Recours VrTH et organismes obtenus par mutagenèse : décision définitive du Conseil d’Etat

Niveau juridique : France

Le Conseil d’Etat a clôturé définitivement le 7 février dernier le recours juridique enclenché en 2015 sur le dossier dit des VrTH ( Variétés rendues Tolérantes aux Herbicides).

Ce recours a été porté par neufs organisations de la société civile et syndicats, qui ont réagi favorablement à la décision du juge suprême français.

Historique de la procédure juridique

  • Questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat à la Cour de Justice de l’UE et Arrêt de cette dernière le 25 juillet 2018 : voir ICI.

  • Anses : avis et rapport d’expertise collective, « Utilisation des variétés rendues tolérantes aux herbicides cultivées en France », novembre 2019 : voir ICI.

I ) Les points à noter dans la décision du Conseil d’Etat

Deux volets principaux sont à retenir dans la décision du Conseil d’Etat : l’un sur les OGMs et l’autre plus spécifiquement sur le caractère rendu tolérant aux herbicides.

A / sur les OGMs.

Extrait de la décision du Conseil d’Etat

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, de modifier le a) du 2° de l’article D. 531-2 du code de l’environnement, en fixant par décret pris après avis du Haut Conseil des biotechnologies, la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagenèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps.

Article 3 : Il est enjoint aux autorités compétentes d’identifier, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision, au sein du catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, celles des variétés, en particulier parmi les variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH), qui y auraient été inscrites sans que soit conduite l’évaluation à laquelle elles auraient dû être soumises compte tenu de la technique ayant permis de les obtenir et d’apprécier, s’agissant des variétés ainsi identifiées, s’il y a lieu de faire application des dispositions du 2 de l’article 14 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 et des articles L. 535-6 et L. 535-7 du code de l’environnement. “

→ L’un des enjeux de ce recours aura été de remettre en cause l’idée que la mutagénèse est une catégorie de technique génétique homogène. La décision du Conseil d’Etat valide que sous ce vocable on retrouve des techniques génétiques variées qui ne doivent pas être toutes appréhendées de la même manière par rapport à l’application de la réglementation OGM ( cad procédure de comitologie, étude d’impact sanitaire et environnementale, étiquetage …).Les défenseurs des OGM souhaitent imposer l’idée que les obligations découlant de la directive européenne 2001-18 ne s’appliquent pas à l’ensemble des techniques dites de mutagenèse (sans faire de distingo par exemple entre les techniques dites traditionnelles et les “nouvelles” techniques de mutagénèse ou en essayant de mettre en avant des critères mutagenèse dirigée vs mutagenèse aléatoire).

Dans le paragraphe 6 de sa décision le Conseil d’Etat s’appuie sur l’arrêt de la CJUE, cité en amont, pour affirmer que “ doivent être inclus dans le champ d’application de la directive 2001/18/CE les organismes obtenus au moyen de techniques ou méthodes de mutagénèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de la directive le 12 mars 2001. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que tant les techniques ou méthodes dites « dirigées » ou « d’édition du génome » que les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques, telles que mentionnées au point 23 de la décision du Conseil d’Etat du 3 octobre 2016, sont apparues postérieurement à la date d’adoption de la directive 2001/18/CE ou se sont principalement développées depuis cette date. Il résulte de ce qui précède que ces techniques ou méthodes doivent être regardées comme étant soumises aux obligations imposées aux organismes génétiquement modifiés par cette directive.”.

Ainsi, avec l’article 2 de sa décision, le Juge demande au gouvernement de mieux retranscrire la directive européenne 2001-44 en droit français. Pour cela le gouvernement doit modifier le code de l’environnement, dans délais de 6 mois, afin de ne pas exclure toutes les techniques de mutagénèse de l’application de la réglementation OGM. Il doit préciser dans ce code la liste limitative des techniques de mutagenèse auxquelles la réglementation OGM ne s’applique pas. Pour cela, il doit au préalable demander l’avis du Haut Conseil aux Biotechnologies.

