AN : RAPPORT D’INFORMATION de Mmes Nathalie BASSIRE et Frédérique TUFFNELL en application de l’article 145-7 du Règlement sur la mise en application de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

Niveau juridique : France

Ce rapport fait le point sur l’application de la loi Biodiversité de 2016, et relève en particulier les mesures encore à prendre pour assurer sa mise en place complète. Deux passages semblent plus particulièrement intéressant pour les thématiques qui nous concernent : celui concernant la protection contre l’accaparement du vivant ainsi que toute la troisième partie, consacrée au dispositif d’accès aux ressources génétiques et au partage des avantages.

  • Sur accaparement du vivant (passage en gras souligné par nos soins) :

« À ce stade du rapport, plusieurs mesures importantes tendant à protéger contre « l’accaparement » du vivant peuvent être rappelées :

– vos rapporteures décriront précisément dans la suite du rapport (en troisième partie) le dispositif des articles 37 à 46 de la loi du 8 août 2016 permettant à la France de mettre en application sur son territoire le Protocole de Nagoya à la Convention sur la diversité biologique (CDB), en créant dans le droit français une réglementation de l’accès aux ressources génétiques, de l’accès aux connaissances traditionnelles associées à ces ressources et du partage des avantages découlant de leur utilisation (APA) ;

– la loi pour la reconquête de la biodiversité a également posé des limites à la brevetabilité du vivant, qui peuvent être rappelées. Elles ont notamment porté leurs fruits dans le cadre des négociations au sein de l’Office européen des brevets (OEB), dont la jurisprudence de la Grande chambre des recours était contestée.

L’article 9 de la loi a complété l’article L. 611-19 du code de la propriété intellectuelle pour poser le principe selon lequel les produits végétaux ou animaux issus de procédés biologiques (croisements et sélections) ne sont pas brevetables. Avant l’entrée en vigueur de la loi, n’étaient pas brevetables : les races animales, les variétés végétales, les procédés essentiellement biologiques et les procédés de modification de l’identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances inutiles. La loi a complété l’article par la disposition suivante :

« Les produits [c’est-à-dire les animaux et végétaux] exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques […], y compris les éléments qui constituent ces produits [feuille, tige par exemple] et les informations génétiques qu’ils contiennent ».

Cet ajout empêche la brevetabilité de végétaux qu’une personne aurait, par exemple, pu obtenir par croisement et qui présenteraient des propriétés identiques à ceux issus d’une découverte faite par un laboratoire ou un semencier ayant déposé un brevet. Le brevet ne couvrira pas le produit identique obtenu par procédé biologique. Cet article ne concernant que les brevets français délivrés par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), il avait une portée limitée.

Avec cette mesure, la France a rejoint les deux autres États membres ayant explicitement posé cette interdiction (Pays-Bas et Allemagne).

Il est important de souligner que, par la suite, un avis de la Commission européenne du 8 novembre 2016 a rappelé l’intention du législateur européen dans l’adoption de la directive européenne relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, qui était bien d’assurer la non-brevetabilité des végétaux et animaux obtenus par procédés essentiellement biologiques. Elle a donc remis en cause la jurisprudence de la Grande chambre de recours de l’Office européen des brevets. Le 29 juin 2017, le conseil d’administration de l’Office européen des brevets a modifié les dispositions juridiques d’exécution applicables pour exclure explicitement, comme l’avait fait la loi française quelques mois auparavant, de la brevetabilité les végétaux et animaux obtenus exclusivement par un procédé essentiellement biologique. Cette évolution était très attendue. Auditionné par vos rapporteures, M. Romain Soubeyran, directeur de l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) a souligné le rôle joué par la France dans les travaux avec l’OEB.

L’article 10 de la loi n’apporte, pour sa part, pas de modification majeure au droit existant pour un brevet français ou européen en France. Il vise à limiter un peu plus explicitement la portée d’un brevet qui porte sur une matière biologique en excluant que ce brevet protège une matière biologique dotée des mêmes propriétés et obtenue indépendamment de la matière biologique brevetée. Il n’apporte pas le même éclaircissement sur les brevets portant sur une information génétique.

L’article 11 de la loi vise à élargir les possibilités d’échanges de semences à destination des jardiniers amateurs. Il a été partiellement censuré par le Conseil constitutionnel. L’article prévoit que les dispositions législatives du code rural et de la pêche maritime en vigueur pour les cessions et transferts de semences ou de plants avec des finalités commerciales ne sont plus applicables pour certaines cessions de semences ou de plants à plusieurs conditions : le transfert est réalisé à titre gratuit ; les variétés appartiennent au domaine public (450 variétés) ; les utilisateurs finaux sont des non-professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété. L’article initial de la loi incluait également les cessions réalisées à titre onéreux par des associations sous le régime de la loi de 1901, mais le Conseil constitutionnel a jugé que ces dernières n’étaient pas dans une situation particulière par rapport aux autres revendeurs potentiels qui aurait justifié cette différenciation par rapport au droit commun. Il a donc rejeté l’application de la dérogation aux cessions à titre onéreux réalisées par des associations.

Un amendement présenté par la Présidente de votre commission, Mme Barbara Pompili, a récemment été adopté sur le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, afin d’étendre les possibilités de dérogation aux cessions et transferts à titre onéreux, en première lecture à l’Assemblée nationale.

S’agissant de l’application de l’article 11, il convient de relever une difficulté concrète car celui-ci a maintenu l’application des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production. Il apparaît que de telles règles ne peuvent être que très difficilement appliquées pour les cessions de semences et de plants visées par l’article.

