Niveau juridique : International
Texte du communiqué :
»Bagnolet | 16 septembre 2022 - Le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture – souvent aussi appelé « Traité sur les semences »- doit réunir à New-Delhi du 19 au 25 septembre son Organe Directeur composé de ses 144 États membres. Depuis son entrée en vigueur en 2004, le Système multilatéral du Traité gère l’accès à plusieurs millions d’échantillons de semences pour la plupart collectées dans les champs des paysans de toute la planète puis conservées dans les « banques de germoplasmes ». Il met ces « ressources phytogénétiques » à disposition des chercheurs et de l’industrie qui les utilisent pour sélectionner et commercialiser de nouvelles variétés. En contre-partie, son article 9 promet :
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de garantir les droits des paysans qui ont sélectionné, sélectionnent et conservent ces ressources phytogénétiques » dans leurs champs de les utiliser, les échanger et les vendre ;
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de protéger leurs connaissances, leur droit au partage des bénéfices issus de l’utilisation de leurs semences et à la participation aux prises de décisions les concernant ;
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de s’opposer à tout droit de propriété intellectuelle pouvant limiter l’accès aux semences qu’il distribue, à leurs parties ou à leurs composantes génétiques.
Les paysans de La Via Campesina seront présents à New Delhi au sein de la délégation de la Plate-forme pour la Souveraineté alimentaire (CIP) pour rappeler à l’Organe Directeur du Traité qu’il doit immédiatement faire appliquer leurs droits. En outre, il existe à présent un nouvel outil de lutte pour le droit aux semences, il s’agit de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP). Cette Déclaration, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, renforce la position de l’article 9 du « Traité sur les semences », avec des articles relatifs aux obligations des Etats de mettre en œuvre la totalité des droits tels que définis dans l’article 9.
Depuis 2004, aucune des promesses de l’article 9 n’a en effet été tenue : le partage des avantages se limite à quelques miettes symboliques offertes par une poignée d’État ou plus récemment jetées en pâture par quelques industriels. De plus, la majeure partie du peu d’argent ainsi récolté n’est pas restitué aux paysans qui ont donné leurs semences, mais distribué à des institutions académiques. Les pays riches privilégient les lois de certification et de propriété intellectuelle qui limitent ou interdisent les droits des agriculteurs et utilisent les accords de libre échange pour imposer les mêmes lois aux pays du « Sud ». Seule une minorité d’État réussit à résister à ces pressions commerciales indignes pour appliquer les droits des agriculteurs.
Les lois semencières industrielles imposent le monopole absolu des semences rendues homogènes et stables pour pouvoir être protégées par des droits de propriété intellectuelles. Cette standardisation des semences impose la même standardisation des conditions de culture par les engrais et pesticides chimiques et les machines dépendant tous d’une forte consommation d’énergies fossiles. Elles criminalisent l’immense diversité de semences paysannes suffisamment vivantes pour permettre aux paysans de les adapter chaque année à l’immense diversité des terroirs et des conditions de culture et à leurs changements, notamment climatiques.
Ces lois pérennisent ainsi un système semencier industriel qui s’effondre et interdisent les systèmes semenciers paysans seuls à même de garantir le droit à l’alimentation des générations futures, droit réitéré dans l’article 15 de l’UNDROP.
Les droits des paysans et un authentique partage des avantages sont combattus par l’obstruction d’une minorité de pays riches qui réclament par contre un nouvel élargissement du nombre d’espèces de semences auxquelles le Traité leur donne accès. Cette obstruction provoque les protestations de plus en plus vives de la majorité des pays membres moins riches financièrement, mais plus riches en semences sélectionnées et conservées par leurs paysans. Face au risque de voir ces protestations se transformer en décisions contraignantes, l’industrie a soudain inventé un nouveau vocabulaire pour tenter d’échapper à ses obligations : elle ne parle plus de ressources phytogénétiques, mais « d’informations numériques de séquences génétiques » (DSI) – c’est à dire des informations numériques séquentielles de toutes les caractéristiques des ressources génétiques des plantes.
De tout temps, on a sélectionné de nouvelles semences en croisant des plantes et en modifiant leurs caractères par divers procédés agronomiques, physiques ou chimiques, puis en les observant pour choisir et multiplier celles qui offrent les récoltes les plus intéressantes. Aujourd’hui, la nouvelle religion génétique réduit les organismes vivant à la seule représentation numérique de leur contenu génétique, qui sont des informations contenues dans chaque cellule de chaque être vivant qui peut être transmis à la génération suivante. Le matériel génétique comprend, entre autres, l’ADN et l’ARN.
