Niveau juridique : France
A l’occasion de la loi constitutionnelle « Démocratie plus représentative, responsable et efficace » ont été déposés deux amendements visant à faire entrer dans la Constitution l’interdiction de brevetage du vivant.
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AMENDEMENT N°1097 présenté par Mme Obono, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Panot, M. Prud’homme, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin et Mme Taurine
Texte de l’amendement :
« ARTICLE ADDITIONNEL
AVANT L’ARTICLE PREMIER, insérer l’article suivant:
Après le quatorzième alinéa de l’article 2 de la loi constitutionnelle n° 2005‑205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Art. 3-1. – Les êtres vivants ne peuvent faire l’objet d’aucun brevetage. La République ne reconnaît aucun brevet de ce type. »
EXPOSÉ SOMMAIRE
« La nature ou Pachamama, où la vie est reproduite et existe, a le droit au respect intégral de son existence, du maintien et de la régénération de ses cycles vitaux, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs. » Voilà ce qu’indique la Constitution de l’Équateur (2008), premier pays à introduire un droit de la nature à exister par et pour elle-même. Les implications d’un tel droit vont bien au-delà d’un « droit à un environnement sain », et ses impératifs de conservation et de protection d’une nature au bénéfice des êtres humains et de la richesse qu’il peut en tirer.
Face à l’urgence écologique, nous considérons que l’intérêt écologique doit prévaloir sur l’intérêt économique. Il s’agit ainsi de refuser les destructions autant que l’appropriation des écosystèmes. Une première pierre à l’inversion de la hiérarchie des normes, inspirée de la Constitution équatorienne, vise donc à interdire le brevetage du vivant. »
Lien vers la page de l’amendement ici
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AMENDEMENT N°2114 présenté par M. Colombani
Texte de l’amendement :
« ARTICLE ADDITIONNEL
AVANT L’ARTICLE PREMIER, insérer l’article suivant:
Après le vingtième alinéa de l’article 2 de la loi constitutionnelle n° 2005‑205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « La brevetabilité du vivant respecte un cadre éthique précisé et révisé par la loi. Le corps humain et ses éléments, y compris la séquence partielle d’un gène, ne peuvent en tout état de cause constituer des inventions brevetables ».
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement vise à inscrire dans la Charte une obligation de soumettre la brevetabilité du vivant, aussi bien animal que végétal, à un cadre éthique régulièrement révisé, ainsi qu’une interdiction de brevetabilité du vivant humain.
Cette interdiction de brevetabilité du vivant humain existe déjà au niveau communautaire à l’article 5§1 de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.
Mais cette inscription dans la Charte la rehausserait à un niveau supérieur selon la conception classique de la hiérarchie des normes. Elle constitue donc un garde fous en cas de révision trop licencieuse ou permissive de la directive communautaire. »
Lien vers la page de l’amendement ici
Ces amendements ont été discuté lors de la séance publique du 11 juillet 2018.
Extraits de débats (séance publique du 11 juillet 2018) :
« M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 1097 et 2114, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Muriel Ressiguier, pour soutenir l’amendement no 1097.
Mme Muriel Ressiguier. Actuellement, le brevetage du vivant modifie les rapports de forces au sein du monde agricole en permettant à des entreprises privées de s’approprier certains écosystèmes. Lorsqu’une semence est brevetée, les agriculteurs ne peuvent plus conserver une partie de leur récolte en vue d’en faire des semences pour l’année suivante, ni même échanger celles qu’ils ont fait pousser – car elle ne leur appartiennent pas.
M. Guillaume Larrivé. Quel est le rapport avec la Constitution ?
Mme Muriel Ressiguier. Sur le plan écologique, une telle évolution conduit à un appauvrissement de la biodiversité. Sur le plan économique, les agriculteurs perdent leur autonomie tandis que les grands semenciers s’arrogent le monopole du vivant en en devenant propriétaires.
Le cas de l’Inde est très éclairant à ce sujet : un rapport de 2009 de la militante Vandana Shiva fait état de 1 500 brevets déposés par de grandes multinationales, dont Monsanto, sur des plantes résistantes au climat. Cela s’est traduit par une augmentation importante du taux d’endettement des petits paysans, qui ont dû, chaque année, acheter des semences à Monsanto, ce qui a entraîné parmi eux de nombreux suicides. (Murmures sur les bancs du groupe LR.)
