Rapport au premier ministre - L’impact de l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (AECG/CETA) sur l’environnement, le climat et la santé

Niveau juridique : France

Ce rapport a été mené par une commission d’experts indépendants désignés début juillet par le gouvernement. Malgré les critiques présentées dans ce rapport, le gouvernement a confirmé l’entrée en vigueur provisoire du CETA le 21-09-2017.

EXTRAITS CHOISIS DU RAPPORT

  • page 8, sur les recommandations de la commission :

«  1) Assurer en continu la transparence, notamment vis-à-vis de la société civile, et l’équilibre des instances de coopération réglementaire Le fonctionnement du Forum de coopération réglementaire doit être totalement transparent, ce qui inclut notamment la publication obligatoire ex-ante de l’agenda, des comptes rendus des propos et des conclusions, et des avis et des prises de position des différentes autorités sur les projets de réglementations dans des délais suffisamment brefs pour permettre des réactions opérationnelles. Par ailleurs il est important d’assurer une représentation équilibrée des différentes composantes de la société civile (entreprises, collectivités locales, ONG) au sein de l’ensemble des instances prévues par l’accord.

2) Mettre en place un comité de suivi. La commission recommande la mise en place au niveau national d’un comité chargé du suivi de l’application du CETA, qui pourra être sollicité pour évaluer l’impact sanitaire et environnemental de futurs accords de libre-échange et qui pilotera une veille sur les sujets sensibles tels que les nouvelles techniques d’obtention de variétés génétiquement modifiées et l’évolution de la réglementation en matière de produits phytosanitaires (par exemple, la classification des perturbateurs endocriniens). Ce comité pourrait être composé d’experts scientifiques garantissant une approche multidisciplinaire.

(…)

  • pages 11-13 : Chapitre I : Présentation de l’accord :

«  L’Accord économique et commercial global (AECG) entre l’Union européenne, ses États membres et le Canada, plus connu sous son sigle anglais CETA1 (Comprehensive Economic Trade Agreement) est un accord extrêmement long et complexe. Il est présenté comme un accord de libre-échange de « nouvelle génération », intégrant non seulement une suppression des droits de douane, mais surtout une réduction des barrières réglementaires aux échanges de biens et de services et un accord sur l’investissement. La difficulté essentielle est d’atteindre ces objectifs tout en préservant les niveaux de protection des consommateurs, des travailleurs et de l’environnement et sans remettre en cause le droit de chaque partie de réglementer pour atteindre des objectifs légitimes (comme la santé par exemple). »

(…)

«  Le CETA met également en place de nombreux mécanismes de coopération réglementaire qui visent à diminuer l’impact des obstacles non tarifaires au commerce. Le Forum de coopération réglementaire sera le lieu privilégié de cette coopération. Mais il ne sera pas le seul organe impliqué dans ces activités.

Du point de vue de la Commission européenne, la relation avec le Canada constitue un laboratoire pour la mise en place de la nouvelle doctrine communautaire en matière de commerce international en raison de la proximité des niveaux de vie dans les deux espaces économiques, de l’importance accordée à la régulation et de l’antériorité de la coopération économique. Il serait difficile d’obtenir d’autres partenaires commerciaux ce qui n’a pas été obtenu du Canada, et à de futurs partenaires de refuser ce que le Canada a accepté. Ceci ferait du CETA un « modèle » pour les accords futurs que la Commission européenne souhaite négocier.

Le texte du CETA accorde une place importante aux préférences collectives des Parties contractantes. Trois chapitres sont dédiés au développement durable, au travail et à l’environnement. Par ailleurs, de nombreuses dispositions de l’accord veillent à concilier les engagements des Parties contractantes en faveur d’une plus grande ouverture de leur marché et leur droit d’adopter des niveaux élevés de protection de l’environnement et de la santé. Un Comité du commerce et du développement durable est créé qui aura notamment pour mission de suivre l’impact du CETA sur les questions d’environnement et de santé.

Enfin, le CETA est un accord « vivant » qui ne fige pas les engagements des Parties contractantes. Ceux-ci sont destinés à évoluer, vers un renforcement des disciplines commerciales et d’investissement mais aussi en faveur de l’affermissement des politiques de développement durable. À cette fin, le CETA met en place une architecture institutionnelle extrêmement dense. Le Comité mixe du CETA est l’organe principal. Il dispose de pouvoirs très étendus qui lui permettent d’adopter des décisions obligatoires pour les Parties contractantes ou d’amender le texte de l’accord. D’autres comités spécialisés se voient également dotés d’attributions importantes. L’ensemble aboutit à l’instauration d’une gouvernance multi-niveaux dont les implications sur l’exercice par les Parties contractantes, et notamment des États membres de l’Union qui ne sont pas directement représentés dans ces comités, ne sont pas toujours claires. »

  • pages 21-22 : Extrait de l’encadrer sur la place du principe de précaution dans le CETA. L’extrait reproduit ci-dessous est un exemple de l’impact potentiel du processus de coopération réglementaire présent dans le CETA

