Niveau juridique : France
En février 2021, le président du Comité plénier du CTPS a saisi le comité scientifique du CTPS pour éclairer les travaux du CTPS, en cohérence avec le plan ministériel « Semences et plants pour une agriculture durable », révisé en 2021. Le CTPS a en effet une mission d’appui et de conseil technique pour le compte du ministère de l’Agriculture. Le comité scientifique a pour mandat d’apporter un éclairage scientifique utile aux travaux du CTPS ou aux autorités françaises en amont de l’élaboration de la réglementation. Ce rapport présente les travaux du Comité Scientifique du CTPS sur l’évaluation des variétés pour l’agroécologie, en réponse à cette saisine du Comité Plénier du CTPS. Il est organisé en quatre grands items :
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Evolution des espèces, variétés, semences et plants, et diversité génétique nécessaires à un modèle agricole reposant sur l’agroécologie
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Place des démarches participatives pour la création variétale en agroécologie
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Modalités d’évaluation des variétés pour l’agroécologie et incidences sur l’inscription des variétés
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Mise à disposition des résultats de l’innovation aux utilisateurs
Extraits choisis du résumé exécutif :
« La transition agroécologique est aujourd’hui perçue comme une voie offrant de nombreuses possibilités pour améliorer la durabilité et la résilience des systèmes agricoles. De nombreuses politiques et plans de relance agricoles mettent l’accent sur cette voie. L’agroécologie par la maximisation de l’usage des processus écologiques et notamment des interactions positives entre les plantes ainsi qu’entre les plantes et leur environnement abiotique ou biotique (micro-organismes du sol notamment) permet la minimisation du recours aux intrants de synthèse (engrais et pesticides). Pour cela, il ne suffit pas de rechercher le meilleur usage possible des ressources, ce qui conduirait à une agroécologie « faible », mais il faut également réaliser un saut qualitatif sur l’efficience d’utilisation des intrants, et de reconcevoir des systèmes de production sobres en énergie faisant explicitement appel à des processus biologiques qui favorisent la fertilité des sols ou la régulation de bioagresseurs, afin d’aller vers une agroécologie « forte » (Duru et al., 2014). Le Comité Plénier du CTPS (Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées) a sollicité le Comité Scientifique du CTPS afin qu’il éclaire, sur la base de la littérature scientifique et technique, ce qu’implique la transition agroécologique en termes d’espèces de variétés, de sélection, d’évaluation et de production de semences et de plants.
Besoins et diversité d’espèces, de variétés, de semences et de plants dans un modèle reposant sur l’agroécologie
L’agroécologie étant largement basée sur un accroissement des services rendus par les cultures, elle entraîne un besoin de plus d’espèces, de variétés et de diversité fonctionnelle. La diversité peut être obtenue en cultivant des associations d’espèces ou de variétés, mais également en agençant une plus grande diversité de variétés et d’espèces dans l’espace et dans le temps. Les espèces mineures, les plantes de service et les espèces de printemps ont un rôle important à jouer dans cette diversification. L’agroécologie est caractérisée par l’augmentation de la dépendance des variétés aux conditions locales. Davantage de variétés seront donc à sélectionner et à évaluer, pour des adaptations à des situations singulières. Les traits importants à sélectionner et à évaluer en agroécologie sont nombreux. Ils concernent notamment la vigueur, la phénologie, et l’aptitude à l’association. D’autres traits, diversifiés, sont également à prendre en compte (dont les résistances aux maladies et autres bioagresseurs), et le compartiment souterrain est très peu exploré aujourd’hui. Enfin, les interactions entre la plante et son environnement prennent une importance particulière en agroécologie, en particulier les interactions entre variétés et microbiotes qui conduisent à élargir la caractérisation des variétés à leur holobionte.
La transition agroécologique multiplie les axes de sélection (services) et renforce le besoin d’accès à une diversité facilement modulable et adaptable, ce qui va nécessairement faire sortir l’agriculture du concept dominant de l’homogénéité, de la variété unique ou de la variété pure. Il pourra donc être utile de sélectionner une diversité de profils variétaux, complémentaires les uns des autres plutôt que de rechercher un nombre très limité de profils optimaux et ainsi permettre la constitution de portefeuilles de variétés plus stables et résilients capables de mieux valoriser des ressources fluctuantes dans le temps et de limiter voire de compenser l’impact de stress ponctuels peu prédictibles. Par exemple, disposer de profils de précocité variés au sein d’une même parcelle ou d’une même exploitation peut être une stratégie intéressante pour valoriser les ressources sur une plus longue période et éviter les accidents en cas de stress forts et ponctuels. Si l’évaluation des variétés est aujourd’hui généralement multicritère (la productivité des variétés étant évaluée en fonction de leur qualité, de leur résistance à certains bioagresseurs, voire de leur mode de production), l’évaluation des variétés pour des systèmes agroécologiques suppose un accroissement sans précédent du nombre de critères à considérer. Cette évaluation devra considérer l’ensemble des services attendus des cultures (dont l’accroissement de la fertilité des sols, le stockage du carbone ou la capacité à réguler la flore adventice), la diversité des usages possibles des récoltes (y compris les « petites » filières), des pratiques et des environnements de culture, cette diversité étant une spécificité des systèmes agroécologiques.