Le Traité s’est en conséquence associé au consortium DivSeek mobiliser des millions de dollars destinés à séquencer les génomes de toutes les semences qui lui sont confiées et coordonner la mise en accès libre de ces DSI sur internet. Il demande par ailleurs aux chercheurs et aux ONG financés par le partage des avantages de collecter et de lui remettre les nouvelles semences sélectionnées par les paysans et de publier toutes les données rendant compte des connaissances des paysans sur les caractères d’intérêt de ces semences. Pour remplacer toujours plus vite leurs variétés industrielles de moins en moins durables par d’incessantes innovations tout aussi obsolescentes, les multinationales n’ont dès lors plus besoin d’avoir accès aux ressources phytogénétiques physiques des banques de germoplasmes gérée par le Traité. Elles recueillent librement sur internet les bases de données compilant les séquences génétiques de millions de semences et les connaissances associées des paysans. Elles confient ensuite ces DSI aux algorithmes de très puissants ordinateurs chargés d’identifier les séquences génétiques associées aux caractères les plus intéressants pour commercialiser massivement de nouvelles semences. Après avoir breveté ces « informations génétiques » et missionné leurs chargés de communication pour multiplier les promesses destinées à recueillir un maximum des fonds financiers, elles chargent leurs généticiens de tenter d’introduire ces DSI dans de nouvelles variétés commerciales.
Lors des discussions internationales, les pays riches qui hébergent les multinationales semencières affirment que les DSI des semences du système multilatéral du Traité ne sont pas des ressources phytogénétiques soumises à l’interdiction de les breveter et au partage des avantages, mais des résultats de la Recherche. Leurs lois nationales de propriété intellectuelle disent pourtant le contraire en étendant la portée d’un brevet portant sur une information génétique à tout organisme qui contient cette information et exprime le caractère d’intérêt associé.
Le Traité organise ainsi avec Divseek une nouvelle forme de biopiraterie qui consiste à priver les paysans de leurs droits de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre les semences qu’ils ont eux-mêmes sélectionnées dès qu’elles sont collectées parfois sans même qu’ils en soient informés pour alimenter des collections de recherche ou nationales mises à disposition du Système multilatéral..
Au delà de son insupportable injustice, cette nouvelle biopiraterie menace le droit à l’alimentation et la souveraineté alimentaire des peuples. En quelques années, trois multinationales se sont emparées du contrôle de plus de 50 % des semences commercialisées sur la planète avec ces brevets sur les DSI et les procédés de génie génétiques destinés à les utiliser. Elles peuvent dès lors décider qui a ou non accès aux semences pour produire son alimentation. De plus, si la puissance de calcul des algorithmes est de plus en plus importante, leur intelligence reste nulle. L’intelligence est en effet le propre du vivant. La prétendue « intelligence artificielle » du génie génétique répare et conçoit hors du monde réel de nouvelles semences comme on programme le fonctionnement des machines. Mais les semences ne sont pas des machines. Elles sont les organes de reproduction d’être vivants, les plantes. La vie n’obéit pas aux modélisations des ordinateurs. C’est pourquoi les semences-machines de l’industrie génétique ne peuvent que générer de multiples dommages au monde vivant, à la santé et à l’environnement au sein duquel elles sont disséminées. Les nouveaux OGM ne tiendront pas mieux leurs promesses et ne seront pas plus durables que leurs prédécesseurs transgéniques. Leur expansion menace la sécurité alimentaire.
Seules les semences sélectionnées année après année par les paysans dans leurs champs sont adaptées au monde vivant réel de chaque condition locale de culture et les mieux à même de s’adapter à leurs évolutions, notamment climatiques. Les systèmes semenciers paysans qui les font vivre reposent sur les droits des paysans de conserver, d’utiliser d’échanger et de vendre leurs semences et de les protéger des contaminations génétiques et de la biopiraterie. Ils produisent aujourd’hui les trois quarts de la nourriture disponible sur la planète en n’utilisant qu’un quart des surfaces agricoles. Ce sont les seuls systèmes durables qui respectent l’intérêt commun. Le système semencier industriel alimente certes avec ses brevets la spéculation financière au seul profit d’une petite élite, mais ne produit qu’un quart de la nourriture disponible en utilisant les trois quart des surfaces agricoles. Il n’est pas durable.
Les États qui ont signé le texte du Traité doivent tous respecter leurs engagements.
La Via Campesina appelle en conséquence l’Organe Directeur à reconnaître que les informations numériques séquentielles (DSI) SONT des ressources phytogénétiques, à faire respecter l’obligation de ses membres d’appliquer dans leurs lois nationales les droits des agriculteurs tels que définis à son article 9 et de rejeter tous les droits de propriété intellectuelle sur les semences du Système multilatéral, leurs parties et composantes génétiques conformément à son article 12.3
La Via Campesina s’engage pour sa part à développer les systèmes semenciers paysans dans tous les pays du monde, de préférence avec le soutien du Traité.
Mais si le Traité choisit de ne pas faire respecter les droits des paysans et de devenir un instrument de biopiraterie au service des brevets des multinationales sur les DSI, La Via Campesina le combattra et appellera tous les paysans du monde à sauvegarder leurs droits en veillant à ce que que leurs semences ne puissent pas alimenter des collections de recherche ou nationales mises à disposition de son Système multilatéral. »
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