« Il faut en effet rappeler que la compréhension du principe de précaution, précisément les conséquences en termes d’action publique des incertitudes scientifiques, ne sont pas les mêmes en Europe et au Canada. Au Canada, la régulation n’a droit de cité qu’en cas de preuve apportée du risque, tout en restant soumise à une analyse coût/bénéfice. En ce cadre,les logiques de coopération réglementaire, de reconnaissance mutuelle et d’équivalence des régulations entre Parties prévues par le CETA et sans qu’y soit clarifiée l’application du principe de précaution, peuvent être problématiques. »

 

PASSAGE DU RAPPORT CONCERNANT PLUS DIRECTEMENT LES SEMENCES

  • pages 35 et suivantes : Chapitre 3) III. Mécanismes de coopération réglementaire et capacité de réglementer des parties contractantes.

Voir notamment page 37 : " Mais en participant à ce type d’activité, l’UE ou un État s’expose à des pressions diverses et risque de voir se mettre en place une stratégie d’usure qui vise à faire renoncer à la réglementation en question ou à en lénifier très largement la portée. Par ailleurs, l’obligation de communiquer sur un projet de réglementation à un stade précoce rend d’autant plus facile de s’y opposer efficacement et peut court-circuiter les processus démocratiques internes tels que les procédures de consultation du public. Enfin, dans certains cas, la marge de manœuvre des parties contractantes pour participer à des activités de coopération réglementaire n’est pas claire. Le chapitre vingt-cinq sur « coopération et dialogues bilatéraux » pose question. Les dialogues bilatéraux ici envisagés visent les questions d’intérêt commun, et en particulier les biotechnologies, les produits forestiers, les matières premières, et plus généralement la science, la technologie, la recherche et l’innovation. La coopération repose essentiellement sur l’échange d’informations, mais dans ce cadre, les Parties contractantes doivent aussi « favoriser l’utilisation de processus d’approbation des produits de biotechnologie efficaces et fondées sur des données scientifiques » ou « prendre part à une coopération dans le domaine de la réglementation afin de réduire au minimum les répercussions commerciales négatives des pratiques réglementaires relatives aux produits de biotechnologie ». L’accord semble inciter à l’ouverture de négociations sur ces questions, et en particulier la commercialisation des produits issus de biotechnologie. Il est difficile à ce stade d’évaluer comment cette démarche pourrait s’articuler avec le régime européen actuel d’autorisation des OGM. »

  • page 45, dans le Chapitre 4) point « V. Des inquiétudes sur l’évolution possible de la réglementation européenne » :

«  S’agissant des semences végétales et de la propriété intellectuelle, il existe une différence fondamentale d’approche entre les pays d’Amérique du Nord qui préconisent le recours à des brevets et l’UE qui privilégie le certificat d’obtention végétale (COV) et donc un risque important de contentieux pour contrefaçon à l’encontre des agriculteurs utilisant des semences dites de ferme, nombreux en France. Sur tous ces aspects, la question de l’étiquetage des produits importés est essentielle (voir chapitre 4 section 2).

Finalement, s’il n’est pas possible d’écarter définitivement le risque d’une remise en cause des bases réglementaires de l’UE en matière de sécurité sanitaire de l’alimentation, de santé animale, de bien-être animal, de protection végétale et de propriété intellectuelle du vivant, il est tout aussi impossible à l’heure actuelle d’objectiver ce risque. »

  • page 47, Chapitre 4) II. Le CETA et les objectifs de développement durable de l’agriculture

«  Les biotechnologies constituent également un point qui nécessite de la vigilance. L’UE s’est engagée à ne pas modifier sa législation concernant les OGM. Elle n’a pas encore adopté de position sur la classification des « nouveaux OGM »56, à la différence du Canada, qui a choisi de ne pas les classer comme OGM. Il s’agit de rester vigilant par rapport au risque de pressions qui pourraient être exercées au travers des différents comités de coopération mis en place par le CETA (FCR et comité sur les biotechnologies). Cette ambition est explicite dans le rapport remis à la Chambre des communes canadienne en 2014 : « L’un des aspects les plus prometteurs de l’accord est le renforcement d’un groupe de travail qui se penchera sur les enjeux liés à la biotechnologie pour s’assurer qu’ils ne nuisent pas aux échanges commerciaux ».

La culture des OGM tolérants au glyphosate pose en effet un véritable problème pour l’environnement, avec le développement de la résistance des adventices à ce pesticide. Cette évolution n’est pas sans rappeler le phénomène d’antibiorésistance. Face à ce problème, de nouvelles variétés ont été proposées aux agriculteurs, résistantes à deux herbicides différents (parmi lesquels on trouve le 2,4-D, interdit en Europe), dont font partie celles que les Canadiens souhaiteraient faire approuver rapidement par l’UE. Ce type de développement apparaît contradictoire avec les objectifs de transition écologique souhaités pour l’agriculture, qui reposent notamment sur la mise en œuvre de rotations longues et diversifiées, permettant de réduire la consommation de pesticides et d’engrais grâce aux complémentarités entre les espèces cultivées. »