Je suis ravie, chers collègues, de voir que les suicides des agriculteurs vous font rire.
Le monde de la recherche n’est pas épargné, puisqu’il n’est pas obligatoire de lister les brevets présents dans les variétés semencières. Il est compliqué et coûteux, pour les laboratoires, de savoir s’ils peuvent ou non effectuer des recherches sur un matériel biologique donné.
De fait, il est encore plus difficile, pour les consommateurs, de savoir où se cachent les organismes génétiquement modifiés. Il est donc temps de faire primer l’intérêt écologique sur l’intérêt économique.
On parle de l’ère de l’anthropocène, dans laquelle l’humain a un impact considérable sur la biosphère. Nous devons donc agir avec responsabilité. C’est pourquoi, par cet amendement, nous proposons d’inscrire dans la Charte de l’environnement – que, nous le savons, vous refusez de modifier –, le principe de non-brevetabilité du vivant.
Mme Caroline Fiat. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Paul-André Colombani, pour soutenir l’amendement no 2114.
M. Paul-André Colombani. Notre collègue a déjà très bien défendu l’amendement no 1097. L’amendement no 2114 vise, d’une part, à inscrire dans la Charte de l’environnement l’obligation de soumettre la brevetabilité du vivant – aussi bien animal que végétal – à un cadre éthique régulièrement révisé et, d’autre part, à interdire totalement la brevetabilité du vivant humain.
Si cette interdiction de brevetabilité du vivant humain existe déjà au niveau communautaire, son inscription dans la Charte la rehausserait, selon la conception classique de la hiérarchie des normes. Elle constituerait donc un garde-fou en cas de révision trop licencieuse ou permissive de la directive communautaire concernée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Richard Ferrand, rapporteur. Il est défavorable : outre le caractère en définitive immuable que nous voulons conserver à la Charte de l’environnement, je rappelle à Mme Ressiguier, comme à M. Colombani qui vient de s’exprimer, que le caractère non appropriable du vivant est lié au principe de dignité de la personne humaine, auquel le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle.
Plusieurs règles, au premier rang desquelles, évidemment, l’absence de caractère patrimonial du corps humain, tendent par conséquent à assurer le respect de ce même principe. La commission est donc défavorable à ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est identique à celui de M. le rapporteur général, et ce pour les raisons qu’il vient d’évoquer. J’ajoute – même si vous l’aviez souligné vous-même, monsieur le député – que l’existence de directives européennes va exactement dans ce sens et nous interdit la brevetabilité de tout ce qui touche au corps humain.
M. le président. La parole est à M. Loïc Prud’homme.
M. Loïc Prud’homme. Voilà quelques heures que nous débattons de la révision constitutionnelle, et nous avons déjà défendu un certain nombre d’amendements visant à l’amélioration des droits dans plusieurs domaines.
Je commence leur liste par l’interruption volontaire de grossesse, mais elle comprend également le droit à mourir dans la dignité, le bien-être animal – que nous venons d’évoquer – et la non-brevetabilité du vivant, dont nous débattons actuellement. Chaque fois, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur général, vous avez refusé d’insérer ces droits dans la Constitution.
Nous pouvons donc commencer, à cette heure, à dessiner l’objectif politique que vous poursuivez à travers la révision constitutionnelle : il n’est pas d’abord question d’améliorer la Constitution ni d’y introduire de nouveaux droits. Le seul objectif avéré que vous poursuivez est plutôt de réduire les droits du Parlement. Toutes ces discussions auront au moins permis de mieux cerner votre objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin. Nous abordons effectivement beaucoup de sujets très intéressants et qui mériteraient d’être débattus, mais pas nécessairement dans le cadre d’une révision de la Constitution. Élevons donc un peu le débat. Sinon, à quand un amendement sur la bouillie bordelaise ? (Sourires. – Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le président. Je vous remercie, cher collègue, de ne rien suggérer en matière d’amendements supplémentaires.
M. Christian Jacob. C’est très important, la bouillie bordelaise.
M. Philippe Gosselin. Elle est garantie sans OGM !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 1097.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants : 132
Nombres de suffrages exprimés : 131
Majorité absolue : 66
Pour l’adoption : 21
contre : 110
(L’amendement no 1097 n’est pas adopté.)
(L’amendement no 2114 n’est pas adopté.) »
Lien vers le compte-rendu des débats ici