Niveau juridique : France
Question publiée au JO le : 01/12/2015
Texte de la question
M. Jean-Claude Guibal attire l’attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur le développement de techniques permettant de modifier le génome humain. Une nouvelle technique d’ingénierie du génome appelée « CRISPR/Cas9 » permet aujourd’hui de déplacer voire de remplacer n’importe quel gène, chez tout organisme vivant y compris dans les cellules reproductrices, rendant la modification transmissible aux générations futures. Elle présente des avantages multiples dans le domaine de la santé mais, sans encadrement, cette méthode risque d’être déviée de sa finalité première et utilisée à des fins de modification génétique non nécessaire, comme la sélection de caractéristiques physiques. Récemment, une scientifique britannique a demandé le droit de modifier génétiquement des embryons humains issus de fécondation in vitro (FIV) dans le cadre d’un projet de recherche, et une équipe chinoise a déjà publié en mars 2015 sur des expériences réalisées sur des embryons humains non viables. Bien que ces techniques ne soient pas encore parfaitement opérationnelles, elles progressent vite et laissent entrevoir la possibilité de créer à l’avenir des êtres génétiquement modifiés, avec de réels risques de dérives eugéniques. Ces techniques posent des questions éthiques qui doivent être anticipées, exploitées et débattues rapidement. En mars 2015, des scientifiques américains avaient appelé à un moratoire international, rejoint en cela le 5 octobre 2015 par l’UNESCO, alerté par le risque de mettre en péril la dignité de tous les êtres humains et de faire renaître l’eugénisme. Il lui demande de lui indiquer l’état d’avancement de ces techniques en France et les dispositions qu’elle entend prendre pour répondre à ces enjeux éthiques.
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TEXTE DE LA REPONSE
Ces dernières années, la recherche en génétique a accompli des progrès considérables, qui ont ouvert de nouvelles opportunités mais également donné naissance à de nouveaux questionnements éthiques. Une nouvelle technique d’ingénierie du génome appelée « CRISPR-Cas9 » offre la possibilité d’insérer, de retirer et corriger l’ADN avec une relative simplicité, une efficacité jusqu’ici sans égal et un coût moindre. Cet outil, encore expérimental, devrait permettre d’améliorer les connaissances en génétique de façon remarquable. Si les procédures s’améliorent et que leur innocuité pour les patients est démontrée, la thérapie génique somatique (qui concerne les cellules somatiques, c’est-à-dire toutes les cellules à l’exception des cellules germinales) pourrait prendre son essor avec, à la clef, l’espoir légitime de traiter certaines maladies monogéniques ainsi que certaines formes de cancer. Cependant, la possible application de ces nouvelles technologies à la modification de la lignée germinale, à des fins thérapeutiques ou à des fins d’amélioration des particularités d’un individu, soulève de sérieuses questions éthiques. En effet, modifier le génome d’embryons humains, c’est aussi modifier celui de ses futurs gamètes et donc de toute sa descendance potentielle à la différence des thérapies géniques classiques qui ne concernent qu’une partie seulement des cellules défaillantes d’un individu. Le Gouvernement est particulièrement attentif à ces risques. Le comité international de bioéthique, rattaché à l’UNESCO, a appelé à un moratoire sur cette technologie appliquée aux cellules germinales et à un débat public plus large sur les modifications génétiques de l’ADN humain. En effet, certains pays n’imposent pas d’interdictions légales à de telles expériences sur la lignée germinale. Tel n’est pas le cas de la France. La France, par les lois de bioéthique successives dont elle s’est dotée et la ratification de la convention d’Oviedo en 2011, a interdit toute modification du patrimoine héréditaire de l’espèce humaine (Articles 16-4 du code civil, L. 2151-2 du code de la santé publique et 13 de la convention d’Oviedo). En particulier, l’article 13 de la convention d’Oviedo dispose que : « Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance. ». Enfin, indépendamment du corpus juridique bioéthique en vigueur en France qui interdit ces pratiques, le Président du comité consultatif national d’éthique (CCNE) va être saisi pour qu’une réflexion éthique en contexte français soit formalisée sur cette question, sans préjudice de la réflexion en cours dans certaines instances européennes voire internationales.