Niveau juridique : France
Texte de la question :
« Mme Cécile Cukierman attire l’attention de M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation sur les conséquences dommageables d’un blocage du fonctionnement du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA).
Adopté en 2001 par l’assemblée générale des Nations unies, le TIRPAA est le seul traité international qui mutualise l’accès à la diversité des semences et reconnaît le droit des paysans à conserver, utiliser, échanger et vendre leurs propres semences. L’organe directeur du TIRPAA se réunit tous les deux ans afin d’évaluer et améliorer l’application de ce traité.
Lors de la réunion qui s’est tenue en novembre 2019 à Rome un point de blocage est apparu. En effet, l’un des enjeux était de réformer l’accord type de transfert de matériel (ATTM) pour rendre obligatoires les reversements d’une partie des bénéfices des entreprises au fonds de partage des avantages du traité. Les négociations ont échoué. L’Amérique du nord, l’Europe, le Japon, la Malaisie et l’Australie refuseraient de partager le moindre bénéfice issu de l’utilisation des informations de séquençage numérique des ressources génétiques. Ils se seraient opposés aux pays en développement qui veulent tous récupérer leurs parts de partages des avantages.
Par ailleurs, certains pays, notamment d’Afrique, craignent que des brevets déposés sur des informations génétiques, viennent limiter les droits des agriculteurs qui les ont fournies de continuer à les conserver, les utiliser, les échanger et les vendre. En effet, en brevetant une information de séquence génétique, l’industrie semencière se rendrait propriétaire de toutes les plantes qui la contiennent, y compris de celles qui sont dans les champs des paysans ou dans les banques de semences.
Cette situation serait inacceptable pour les paysans, car ces brevets permettraient également à l’industrie de s’emparer de toutes les semences du système multilatéral du traité qui serait ainsi privatisé.
Ces échantillons, mis à disposition par le traité, représentent un enjeu majeur et ne sont pas uniquement la matière première de l’industrie semencière, ils sont également la garantie de la sécurité alimentaire de nos enfants et petits enfants.
C’est pourquoi elle lui demande comment le Gouvernement compte faire afin de pérenniser et mettre en application un traité qui garantisse le respect des droits des agriculteurs. »
Réponse de M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, publiée dans le JO Sénat du 26/03/2020
« Les autorités françaises soutiennent l’importance de la conservation durable et de l’accès facilité aux ressources phytogénétiques (RPG), indispensables pour encourager l’innovation variétale face aux grands enjeux agricoles et alimentaires, en lien avec le changement climatique, la sécurité alimentaire et la transition agro-écologique. C’est en ce sens que dès l’entrée en vigueur du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA), la France a participé activement aux négociations notamment dans le cadre de la réforme du système multilatéral (SML). À travers ce système, tout utilisateur peut accéder aux RPG mises à disposition par les parties contractantes au traité, via la signature d’un accord type de transfert de matériel (ATTM), contrat introduisant, en cas de développement d’un produit (i.e. une nouvelle variété), un paiement a posteriori volontaire ou obligatoire selon l’accès facilité du produit pour la recherche et la sélection. A l’occasion de la tenue de l’organe directeur du TIRPAA en novembre 2019, la question de rendre obligatoire tous les versements dans le fonds commun de soutien pour la conservation dans les pays en voie de développement n’a pas pu aboutir et continuera de faire l’objet de consultations. Pour autant, le mécanisme d’accès du traité fonctionne efficacement avec, à ce jour, près de 2,5 millions de RPG versées dans le SML et 5,4 millions de transferts de RPG notifiés. Les dispositions actuelles restent en vigueur et permettent d’assurer la fonctionnalité du traité dans les années qui viennent pour les opérateurs au niveau national. Concernant les droits de propriété intellectuelle sur le vivant, les autorités françaises et l’ensemble de l’Union européenne (UE) sont fermement opposés à toute forme de droit en la matière pouvant restreindre l’accès et l’utilisation des RPG. Cette opposition européenne a été réaffirmée lors de la tenue du Conseil de l’UE en mars 2019, puis au Parlement européen en septembre 2019 et figure comme ligne directrice des échanges avec l’office européen des brevets sur la thématique des produits dérivés de « procédés essentiellement biologiques », i.e. obtenus par croisement et sélection. Au niveau national, cette position est inscrite dans la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, qui a modifié le code de la propriété intellectuelle, afin d’exclure du champ de la brevetabilité les produits exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques, y compris les éléments qui constituent ces produits et les informations génétiques qu’ils contiennent. En novembre 2019, cette volonté politique a conduit plus spécifiquement l’organe directeur du TIRPAA, à l’initiative de la France, à inclure dans le projet de résolution des paragraphes appelant les acquéreurs de titre de propriété intellectuelle à exercer leurs droits sans que ceux-ci n’entravent l’utilisation continue des RPG versées dans le SML par les agriculteurs, utilisation faite dans le respect des lois nationales. Enfin, en plus de l’interaction avec les questions relatives au fonctionnement du SML, la question des droits des agriculteurs fait l’objet d’un groupe de travail technique dédié. La France y a pris part de façon active en soulignant l’intérêt de disposer d’une politique sur les semences afin d’assurer aux agriculteurs la garantie de disposer de semences saines, loyales et marchandes. Le groupe de travail, reconduit pour le prochain biennium, a produit un inventaire de pratiques nationales promouvant les droits des agriculteurs et devra formuler des options pour encourager leur adoption par les États membres du traité, options qui seront examinées lors du prochain organe directeur prévu pour la fin 2021. »
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