Rapport d’information déposé par la commission des affaires européennes de l’AN sur le brevet unitaire européen n° 395,le 13 novembre 2012 par Mme Audrey Linkenheld et M. Jacques Myard

Niveau juridique : France

RÉSUMÉ DU RAPPORT (résumé officiel)

Dans l’état actuel du droit, les inventeurs désireux de déposer dans plusieurs pays européens un brevet reconnu par leur office national des brevets ou par l’Office européen des brevets (OEB) sont tenus de le traduire dans chacune des langues nationales concernées – sauf dans les pays qui y ont expressément renoncé – et de faire valider cette traduction par les autorités nationales compétentes, en suivant les règles en vigueur localement. Cette fragmentation de la protection de la propriété industrielle génère des complications administratives, des surcoûts et de l’incertitude juridique, c’est-à-dire autant d’entraves regrettables à la diffusion de l’innovation et à l’établissement d’une bibliothèque scientifique accessible à tous. Un brevet européen à effet unitaire aurait donc des effets positifs. (…)

Pourquoi une coopération renforcée ?

Mais l’Italie et l’Espagne ont toujours brandi leur veto contre un système de brevet unitaire fondé sur le régime de traduction le plus pragmatique, à savoir l’option trilingue privilégiant l’anglais, l’allemand et le français. Suggérée par la Commission européenne, cette formule constitue déjà le fondement du fonctionnement de l’OEB, chargé d’instruire les demandes de brevet classiques sur notre continent.

C’est ce qui a conduit les vingt-cinq autres États membres à entreprendre, à partir de décembre 2010, la mise en place d’une coopération renforcée, comme le prévoient les traités en cas de pareil blocage.

Un « paquet » composé de deux règlements et d’un accord international

Le 13 avril 2011, la Commission européenne a proposé aux co-législateurs européens l’adoption de deux textes législatifs, relatifs respectivement à la mise en œuvre de la coopération renforcée et aux modalités applicables en matière de traduction, dont a été saisie la Commission des affaires européennes, conformément à l’article 88-4 de la Constitution.

Parallèlement, les vingt-cinq États membres participants négocient les termes d’un accord international tendant à créer ex nihilo un système juridictionnel européen spécialisé sur les litiges ayant trait aux brevets.

Les difficultés juridiques et politiques

Plus d’un an et demi a passé et les trois textes visés n’ont toujours pas été adoptés. En effet, outre le désaccord linguistique, de multiples difficultés juridiques et politiques se sont dressées.

D’abord, la conformité aux traités du recours à la coopération renforcée dans le cas d’espèce du brevet européen à effet unitaire et la pertinence du véhicule juridique choisi sont contestées par l’Italie et l’Espagne, qui ont déposé un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Ensuite, le choix de la localisation de la future juridiction centrale de résolution des litiges, qui n’est pas dépourvu d’enjeux, a fait l’objet d’une bataille serrée entre la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui défendaient respectivement les candidatures de Paris, Munich et Londres.

Enfin, le Royaume-Uni a obtenu la suppression des articles 6 à 8 de la proposition de règlement relative à la mise en œuvre de la coopération renforcée, qui mentionnaient des effets juridiques du brevet unitaire faisant référence à des dispositions communautaires susceptibles de justifier le recours en dernière instance à la CJUE.

La « boîte de Pandore » des revendications nationales est régulièrement rouverte. D’une présidence semestrielle du Conseil européen à l’autre, ces désaccords, d’une ampleur imprévue, ont retardé l’adoption du « paquet brevet européen à effet unitaire », maintenant espérée pour le début de l’année 2013 – à supposer que le Conseil et le Parlement européen, entrés depuis le début de l’été 2012 dans un véritable nouveau cycle de négociations, parviennent à s’entendre.

La position constante de la France

La France a toujours fait partie des pays les plus actifs pour défendre le principe du brevet dit « communautaire » puis « unitaire », avec comme préoccupation centrale le potentiel de croissance et d’emploi inhérent à un développement de l’économie des brevets en Europe. Elle s’est particulièrement investie pour enclencher, conjointement avec onze autres États membres, la démarche initiale de demande officielle à la Commission européenne de lancement de cette coopération renforcée.

Lors du Conseil compétitivité du 30 mai 2012, M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes, a une nouvelle fois insisté sur l’engagement de la France en faveur du brevet européen à effet unitaire : « Une telle mesure, très attendue par l’industrie, vise à favoriser l’innovation en Europe, élément essentiel à la croissance et à la compétitivité de l’Union. Elle permettra en effet aux entreprises d’obtenir une protection de leurs inventions sur le territoire de l’Union de manière beaucoup plus simple et à un coût fortement réduit par rapport à la situation actuelle. »

L’intérêt du projet pour l’Europe et la France

Dans les conclusions que nous proposons d’adopter à la Commission des affaires européennes en vue d’adresser des recommandations aux négociateurs français, nous avons souhaité insister sur l’intérêt que revêt le projet.