Enfin, vos rapporteures soulignent également l’intérêt de l’article 12 de la loi qui a étendu les possibilités d’échanges, entre agriculteurs, de semences n’appartenant pas à une variété protégée par un certificat d’obtention végétale. »

NOTA : l’article 12 de la loi supprime la condition d’appartenir à un même GIEC pour pratiquer l’entraide.

Pour l’amendement auquel il est fait référence, voir fiche veille n° 2230

  • Sur l’APA (accès aux ressources génétiques, aux connaissances traditionnelles associées à ces ressources et du partage des avantages découlant de leur utilisation) – art 37 à 46 de la loi :

Les rapporteures constatent que le dispositif, est à ce stade plus virtuel que concret.

« V. LA MISE EN ŒUVRE DES DISPOSITIONS DE LA LOI : INQUIÉTUDES ET INCOMPRÉHENSION

La loi du 8 août 2016 n’ayant pas prévu de période d’expérimentation, l’ensemble du dispositif législatif relatif à l’APA est, sous réserve de la publication des textes réglementaires qu’il prévoit, d’application immédiate ; en réalité, deux ans après l’adoption de la loi, ce dispositif est encore « dans les limbes ».

Au cours des auditions menées par vos rapporteures, la majorité des personnes entendues ont salué l’avancée – potentiellement – considérable que représente le respect par la France de ses engagements internationaux dans le cadre du Protocole de Nagoya. Mais les acteurs auditionnés ou interrogés ont été unanimes : le dispositif d’APA français n’est pas opérationnel aujourd’hui. Non seulement il manque encore plusieurs textes réglementaires pour rendre possible son application effective, mais il subsiste aussi de nombreuses interrogations, chez les utilisateurs, sur la « marche à suivre » pour utiliser des ressources et connaissances collectées sur le territoire français.

Cinq textes réglementaires d’application de la loi ont été publiés :

– le décret précité n° 2017-848 du 9 mai 2017, dont la plupart des dispositions sont entrées en vigueur au 1er juillet 2017 ;

– un arrêté du 13 septembre 2017 proposant un modèle de contrat (« contrat-type ») pour le partage des avantages ;

– un arrêté du 8 novembre 2017 relatif aux formulaires de déclaration et de demande d’autorisation d’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées ;

– un arrêté du 20 mars 2018 relatif aux modalités d’instruction des demandes d’inscription des collections de ressources génétiques au registre européen des collections et aux modalités de contrôle des procédures de gestion y afférentes ;

– un second arrêté du 20 mars 2018 portant nomination au comité d’experts chargé de l’instruction des dossiers d’inscription des collections de ressources génétiques au registre européen des collections.

Depuis le 7 décembre 2017, les trois formulaires CERFA permettant de faire, respectivement, une déclaration, une demande d’accès à des ressources génétiques et une demande d’accès aux connaissances traditionnelles associées sont disponibles, et un télé-service a été créé pour permettre de transmettre en ligne ces formulaires.

A. LES TEXTES D’APPLICATION MANQUANTS

(…) Plusieurs autres arrêtés ministériels ou interministériels sont en cours d’élaboration, notamment la liste (prévue par l’article 37 de la loi) des ressources génétiques des espèces utilisées comme modèles dans la recherche-développement.

L’article 45 de la loi habilitait le Gouvernement à prendre des dispositions législatives par voie d’ordonnance applicables à des ensembles de ressources génétiques auxquels le dispositif général « APA » des articles L. 412-3 et suivants du code de l’environnement n’est pas applicable (les ressources des espèces cultivées et domestiquées et les ressources collectées par les laboratoires pour la prévention et la maîtrise des risques graves pour la santé humaine). La loi donnait jusqu’au 9 février 2018 pour publier ces ordonnances, dont l’élaboration relève respectivement du ministère chargé de l’agriculture et du ministère de la santé. Or, le Gouvernement n’a publié aucune ordonnance dans ce délai : l’habilitation étant devenue caduque, il faudra un nouveau texte législatif pour créer ces dispositifs spécifiques. La non-parution de cette ordonnance a été signalée comme une lacune particulièrement regrettable à vos rapporteures par les représentants du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS).

Vos rapporteures déplorent que le Gouvernement n’ait pas respecté l’habilitation qui lui avait été donnée par le Parlement, car les règles qui auraient dû être ainsi définies permettraient de mieux distinguer les catégories auxquelles le régime général est applicable des catégories auxquelles ce dispositif ne s’applique pas, en définissant précisément celles-ci, et donc de rendre le dispositif plus lisible pour les acteurs concernés.

Enfin, l’article 37 de la loi prévoit des conventions conclues avec l’AFB et une démarche de labellisation des collections : les services de l’AFB ont indiqué aux rapporteures en octobre 2017 qu’à ce stade, aucune convention n’était conclue avec des détenteurs de collections, ni en cours d’élaboration. »

Le rapport souligne aussi l’absence de moyens qui rendent difficile l’application du dispositif. « Selon le [Ministère de la transition écologique], le fonctionnement pleinement opérationnel de l’organisation administrative devrait être atteint… d’ici 2020. Plusieurs étapes importantes ne sont pas encore franchies, en particulier la conception et la mise en œuvre d’un plan de communication et de formation à destination des services de l’État et des acteurs de la recherche et de l’industrie. »

« Vos rapporteures tirent des auditions qu’elles ont réalisées la conclusion que le dispositif, tel qu’il existe à ce stade, est perçu comme incomplet, et surtout qu’il est mal connu et mal compris par les nombreux acteurs directement concernés, qu’il s’agisse d’organismes publics, de grandes entreprises multinationales ou de petites et moyennes entreprises. »

Lien vers le rapport ici