No patents on seeds!, Rapport « Patents filed by KWS area threat to plant breeding in Europe», décembre 2022

Niveau juridique : International

No patents on seeds a publié un nouveau rapport portant sur les brevets déposés par l’entreprise KWS, dénonçant la menace qu’ils constituent pour la sélection végétale en Europe.

Résumé du rapport (traduction par nos soins) :

« KWS (Kleinwanzlebener Saatzucht) a déposé plus de 100 demandes de brevets internationaux, dont beaucoup s’étendent à la sélection végétale conventionnelle. Ce nombre a considérablement augmenté au cours des dernières années. KWS revendique des gènes et des variantes de gènes qu’elle a découverts, qui peuvent tous apparaître naturellement ou résulter d’une mutagenèse aléatoire. Elle revendique toutes les utilisations des variantes de gènes (criblage, sélection, élevage, techniques de génie génétique nouvelles ou anciennes) ainsi que toutes les plantes produites à l’aide de ces méthodes qui ont la variante de gène dans leur génome, que les plantes soient génétiquement modifiées ou non. Les caractéristiques de sélection revendiquées s’étendent également à des traits importants tels que la résistance aux agents pathogènes des plantes, aux virus, aux maladies fongiques, aux organismes nuisibles, par exemple les nématodes, ou la tolérance aux conditions climatiques extrêmes.

Même si les variétés de KWS destinées à la vente en Europe ne sont pas produites à l’aide de méthodes de génie génétique, l’entreprise tente toujours d’utiliser des revendications de brevet pour couvrir les semences qu’elle vend, et ainsi bloquer la libre sélection végétale qui est garantie par la loi sur la protection des variétés végétales (PVV). Actuellement, les sélectionneurs de plantes conventionnelles peuvent utiliser toutes les variétés sur le marché pour créer et vendre des variétés améliorées. Cela est autorisé et prévu dans le cadre de l’« exemption pour les sélectionneurs » de la loi sur la protection des obtentions végétales. Il s’agit d’une liberté d’action garantie par la loi qui permet de générer un large éventail de nouvelles variétés végétales.

Cependant,tout sélectionneur utilisant les variétés brevetées par KWS pour les sélectionner et les commercialiser, par exemple des variétés améliorées de betterave ou de maïs, devra obtenir une licence de KWS ou s’exposer à des litiges longs et coûteux en matière de brevets. En conséquence, l’accès à la diversité biologique, dont tous les sélectionneurs ont besoin pour poursuivre leur travail de sélection, peut être restreint, entravé ou même bloqué par ces brevets.

De tels développements peuvent conduire à un « verrouillage » de la sélection conventionnelle, car les incertitudes relatives à la portée des brevets et à leurs implications juridiques sont difficiles à gérer pour les entreprises de sélection traditionnelles. Les sélectionneurs conventionnels seront fortement dissuadés si, à l’avenir, ils doivent craindre que leurs nouvelles variétés ne tombent sous le coup de brevets détenus par de grandes entreprises.

Dans leur propre intérêt,KWS devrait retirer ces brevets ou les limiter strictement aux méthodes de génie génétique. Au lieu d’étendre le droit des brevets à des domaines pour lesquels il n’a jamais été prévu, KWS devrait plutôt réfléchir à sa responsabilité envers l’avenir de la sélection végétale et soutenir activement les interdictions dans le droit des brevets - remplissant ainsi ses obligations envers l’agriculture et la production alimentaire. »

KWS est l’une des dix plus grandes entreprises semencière du monde. Contrairement à d’autres, comme Bayer, Corveta, Syngeta/Chemchina ou BASF, elle est tradtionnellement spécialisée dans la sélection végétale, et non l’agrochimie. Cependant, bien que faisant partie des premières entreprises semencières, avec ses 3 % de parts du marché mondial, elle se classe loin derrière les trois leaders du secteur (Bayer règne sur 23%, Corveta 17% et ChemChina 7% du marché).

KWS a été parmi les premières à tester les plantes génétiques, et est aujourd’hui l’une des entreprises qui promeut le plus la déréglementation des nouveaux OGM en Allemagne.

Dans sa politique de dépôt de brevets, KWS suivre un schéma spécifique :ils revendiquent les gènes et les variantes de gènes détectés par KWS, même s’ils peuvent se produire naturellement ou résulter d’une mutagenèse aléatoire. Les brevets revendiquent toutes les utilisations des variants de gènes pour la sélection (criblage, sélection,ancienne et nouvelle technique d’édition du génome), ainsi que toutes les plantes produites à l’aide de ces méthodes qui ont le variant dans leur génome, que les plantes soient génétiquement modifiées ou non. Les caractéristiques de sélection revendiquées comprennent des traits importants tels que la résistance aux agents pathogènes des plantes, aux virus, aux maladies fongiques, aux organismes nuisibles, par exemple les nématodes, ou la tolérance aux conditions climatiques extrêmes.

Ces caractéristiques biologiques décrites dans ces brevets peuvent être obtenues par des méthodes de sélection conventionnelles et des processus aléatoires non ciblés, mais peuvent être « imitées » par le génie génétique. Si ces brevets sont accordés, ils ne se limitent pas au génie génétique, mais incluent également la sélection conventionnelle. En fait, ces brevets ont surtout un impact sur les sélectionneurs conventionnels.

