CJUE, Quatrième chambre, 16 mars 2023 – MS contre Saatgut-Treuhandverwaltungs GmbH, affaire C-522/21 (renvoi préjudiciel)

Niveau juridique : Union européenne

Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si, dans le cadre de l’utilisation de variétés protégées, il était possible d’appliquer des dommages-intérêts forfaitaires d’un montant de 4 fois celui de la redevance de licence si une personne a, « à plusieurs reprises et intentionnellement » négligé de payer la rémunération équitable due au titre des semences de ferme.

Les faits

Saatgut-Treuhandveraltungs (STV) est un groupement de titulaires de COV allemand, chargé de représenter les droits de ses membres, et en particulier de recueillir le paiement des redevances pour l’usage de ces variétés. MS est un agriculteur ayant cultivé, de 2012 à 2016, une variété d’orge d’hiver KWS Meridian, protégée par un COV, sans payer la redevance équitable due au titre des semences de ferme. STV a alors lancé un recours pour obtenir notamment des informations sur cette mise en culture, à la suite de quoi, MS a versé, pour les campagnes de commercialisation de 2013/2014 à 2015/2016, des montants correspondants à la redevance due pour l’usage sous licence de ladite variété et constituant donc le montant correspondant à la « rémunération équitable de l’obtenteur » prévue par le règlement européen relatif au COV (art. 94 §1 du règlement 2100/94).

Toutefois, STV, a demandé le versement de dommages-intérêts supplémentaires, d’un montant correspondant au quadruple de cette redevance, sur la base d’une disposition contenue à l’article 18 §2 du règlement délégué 1768/95. Cette dernière dispose en effet que « Si, à plusieurs reprises et intentionnellement, une telle personne n’a pas rempli son obligation au titre de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement n°2100/94 [paiement au titre de la rémunération équitable de l’obtenteur en cas de semences de ferme, ndlr], en ce qui concerne une ou plusieurs variétés du même titulaire, la réparation du dommage subi par le titulaire, au sens de l’article 94, paragraphe 2, du règlement n°2100/94 représentera au moins un montant forfaitaire qui sera calculé sur la base du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de variétés protégées de l’espèce végétale concernée dans la même région, sans préjudice de la compensation de tout autre dommage plus important. ».

MS a cependant contesté le droit de STV a un tel versement, estimant que le préjudice de STV avait été réparé par le versement de la rémunération équitable. Il arguait de plus que la disposition de l’article 5 §2 du règlement 1768/95 constituait des dommages-intérêts punitifs, généraux et supplémentaires, ce qui n’était pas conforme à la jurisprudence de la CJUE.

La question préjudicielle

Les tribunaux nationaux ont donc demandé à la CJUE de se prononcer sur la validité de la disposition de l’art. 5 §2 du règlement 1768/95, au regard de l’article 94 §2 première phrase du règlement 2100/94, dans la mesure où elle prévoit en cas de violation répétée et intentionnelle de l’obligation de payer la rémunération équitable, une réparation du dommage subi par le titulaire qui représente au moins un montant forfaitaire calculé sur la base du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de variétés protégées de l’espèce végétale concernée dans la même région.

Le raisonnement et la réponse de la CJUE

Dans son raisonnement, la Cour commence par rappeler, que si un agriculteur fait des semences de ferme sans payer de « rémunération équitable », il doit être regardé comme contrefacteur, et peut faire l’objet d’une action en cessation de contrefaçon ou en versement d’une rémunération équitable, ou à ce double titre. Cependant, si l’article 94 du règlement 2100/94 fonde un droit au dédommagement au profit du titulaire du COV, ce dernier repose sur une base objective, à savoir qu’il couvre uniquement le préjudice résultant de l’acte de contrefaçon, sans qu’il ne puisse servir à l’imposition d’un supplément forfaitaire pour contrefaçon. Il ne peut donc servir de base légale pour établir des dommages-intérêts d’ordre punitif, fixés de manière forfaitaire. Il appartient au titulaire de la variété contrefaite d’apporter des éléments démontrant que son préjudice excède les éléments couverts par la rémunération équitable. Le montant de la redevance de licence en saurait, en soit, servir de fondement à l’évaluation de ce préjudice.

Les juges européens en ont donc conclu que la disposition de l’article 18 §2 du règlement 1768/95 invalide, car en contradiction avec les dispositions du règlement de base 2100/94.

  • En effet, cette disposition fixe un montant forfaitaire minimal, calculé par référence au montant moyen de la redevance de licence, alors que le montant de cette redevance ne saurait en soit servir de fondement à l’évaluation du préjudice.

  • En outre, l’institution d’un montant forfaitaire minimal pour la réparation du dommage subi par le titulaire implique que ce titulaire n’est pas tenu de prouver l’étendue du préjudice subi, mais seulement l’existence d’une atteinte, répétée et intentionnelle, à ses droits. Or, le dédommagement de la contrefaçon d’un COV doit refléter précisément, dans la mesure du possible, les préjudices réels et certains subis par un tel titulaire à qui il appartient d’apporter les éléments démontrant que le préjudice excède les éléments couverts par la rémunération équitable prévue en cas de semences de ferme.

  • Cette condamnation ne doit de plus pas avoir de caractère punitif, ce qui peut être l’effet de la disposition de l’article 18 dans la mesure où elle fixe un montant minimal égal au quadruple du montant moyen de la redevance de licence.

  • De plus, le dédommagement en raison de la contrefaçon ne peut être fixé de manière forfaitaire que sur la base d’une appréciation du juge saisi.

En prévoyant un montant forfaitaire minimal pour réparer le dommage subi par le titulaire, la disposition litigieuse limite à cet égard le pouvoir d’appréciation de ce juge. Le fait que l’infraction soit commise de manière « répétée et intentionnelle » n’est pas de nature à modifier cette conclusion.

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