Niveau juridique : France
Dans la deuxième partie de ce rapport, dans laquelle les auteurs se penchent plus spécifiquement comment « donner du sens et de la cohérence à la production alimentaire pour assurer une alimentation durable », un paragraphe (II. B. 1) est consacré au travail sur les variétés végétales, avec pour objectif de « privilégier la recherche partenariale ».
Extraits (passages en gras soulignés par nos soins) :
« Les modes de production ont commencé leur évolution vers des modes plus résilients, et vers un accroissement de la production de protéines végétales.
Le plan « protéines végétales » déjà évoqué donne un signal fort en faveur du développement des cultures de protéagineux. Cependant, les agriculteurs qui opèrent ces cultures ou commencent à se tourner vers elles, font face à d’importantes difficultés de production, avec des années au climat très défavorable aux variétés travaillées : le pois jaune, la lentille sont des variétés très peu travaillées par la recherche, et les dernières obtentions sont anciennes et faiblement résilientes au champ ; une bonne année est suivie de deux années avec une très faible production.
Ainsi l’année 2021 a démontré les risques pris par les agriculteurs qui ont diversifié leur production avec de la lentille, des protéagineux, des pois chiches : la production a été, dans certaines régions, désastreuse par rapport à ceux qui avaient continué à produire des variétés classique (blé, orge, colza) du fait des insectes ravageurs et de la fragilité des variétés utilisées.
Aussi il est de la responsabilité des pouvoirs publics de ne pas engager les agriculteurs dans des voies risquées si la rénovation variétale est en retard, ce qui a été dénoncé par plusieurs interlocuteurs des rapporteurs. Les variétés végétales résistantes (pour les féveroles, le pois, le lupin) disponibles sont insuffisantes, rendant l’autonomie en protéines encore lointaine.
Les agriculteurs ressentent un décalage entre ce qui leur est demandé en termes de production et de transition et la réalité de la recherche sur des cultures alternatives très résilientes. S’exprime une forte demande de recherche concrète (dans des domaines tels que le bio‑contrôle, la couverture permanente, les mélanges variétaux…), afin de faire émerger des solutions techniques pour évoluer vers une agriculture résiliente et durable. Il faut souligner que de nombreux agriculteurs font leurs recherches eux‑mêmes…
Les rapporteurs ont constaté une certaine amertume de la part des représentants des agriculteurs quant au travail de l’INRAE, qui consacrerait un pourcentage important des crédits de recherche sur certaines filières au détriment de la recherche sur les protéagineux (ainsi, l’INRAE aurait abandonné les recherches sur le lupin). La recherche sur les protéagineux est limitée et peu dotée depuis longtemps, et a bénéficié de peu d’expérimentations.
Une inquiétude s’est exprimée quant au retard pris dans ces domaines, et un sentiment que les recherches décidées par les instituts s’orientent vers des directions trop abstraites, comme les travaux de l’INRAE dans le domaine des sciences sociales, d’études stratégiques à très long terme… Une mesure du Plan de relance a doté cette recherche de 30 millions d’euros au bénéfice des instituts techniques spécialisés, ce qui est un bon début.
Le programme budgétaire 776 « Recherche appliquée et innovation en agriculture », qui englobe le financement de travaux de recherche appliquée, et notamment les missions d’expérimentations de FranceAgriMer et des instituts techniques agricoles est doté de 65,52 millions d’euros pour 2022, en légère baisse par rapport à 2021.
En particulier, la situation fragile de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques (ITAB), qui effectue la recherche‑expérimentation en agriculture biologique, et qui a été mis en redressement judiciaire, inquiète. Les crédits délégués à l’ITAB étaient de 1,2 million d’euros en 2020, et se limitent à un million d’euros seulement, ce qui est très peu et même inférieur à ceux de l’Institut de la Betterave pour travailler sur les produits de substitution aux néonicotinoïdes, de 2 millions.
Les outils de bio‑contrôle, les innovations techniques pour moins d’intrants et moins d’eau sont à développer rapidement. En matière de bio‑contrôle, un seul programme est réputé efficace – trichogramme, utilisé comme agent biologique contre la pyrale du maïs avec la propriété d’être efficace en plein champ. Or c’est un dispositif qui a été élaboré dans les années 90 !
Il est donc urgent de stimuler les investissements dans la recherche de semences plus performantes dans le secteur des protéagineux (en référence à la stratégie d’autonomie protéique), comme dans les nouvelles techniques de génomique, afin de permettre aux agriculteurs d’atteindre les objectifs qu’on leur assigne.
Ces enjeux nécessitent une évolution de la réglementation concernant les nouvelles techniques de sélection, ou « New Breeding Technologies » (NBT), nouvelles technologies génétiques d’amélioration végétale. Le développement des NBT, bien encadré juridiquement, pourrait permettre de cultiver des variétés plus résistantes aux aléas climatiques et aux insectes ravageurs, et donc de réduire le recours aux produits phytosanitaires et notamment aux néonicotinoïdes. Le développement des NBT se heurte aujourd’hui au cadre européen, bâti pour restreindre la production d’organismes génétiquement modifiés (OGM), la Cour de justice de l’Union européenne ayant assimilé, par principe de précaution, les techniques de mutagénèse, c’est-à-dire de modification d’un gène déjà présent dans la plante, à des OGM. Le co‑rapporteur évoque cette question très importante pour la résilience de l’agriculture européenne dans son récent rapport d’information sur l’autonomie alimentaire de la France et au sein de ses territoires.
Une évolution peut être espérée avec les positions prises par la Commission européenne qui a reconnu que les NBT ont un réel potentiel pour contribuer à des systèmes alimentaires plus durables et compatibles avec les objectifs du Pacte vert et de la stratégie « De la ferme à la fourchette ». Elle recommande ainsi d’adapter la législation européenne aux récents progrès scientifiques, avec un projet de réglementation à l’étude. La Commission précise en outre que l’évaluation des risques sera prise en compte et que des mécanismes de traçabilité, d’étiquetage et d’ajustements réglementaires seront prévus. »
Lien vers le rapport in extenso ICI