Place des démarches participatives pour la création variétale et l’agroécologie
Une approche participative consiste pour une personne en charge de résoudre un problème ou de concevoir une innovation à impliquer dans sa démarche les acteurs directement concernés par le résultat de son travail (Hazard et Audouin, 2016).(…)
L’innovation variétale construite autour de la transition agroécologique dessine un contexte nouveau, favorable à l’innovation variétale ouverte. Depuis plus de 15 ans, plusieurs programmes et expériences de sélection participatives ont été initiés en France, généralement co-construits entre des équipes de recherche INRAE et des associations paysannes et citoyennes (Desclaux et al 2019). Ces programmes visent à répondre à une diversité de besoins en termes d’adaptation à des pratiques d’agriculture biologique et/ou agroécologiques, à des débouchés nouveaux et des conditions pédo-climatiques très variées. (…)
Les questions posées par les démarches participatives au niveau de l’inscription concernent la description des règles d’inscription, l’évaluation d’un matériel végétal plus hétérogène, l’intégration du “participatif” dans la réglementation, les dispositifs à activer afin d’obtenir un maximum d’information sur le comportement variétal, les garanties pour les sélectionneurs et les utilisateurs, l’analyse de données de l’évaluation participative, sans oublier le partage de valeurs générées.
Modalités d’évaluation des variétés pour l’agroécologie et incidences sur l’inscription des variétés
Les réseaux d’essais et les dispositifs devront évoluer pour considérer davantage de services, de milieux et de pratiques agricoles. L’évaluation des variétés reposera sur une combinaison d’essais au champ dont certains en agroécologie visant à caractériser l’adaptation des variétés à différents systèmes de cultures et d’essais en conditions contrôlées dédiés à l’études de caractéristiques d’intérêt (allélopathie, résistance à des stress biotiques ou abiotiques…). (…)
Les règles d’inscription seront amenées à évoluer pour être en mesure d’inscrire des variétés pour des systèmes agroécologiques. Cela passera à la fois par l’intégration de nouveaux caractères dans la cotation et par la pondération donnée aux différents caractères. Compte-tenu de la diversification des conditions de culture et d’utilisation des variétés, l’agilité dans les règles d’inscription sera particulièrement importante. Il faudra veiller à mener ces réflexions en gardant en tête la compétitivité des systèmes d’inscription des variétés au sein de l’UE (Union Européenne) et à maintenir l’attractivité du catalogue officiel français.
Intégration et diffusion des résultats variétaux pour l’agroécologie
Dans un contexte agroécologique qui implique toujours plus de diversité et demande d’évaluer toujours davantage de caractères, le CTPS a un rôle de tiers de confiance et d’orientation à jouer via la diffusion et l’intégration des données variétales dans un contexte agroécologique, du fait de sa capacité à intégrer les résultats au niveau national, en lien avec le continuum (données pré et post inscription) et en lien avec des données européennes. L’intégration de données variétales au niveau européen nécessitera d’avoir des critères communs évalués en lien avec l’agroécologie, tout en gardant des spécificités nationales en lien avec les besoins spécifiques actuels des filières et en insistant sur les adaptations locales. La plus-value de l’inscription et du CTPS pourrait être de se focaliser sur l’évaluation de caractères spécifiques essentiels aux biens communs apportés par les variétés (résistances aux bioagresseurs, tolérances à des conditions extrêmes…),ou sur l’évaluation de performance globale de variétés dans des situations en agroécologie, afin d’orienter vers une agriculture plus durable et d’inciter à la sélection de variétés plus adaptées à l’agroécologie. Les semences et plants vont également jouer un rôle particulier, notamment en devenant potentiellement les vecteurs de microbiotes spécifiques, importants à la transition agroécologique.
En conséquence, l’ensemble des activités associées aux semences et plants seront revisitées pour apporter les technologies nouvelles indispensables.
Dans le cadre de la transition agroécologique des systèmes agricoles, il sera ainsi nécessaire de penser et créer, et donc d’évaluer une variété dans son système de production, conduisant à combiner plus finement l’amélioration génétique, l’agronomie, mais aussi et plus largement l’ensemble des modalités et des ressources pour la conduite et la protection de ces couverts agroécologiques. »
Lien vers le rapport in extenso ICI