UE : Recours Variétés rendues tolérantes aux herbicides - Confédération paysannes et autres c/ Ministère de l’agriculture (Affaire C‑528/16)- CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL M. MICHAL BOBEK, 18 janvier 2018

Niveau juridique : Union européenne

Le 18 janvier 2018, l’avocat général a rendu ses conclusions dans l’affaire des variétés rendues tolérantes aux herbicides.

Le communiqué de presse de la CJUE en résume les points marquants :

 »Selon l’avocat général Bobek, les organismes obtenus par mutagénèse sont, en principe, exemptés des obligations prévues par la directive sur les OGM

Les États membres sont libres d’adopter des mesures réglementant ces organismes pour autant qu’ils le fassent dans le respect des obligations générales découlant du droit de l’Union.

La «directive OGM»(1) réglemente la dissémination volontaire dans l’environnement d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ainsi que leur mise sur le marché dans l’Union européenne. Ces organismes doivent notamment être autorisés après une évaluation des risques pour l’environnement et sont soumis à des exigences de traçabilité, d’étiquetage et de surveillance. Toutefois, la directive ne s’applique pas aux organismes obtenus par certaines techniques de modification génétique, telles que la mutagénèse (« exemption relative à la mutagénèse»).À la différence de la transgénèse, la mutagénèse ne nécessite pas l’insertion d’ADN étranger dans un organisme vivant. Elle implique toutefois une altération du génome d’une espèce vivante. Les techniques de mutagénèse ont permis de développer des variétés de semences résistantes à des herbicides sélectifs.

La Confédération paysanne est un syndicat agricole français qui défend les intérêts de l’agriculture paysanne. Avec huit autres associations, elle a formé devant le Conseil d’État français un recours portant sur la réglementation française qui transpose la directive OGM(2). Elles invoquent le fait que les techniques de mutagénèse ont changé avec le temps. Avant l’adoption de la directive OGM, seules des méthodes de mutagénèse conventionnelles ou aléatoires appliquées in vivo sur des plantes entières étaient pratiquées. Les progrès techniques ont par la suite permis l’émergence de techniques de mutagénèse qui permettent de cibler les mutations afin d’obtenir un produit qui ne résiste qu’à certains herbicides. Pour la Confédération paysanne et les autres associations, l’utilisation de variétés de semences rendues résistantes à un herbicide comporte un risque de dommages importants pour l’environnement ainsi que pour la santé humaine et animale.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a invité la Cour à préciser la portée exacte de la directive OGM (et plus précisément le champ, la raison d’être et les effets de l’exemption relative à la mutagénèse) et à en vérifier la validité. La Cour est également invitée à examiner le rôle de l’écoulement du temps et de l’évolution des connaissances techniques et scientifiques dans l’interprétation juridique et l’appréciation de la validité du droit de l’Union, compte tenu du principe de précaution.

Dans ses conclusions de ce jour, l’avocat général Michal Bobek considère tout d’abord qu’un organisme obtenu par mutagénèse peut être un OGM s’il remplit les critères matériels prévus par la directive OGM (3). Il relève que la directive n’exige pas que de l’ADN étranger soit inséré dans un organisme pour que ce dernier puisse être qualifié d’OGM. Elle indique uniquement que le matériel génétique doit avoir été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement. Le caractère ouvert de cette définition permet d’inclure dans la définition des OGM des organismes obtenus par d’autres méthodes que la transgénèse. Il serait en outre illogique d’exempter certains organismes de l’application de la directive si ceux-ci ne pouvaient pas préalablement être qualifiés d’OGM.

L’avocat général examine ensuite si l’exemption relative à la mutagénèse prévue par la directive OGM doit être comprise comme visant toutes les techniques de mutagénèse ou seulement certaines d’entre elles. Selon lui, la seule distinction pertinente qui permettrait de préciser la portée de l’exemption est la réserve exprimée à l’annexe IB, c’est-à-dire la question de savoir si la technique de mutagénèse implique «l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM autres que ceux qui sont issus de la mutagénèse ou de la fusion cellulaire de cellules végétales d’organismes qui peuvent échanger du matériel génétique par des méthodes de sélection traditionnelles». En conséquence, les techniques de mutagénèse sont exemptées des obligations de la directive OGM à condition qu’elles n’impliquent pas l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ou d’OGM autres que ceux obtenus par une ou plusieurs méthodes énumérées à l’annexe I B.

L’avocat général souligne que ni le contexte historique ni la logique interne de la directive OGM n’étayent la thèse selon laquelle le législateur de l’Union n’aurait souhaité exempter que les techniques de mutagénèse sûres existant en 2001. Il considère qu’une catégorie générale appelée «mutagénèse» doit logiquement inclure toutes les techniques qui, au moment pertinent pour l’affaire en question, sont comprises comme relevant de cette catégorie, y compris les nouvelles techniques.

L’avocat général examine ensuite si les États membres peuvent effectivement aller au-delà de ce que prévoit la directive OGM et décider de soumettre les organismes obtenus par mutagénèse aux obligations imposées par cette directive ou à des règles purement nationales. Il estime qu’en introduisant l’exemption relative àla mutagénèse, le législateur de l’Union n’a pas souhaitérégir cette matière au niveau de l’Union. Cet espace reste donc inoccupé et, pour autant qu’ils respectent leurs obligations générales dérivant du droit de l’Union, les États membres peuvent légiférer sur les organismes obtenus par mutagénèse.

En ce qui concerne la validité de l’exemption relative à la mutagénèse, l’avocat général reconnaît que le législateur est obligé de maintenir sa réglementation raisonnablement à jour. Cette obligation devient essentiel le dans les domaines et questions couverts par le principe de précaution, de sorte que la validité d’un acte de l’Union tel que la directive OGM ne doit pas être appréciée uniquement au regard des faits et connaissances existant au moment de son adoption, mais également au regard de l’obligation consistant à maintenir la législation de l’Union raisonnablement à jour.

Toutefois, eu égard à l’obligation générale de mise à jour de la législation de l’Union (obligation renforcée en l’espèce par le principe de précaution),l’avocat général ne voit aucun élément susceptible d’affecter la validité de l’exemption relative à la mutagénèse.

(1)Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil (JO 2001, L106, p.1).

(2)Cette disposition exempte les organismes obtenus par mutagénèse des obligations imposées aux OGM.

(3)Voir article 2, point 2,de la directive OGM : cet article définit les organismes génétiquement modifiés comme tout «organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle».

Cette disposition ajoute qu’aux fins de cette définition, a) la modification génétique doit se faire au moins par l’utilisation des techniques énumérées dans une annexe de la directive et b) les techniques énumérées dans une autre annexe de la directive ne doivent pas être considérées comme entraînant une modification génétique »

Les conclusions sont disponibles in extenso ici

Le communiqué de presse de réaction des organisations requérantes est disponible ici

Pour un rappel du contexte voir :

Note : Ces conclusions, qui présentent la lecture de l’affaire faite par l’avocat général et la façon dont celle-ci devrait être jugée selon lui, ne lient pas la Cour. Elles sont toutefois le plus souvent suivies.

Il appartient maintenant à la Cour de trancher. Celle-ci doit se prononcer au printemps 2018.