Avec l’article 3, le Juge demande aux autorités compétentes ( ici trés certainement le CTPS ou Comité Technique Permanent de la Sélection) d’identifier les variétés inscrites au catalogue des variétés qui pourraient être obtenues par toutes les autres méthodes de mutagenèse concernées. S’il s’avère que des variétés obtenues par une méthode de mutagenèse soumise à la réglementation OGM a été inscrite au catalogue sans que les obligations de cette réglementation OGM ne s’applique, alors la variété devra être retirée du catalogue. De plus la culture, des plantes issues des variétés identifiées devra également être suspendue. Un délais de 9 mois est prévu pour cela.

Plusieurs points sont à noter :

  • le Conseil d’Etat ne s’est prononcé que sur l’application de la réglementation OGM à la catégorie “ mutagénèse”, il ne donne pas d’avis sur les catégories suivantes : la fusion cellulaire ; l’infection de cellules vivantes par les virus, viroïdes ou prions ou encore l’autoclonage ( techniques citées des points c à d de l’article D531-2 du code de l’environnement).

  • sa décision concerne la France et donc uniquement le catalogue des variétés français. On rappellera que la majorité des variétés de colza Clearfiel par exemple ont été inscrites dans un autre pays de l’UE et font donc partie du catalogue européen. L’Etat français ne pourra donc pas agir sur la commercialisation des semences des variétés inscrites au catalogue européen. Le Conseil d’Etat donne cependant des éléments pour permettre d’encadrer la culture des VRTH issues de mutagenèse en France ( voir point B ci-dessous).

B / Sur le caractère “rendu tolérant aux herbicides” des plantes.

Extraits de la décision du Conseil d’Etat :

Article 4 : Il est enjoint, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision au Premier ministre et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre des recommandations formulées par l’ANSES, dans son avis du 26 novembre 2019, en matière d’évaluation des risques liés aux VRTH, ou de prendre toute autre mesure équivalente de nature à répondre aux observations de l’agence sur les lacunes des données actuellement disponibles.

Article 5 : Il est enjoint au Premier ministre de mettre en œuvre la procédure prévue par le 2 de l’article 16 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002, pour être autorisé à prescrire des conditions de culture appropriées pour les VRTH issues de la mutagénèse utilisées en France.

Les organisations requérantes n’ont pas obtenu pleinement gain de cause sur le volet “ TH” car elles demandaient un moratoire sur la culture des plantes rendues tolérantes aux herbicides, notamment par rapport aux risques agronomiques, environnementaux et sanitaires découlant des pratiques culturales (ex : utilisation d’herbicide).

On notera cependant avec intérêt les articles ci-dessus extraits de la décision du Conseil d’Etat :

  • l’évaluation des risques liées aux VrTH doit être améliorée ;

  • le premier ministre doit solliciter la commission européenne pour pouvoir mettre en oeuvre des conditions de cultures spécifiques pour les plantes VrTH issues de mutagenèse. On notera que dans cet article 5 le Conseil d’Etat donne la catégorie générale mutagénèse. Ces conditions de culture sont à construire, mais elles devraient a minima permettre d’éviter les différentes risques liés à la culture de ces plantes.

LIENS

II ) Réactions diverses et suites

La décision du 7 février est franco-française, stricto sensus elle ne s’appliquera donc qu’en France mais en pratique nous pouvons observer que :

  • le Conseil d’Etat demande au premier ministre de solliciter la Commission européenne pour encadrer les conditions de culture des plantes VrTH issues de mutagénèse ;

  • les conséquences politiques de cette décision au niveau de l’UE , dans un contexte où la remise en cause de la réglementation OGM actuelle (directive européenne 2001-18) est déjà en route. Cela a notamment été formalisé à travers la décision du Conseil Européen de demander une étude à la Commission concernant le statut des nouveaux OGMs suite à l’arrêt de la CJUE en juillet 2018 --> L’étude de la commission est attendue pour avril 2021.

Réactions diverses

Article d’Inf’OGM OGM : le Conseil d’État suit les organisations (…) - Inf’OGM

Article actu-environnement : La France a six mois pour réglementer sur les nouveaux OGM

OGM et VrTH : l’enjeu est de revenir aux semences paysannes, vidéo et article, Actu-environnement, 13-02-2020 : Voir ICI