Assemblée Nationale : Question N° : 32739 de M. Paul Molac ( Écologiste - Morbihan )

Niveau juridique : France

Question publiée au JO le : 16/07/2013 page : 7347

Réponse publiée au JO le : 15/10/2013 page : 10787

Texte de la question

M. Paul Molac attire l’attention de Mme la ministre du commerce extérieur sur les négociations récemment ouvertes à Washington entre les États-unis et l’Union européenne concernant un accord de libre-échange. Si la reconnaissance de l’exception culturelle, au crédit du Gouvernement français, a été accueillie comme une bonne nouvelle, la question de l’harmonisation par le bas des normes et réglementations fait peser de nombreuses craintes sur notre modèle économique, industriel, social et écologique européen. Par exemple, dans le cadre des accords de libre-échange de l’ALENA, le gouvernement du Québec, qui a prononcé un moratoire sur la fracturation hydraulique, est poursuivi devant la justice par l’entreprise américaine Lone pine, qui lui réclame 250 millions de dollars.

En ce qui concerne l’alimentation, cela pourrait être la porte ouverte à l’alignement sur les normes américaines, des normes tellement rabotées qu’elles n’encadrent plus grand-chose. Si ces normes d’outre-Atlantique étaient imposées, les consommateurs européens n’auraient plus d’autre choix que de manger des OGM et de la viande aux hormones, ainsi que d’accepter que les carcasses de poulet soient nettoyées au chlore et les carcasses de bœuf à l’acide lactique.

En matière d’agriculture, la menace vient également des énormes capacités d’augmentation de la production par les agriculteurs américains qui pourront, à court terme, inonder le marché européen, avec des conséquences néfastes sur notre production de viande bovine et de céréales, ainsi que sur nos agriculteurs. Le modèle agricole français, soutenu par l’actuel ministre de l’agriculture, développe les méthodes de l’agro-écologie, qui permet de limiter, voire de se passer du recours aux intrants et autres produits de synthèses. Ce n’est pas ce type d’agriculture que promeuvent les grands groupes américains de produits phytosanitaires et de semences OGM, qui veulent emprisonner nos agriculteurs dans un système où ils ne deviendraient que de simples exécutants.

Il lui demande donc de préciser les garanties exigées par le Gouvernement français quant au respect des normes et réglementations sanitaires et environnementales européennes dans l’accord qui se dessine entre l’Union européenne et les États-unis.

Texte de la réponse

La Commission vient d’engager des négociations avec les Etats-Unis pour un partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement ; elle le fait sur la base du mandat de négociation adopté par les Etats membres le 14 juin 2013.

Pour accepter un mandat de négociation, la France a posé trois conditions sine qua none : (i) l’accord ne devra porter aucun préjudice à la diversité culturelle et linguistique et les services audiovisuels sont explicitement exclus du champ de la négociation, (ii) les préférences collectives sont préservées (en particulier, organismes génétiquement modifiés (OGM), promoteurs de croissance dont les hormones, décontamination des carcasses et refus du clonage à but alimentaire) ; (iii) le secteur de la défense est exclu.

Ces conditions sont respectées : les services audiovisuels et le secteur de la défense sont exclus, comme pour toute autre négociation commerciale. Concernant les préférences collectives, le mandat de négociation garantit un haut niveau de protection de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs, préservant l’acquis réglementaire des Etats membres et le droit des partenaires à établir des règles publiques dans ces domaines.

Nos préférences collectives ont pour la plupart des fondements juridiques : nos législations communautaires sur les hormones et la décontamination des carcasses (utilisation de chlore pour la viande de volailles) existent, et ne seront pas modifiées dans le cadre d’une négociation avec les Etats-Unis. Sur le clonage, un projet de réglementation est en cours : les négociations avec les Etats-Unis, longues, n’influeront pas, là encore, nos choix de société.

En l’absence de fondement juridique, le mandat de négociation précise que l’Union européenne garde la possibilité de prendre des mesures pour protéger la santé et la vie des personnes, des animaux et préserver les végétaux. A ce titre, l’interdiction de la culture des OGM pourra être maintenue. En outre, les négociations permettront de prendre en compte le différentiel de compétitivité lié aux choix de politique agricole et au haut niveau d’exigences des normes européennes, dans certaines filières agricoles, par leur classification en produits dits « sensibles ». En effet les viandes, ainsi que d’autres productions agricoles, présentent un important écart de compétitivité avec les productions américaines. Pour les filières viandes par exemple, cette différence est explicable par le modèle de production américain fortement industrialisé (nombre d’animaux par exploitation plus important) qui permet des gains sur les postes d’équipement et de bâtiment. Les frais vétérinaires et de main-d’oeuvre sont aussi moins importants. Enfin, des normes de bien-être animal plus souples et l’utilisation de promoteurs de croissance confèrent un avantage comparatif supplémentaire aux filières américaines. Pour ces productions, afin de les protéger, il sera possible de maintenir des droits de douane européens protecteurs : seuls des volumes limités d’importation pourront être libéralisés dans le cadre de contingents tarifaires. Par ailleurs, ces volumes importés ne concerneront que des produits conformes aux pratiques autorisées en Union européenne (UE) et contrôlées par l’UE. La négociation de ces volumes sera tout l’enjeu des négociations entre la Commission européenne et les Etats-Unis, et la France veillera à l’obtention de volumes équilibrés pour ne pas déstabiliser les filières européennes et françaises.

Enfin, l’accord permettra un rehaussement des normes sociales et environnementales. Le mandat se fixe comme objectif la ratification et mise en oeuvre des normes et accords internationaux sur le travail (convention de l’organisation international du travail) et l’environnement sont encouragés. Une analyse d’impact de développement durable, incluant la société civile, est prévue en parallèle des négociations. Le mandat reconnaît également que les Etats-Unis et l’Europe ne devront pas encourager les investissements directs à l’étranger et les flux commerciaux en affaiblissant les réglementations et standards relatifs à l’environnement, le travail, la santé et la sécurité, ou ceux visant à promouvoir la diversité culturelle. En ce qui concerne la possibilité d’un investisseur étranger de contester une réglementation devant un tribunal extraterritorial, au travers d’un mécanisme de règlement des différends Etat-investisseurs, l’inclusion même d’un tel mécanisme sera décidée après consultation avec les Etats membres. La France demeurera donc vigilante sur ce point, afin de préserver le droit des Etats à réguler. Le Gouvernement français veillera à ce que la Commission respecte scrupuleusement son mandat de négociation.

questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-32739QE.htm