparence serait établi pour ces usines. Voir l’option 4, p. 9-10, food.ec.europa.eu/system/files/2023-09/gmo_biotech_ngt_proposal_2023-411_en.pdf

[18] Article 31, paragraphe 1, du règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, JO L 31/1, eur-lex.europa.eu/eli/reg/2002/178/oj

[19] Un terme générique utilisé pour décrire les techniques plus récentes de mutagenèse qui induisent des mutations dans certains endroits cibles du génome sans insertion de matériel génétique étranger. Voir le glossaire des termes scientifiques, pp. iv-vii, dans le document de travail des services de la Commission relatif aux nouvelles techniques génomiques: food.ec.europa.eu/system/files/2023-07/gmo_biotech_ngt_ia_report.pdf

[20] Insertion de matériel génétique (par exemple, un gène) dans un organisme receveur d’un donneur qui est sexuellement compatible (croissable). Le matériel génétique exogène est introduit sans modifications/réarrangements. Voir le glossaire des termes scientifiques, pp. iv-vii, dans le document de travail des services de la Commission relatif aux nouvelles techniques génomiques: food.ec.europa.eu/system/files/2023-07/gmo_biotech_ngt_ia_report.pdf

[21] EFSA, «Mise à jour de l’avis scientifique sur les plantes développées par la cisgenèse et l’intragenèse» (résumé), doi.org/10.2903/j.efsa.2022.7621

[22] www.efsa.europa.eu/sites/default/files/2023-05/extented-faqs-on-ngts-ts.pdf

[23] Tels que la vitesse de la modification génétique sur les dangers, l’importance de l’«histoire de l’utilisation sécuritaire» et les critères de substitution possibles, les risques potentiels associés à la possibilité de modification simultanée de plusieurs emplacements génomiques et la question de savoir si les nouvelles techniques génomiques permettent des modifications dans les emplacements génomiques qui ne sont pas accessibles par la reproduction conventionnelle.

Lien vers la page de la décision sur le site du Médiateur de l’Union ICI