D’une part, en tant qu’Européens, nous nous félicitons que se profile l’adoption d’un dispositif de brevetage unitaire, incitatif pour l’innovation industrielle et facteur de diffusion de la connaissance scientifique et technique.

D’autre part, en tant que Français, nous sommes sensibles au fait que notre pays soit en passe d’obtenir deux garanties indispensables pour la sauvegarde de ses intérêts : le maintien du système issu de la Convention sur la délivrance des brevets européens, qui érige le français en langue de référence, à côté de l’allemand et de l’anglais ; le choix de Paris comme siège de la future juridiction centrale de résolution des litiges, même s’il a fallu consentir à ce qu’une fraction significative des contentieux soient décentralisés à Munich et à Londres.

C’est pourquoi, une fois les propositions de règlements adoptées et l’accord international signé, la France se devra de peser de tout son poids, d’une part, pour enclencher un mouvement d’approbation rapide par les États participants et, d’autre part, pour inciter l’Espagne et l’Italie à rejoindre les vingt-cinq autres États membres.

Trois hypothèques à lever une fois le « paquet » adopté

Trois hypothèques touchant au fonctionnement du futur système administratif et juridictionnel des brevets devront aussi impérativement être levées pour assurer la réussite du projet, c’est-à-dire emporter la confiance des inventeurs et les inciter à solliciter des brevets européens à effet unitaire plutôt que des brevets nationaux ou des brevets européens simples tels qu’ils existent actuellement.

Premièrement, les coûts d’instruction, de validation et de redevance annuelle devront être compétitifs. Or force est de constater que les textes en discussion n’apportent aucune garantie à ce sujet : seules sont pour l’instant avancées des hypothèses de travail à consolider ; le modèle économique du brevet européen à effet unitaire reste à élaborer.

Deuxièmement, les magistrats choisis par l’OEB pour armer les différents échelons juridictionnels devront présenter un profil très pointu, à deux égards : d’un côté, il faudra sélectionner des experts possédant des compétences techniques incontestables pour juger d’une matière particulièrement complexe ; de l’autre, il conviendra qu’ils conservent leur indépendance par rapport au « microcosme des brevets », en ne prenant en considération que les règles de droit – relatives notamment au champ de la brevetabilité – et en se gardant de fabriquer une jurisprudence trop interprétative.

Troisièmement, l’organisation de la juridiction des brevets dans son ensemble et l’articulation entre ses chambres et ses degrés sera tout autant cruciale, afin que les décisions de justice soient produites aussi rapidement que possible et pour un coût non prohibitif. Il s’agit, là encore, de contribuer à asseoir la sécurité juridique et par voie de conséquence la crédibilité du système tout entier.

 

Extrait sur les semences végétales :

(3) Le cas des semences végétales

De même, les industries semencières des pays européens les plus actifs en matière de sélection végétale sont très vigilantes vis-à-vis du maintien de l’interdiction de la brevetabilité des variétés végétales, établi par la CBE, et de la règle d’« exemption de sélection » adoptée dans certaines législations nationales – notamment en Allemagne – pour contrecarrer la directive biotechnologies(8), qui a ouvert la voie au brevetage des gènes. Cette « exemption de sélection » consiste à autoriser les scientifiques en quête de nouvelles variétés végétales à accéder librement et gratuitement à toutes les variétés déjà commercialisées et protégées afin d’exploiter le fonds génétique de ces dernières dans leurs recherche. Un brevet existant ne porte en effet que sur une fraction limitée du génome de la plante voire sur un seul de ses gènes – alors qu’elle en compte des milliers –, les autres pouvant être recombinés sans atteinte aux droits du détenteur du titre.

Dans les faits, 80 % des variétés brevetées le sont à partir de variétés déjà existantes. L’enjeu est donc particulièrement important pour l’Europe, premier marché mondial semencier du monde, notamment pour l’Allemagne et la France, qui, dans le classement nation par nation, arrive en troisième position derrière les États-Unis et la Chine.

www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i0395.asp

www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/europe/rap-info/i0395.pdf

 

II. Examen du rapport d’information de Mme Audrey Linkenheld et M. Jacques Myard sur le brevet unitaire européen (COM (2011) 215 – E 6205 et COM (2011) 216 – E 6206) (Commission des aff. européennes de l’AN) mardi 13 novembre 2012

Ce rapport a suscité des débats en voici un extrait :

extrait : « La Commission des affaire européennes, … 5. Souligne que ce « paquet » ne revisite pas le champ de la brevetabilité établi par les réglementations européennes et nationales existantes, notamment pour ce qui concerne l’exemption de sélection applicable aux semences végétales et les logiciels informatiques ;

lire les débats en suivant le lien :www.assemblee-nationale.fr/14/europe/c-rendus/c0014.asp