Le rapport étude plus précisement deux demandes de brevet.

  • Cas numéro 1 : Demande de brevet déposé pour la betterave à sucre avec une résistance à Cercospora beticola (maladie des taches foliaires)

« KWS a déposé deux demandes de brevet internationals pour des plantes présentant une résistance accrue à la maladie (WO2020169178 et WO2022037967 et d’autres demandes de brevet européen). Il est évident que KWS n’est pas intéressé par le génie génétique des plantes. Par exemple, en ce qui concerne ses variétés de betteraves, l’entreprise déclare qu’elles ont été rendues résistantes à Cercospora : « Cette nouvelle tolérance a été trouvée dans une large population de sélections que KWS a dérivées principalement d’un large éventail de matériel de betteraves sauvages ». » Les deux brevets décrivent des expériences utilisants CRISPR/Cas et de la transgénèse pour obtenir les plantes désirées. Toutefois, les brevets ne sont en aucun cas limités aux techniques d’ingénieurie génétique. Au contraire, les revendications s’étendent également aux plantes dans lesquelles les caractéristiques souhaitées ont résulté de mutations aléatoires obtenues en augmentant le taux de mutation, ainsi que de sélections et de croisements ultérieurs. Il s’agit d’un brouillage délibéré et systématique des différences techniques et juridiques entre le génie génétique et la sélection conventionnelle.

Les demandes de brevet revendiquent diverses variantes de gènes qui peuvent conférer des résistances spécifiques. En outre, elles revendiquent des méthodes d’identification des plantes (y compris via des gènes marqueurs, mais aussi phénotypiquement, c’est-à-dire en évaluant le degré d’attaque fongique) et également de toutes les plantes portant les variantes génétiques correspondantes dans leur génome. Les revendications s’étendent à l’utilisation de gènes découverts dans des variétés et dans des espèces de betteraves sauvages.

On notera que ces brevets pourraient être utisés dans des variétés destinées à l’agriculture biologique (BLANDINA par exemple).

  • Cas numéro 2 :Demande de brevet sur la sélection de maïs avec une digestibilité améliorée

« Le brevet (EP3560330) a été accordé en juin 2022 à la KWS pour le maïs présentant une digestibilité améliorée, que les plantes aient été ou non sélectionnées à l’aide de gènes mutés au hasard ou produites par génie génétique. Ce brevet est particulièrement controversé car il a été accordé après l’entrée en vigueur de la nouvelle règle 28 de la Cour européenne des brevets, qui interdit les brevets sur les plantes sélectionnées de manière conventionnelle.

Là encore, la description du brevet comprend divers exemples d’applications avec et sans génie génétique. Cela donne l’impression que les méthodes de génie génétique sont d’une importance primordiale dans ce contexte. Cependant, comme il ressort également de la description du brevet, les variantes génétiques en question ont été découvertes dans certains plants de maïs et transformées en variétés KWS au moyen d’une sélection classique. »

Comme le fait remarquer No patents on seeds!, KWS joue ici sur les ambiguités et le flou de la réglementation. Ainsi, bien que la directive 98/44 établisse que ni les espèces sauvages ni les « pures » découvertes ne sont pas brevetables, les entreprises telles que KWS affirment que si les gènes en question sont reproduits dans d’autres variétés, ils ne se trouvent plus dans leur environnement naturel et que, par conséquent, la formulation de la directive européenne 98/44 (article 3.2) permet de les breveter. De même, si la directive interdit les brevets sur les « procédés essentiellement biologiques », elle ne définit pas ces termes…

« Dans le cas de KWS, leur objectif est de contrôler l’accès aux ressources biologiques brevetées, puis de gagner autant d’argent que possible : en octobre 2022, KWS a publié sur Internet son propre catalogue de caractéristiques végétales disponibles, appelées « caractéristiques indigènes », pour l’octroi de licences. Toute nouvelle sélection est ainsi considérablement limitée : si d’autres sélectionneurs veulent utiliser les traits brevetés dans leurs propres variétés, ils doivent négocier et payer des droits de licence. La liberté de sélection est remplacée par des coûts et des dépendances contractuelles. On ne sait pas non plus si l’accès sous licence sera proposé pour tous les brevets. »

Il n’est cependant pas certain que cette stratégie soit vraiement payante sur le long terme pour KWS. En effet, le nombre de brevets déposés par les différentes entreprises montre que KWS ne fera guère partie des gagnants dans la course aux brevets… La part de marché de l’entreprise semble trop faible pour qu’elle puisse survivre face aux autres concurrents commercialisatn des semences brevetées. Avec une telle stratégie, KWS met donc non seulement sa propre position en danger, mais menace également ses concurrents de la sélection traditionnelle, dont les libertés sont de plus en plus restreintes en raison de ces brevets.

Lien vers le rapport de No patent on seeds! ICI

De façon concommitante à la publication de ce rapport, « No Patents on Seeds ! » a manifesté au siège de KWS en Allemagne, à l’occasion de l’assemblée annuelle des actionnaires de la société le 6 décembre 2022. (voir communiqué de presse ICI)