Niveau juridique : France
Question publiée au JO le : 21/04/2015
Réponse publiée au JO le : 04/08/2015
Texte de la question
M. Michel Destot attire l’attention de M. le secrétaire d’État, auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger sur l’accord commercial CETA qui a été conclu fin septembre entre la commission européenne et le Canada. L’inclusion d’un chapitre instaurant un système de tribunaux privés : le mécanisme de règlement des différends investisseurs-États, donnerait un pouvoir important aux multinationales, réduirait fortement la capacité des États à réguler et n’irait pas dans le sens de la transition énergétique. En juillet 2014, en réponse à la consultation publique organisée par la Commission européenne, près de 150 000 citoyens européens, 180 ONG, 40 syndicats et 120 experts académiques se sont opposés à l’inclusion de cette clause dans l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis. Le parlementaire émet de vives réserves sur les volets « Protection des investissements » et « Coopération réglementaire » de l’accord et lui demande ses intentions afin de permettre aux collectivités publiques de continuer à réguler l’ensemble de leurs politiques.
Texte de la réponse
Les mandats de négociation octroyés par les Etats membres à la Commission européenne pour le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTIC - TTIP) avec les Etats-Unis et pour l’Accord économique et commercial global (AECG - CETA) avec le Canada prévoient la possibilité d’inclure un mécanisme de règlements des différends Etat-investisseur (ISDS pour Investor-to-State Dispute Settlement) dans les accords finaux. En ce qui concerne le CETA, qui est actuellement en phase dite de « toilettage juridique » à la Commission européenne, un chapitre est consacré à ce mécanisme. La France ne souhaite pas rouvrir l’ensemble des chapitres, dans la mesure où le CETA est un bon accord, dans lequel les intérêts de la France sont pris en compte. Un seul chapitre sur les 35 que compte le texte du CETA pose une difficulté (le numéro 33 relatif à l’ISDS). Il est nécessaire de faire évoluer la formulation du texte du CETA pour assurer la ratification par la France du Traité. Pour le TTIP, les négociations relatives à l’ISDS sont pour le moment suspendues à la définition d’une position européenne qui devrait intervenir à l’automne. La Commission a organisé une consultation publique relative à l’ISDS et a recueilli plus de 150 000 réponses. Les résultats ont été publiés le 13 janvier 2015. Les critiques formulées à l’encontre du mécanisme à cette occasion sont nombreuses et ne peuvent rester sans réponse. La France n’était pas demandeuse d’un tel mécanisme et a exprimé ses réserves de fond à ce sujet. Après la publication des résultats de la consultation s’est ouverte une nouvelle phase de réflexion et d’action. La France a travaillé activement avec ses partenaires européens en ce sens. Une déclaration commune entre la France et l’Allemagne a été publiée le 22 janvier 2015. Ces travaux ont abouti à la transmission le 2 juin 2015 à la Commission d’une proposition française intitulée « Vers un nouveau moyen de régler les conflits entre Etats et investisseurs ». Cette proposition, qui rappelle que les Etats doivent conserver leur pleine capacité à prendre des décisions souveraines et démocratiquement légitimes, prévoit la création d’un nouveau mécanisme présentant toutes les garanties en matière de droit des Etats à réguler. Plusieurs concepts fondamentaux font ainsi l’objet de clarification, comme les « attentes légitimes des investisseurs » et l’« expropriation indirecte ». Le mécanisme proposé prévoit des règles rigoureuses en matière de transparence, d’éthique et de prévention des conflits d’intérêts, notamment par l’insertion d’une période de quarantaine applicable aux professionnels amenés à connaître des cas d’arbitrage. Les plaintes abusives portées par des investisseurs peuvent également être sanctionnées par des pénalités dissuasives. L’innovation est également institutionnelle puisqu’une cour permanente applicable à l’ensemble des futurs accords signés par l’Union européenne est proposée. Elle aura la charge de gérer une liste préétablie de professionnels du droit qui auront à connaître des litiges entre Etats et investisseurs et d’assurer le réexamen de l’ensemble des décisions de ceux-ci. La création de cette cour est conçue comme un jalon vers l’installation future d’une cour multilatérale des investissements qui fait défaut aujourd’hui au niveau international, alors même que la mondialisation est marquée par une importante augmentation des flux d’investissements internationaux. La cour permanente européenne proposée devra ainsi constituer l’ossature de cette cour multilatérale. Enfin, la « coopération » réglementaire du TTIP, qui est à distinguer du volet « convergence réglementaire » (qui concerne une dizaine de secteurs identifiés) et du volet « obstacles au commerce » (qui vise à réduire les barrières non tarifaires existantes de manière horizontale), consiste en la mise en place de mécanismes institutionnels ayant pour objectif d’identifier à l’avenir les normes nécessitant un rapprochement et d’éviter la création de décalages excessifs entre le corpus réglementaire européen et américain. La position de la France sur la question de la coopération réglementaire consiste à préserver la capacité des Etats à réguler librement. Cela se traduit par une attention particulière portée aux processus de dialogue entre la partie américaine et la partie européenne dans la phase qui précède l’édiction des normes : en aucun cas le législateur (européen ou national) et le détenteur du pouvoir réglementaire ne doivent être liés par le résultat de ces consultations. Par ailleurs, la réciprocité doit être assurée. En ce qui concerne la création d’un conseil de la coopération réglementaire, chargé d’assurer ce dialogue transatlantique, la France a oeuvré afin que la position de la Commission prévoie clairement que cette structure n’ait aucun pouvoir de droit dérivé et que les Etats membres puissent être associés à son activité. La coopération réglementaire ne vise par conséquent pas à établir un marché unique transatlantique sur le modèle du marché européen. La reconnaissance mutuelle sera partielle (là où il y a un intérêt commercial) et ciblée sur les secteurs où les niveaux de protection sont équivalents.