Niveau juridique : France
Question publiée au JO le : 07/08/2012 page : 4637
Réponse publiée au JO le : 09/10/2012 page : 5535
Texte de la question
M. François Brottes attire l’attention de M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur l’opportunité de procéder à une réforme de fond de la législation en vigueur sur le commerce des semences. La récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Kokopelli contre Baumaux, qui opère un revirement complet avec la position de l’avocat général du 19 janvier 2012, illustre le rapport de force à l’œuvre entre le droit des industriels d’un côté, et de l’autre celui des consommateurs, des agriculteurs indépendants, mais aussi et peut-être surtout les droits souverains de la nature, que certains pays, tels l’Équateur ou la Bolivie, en sont arrivés à reconnaître constitutionnellement, afin de les garantir face aux appétits insatiables des industries pétrochimiques et agro-alimentaires. En effet, cette décision dispose que la « productivité agricole accrue » serait supérieure en droit à la préservation de la biodiversité, à la qualité et la diversité des productions agricoles, à la santé des consommateurs comme des agriculteurs, ou encore au droit des agriculteurs d’exercer leur activité indépendamment des industries agro-chimiques. Il ne semble pas que cette décision aille dans le sens de l’intérêt général, présent et futur, ni du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Comme pour les PNPP (Préparations naturelles peu préoccupantes) ou les plantes médicinales, l’obligation faite aux producteurs d’enregistrer leurs semences au catalogue officiel conduit de fait à éliminer les productions artisanales ou traditionnelles, au profit des groupes industriels dont il semblerait que l’action de lobbying, tout au long de la procédure judiciaire, ait été déterminante. Eux seuls en effet sont en mesure de satisfaire tant aux procédures administratives longues et coûteuses, qu’à certains critères d’obtention, tels ceux d’homogénéité et de stabilité. Ces critères, qui garantissent certes un niveau de productivité plus important, sont de fait absents de la plupart des variétés traditionnelles « vivantes », ce qui constitue, du reste, leur principal atout, puisque cette « variabilité » permet précisément aux plantes de s’adapter à des conditions climatiques changeantes comme aux ravageurs, sans recours aux intrants chimiques ou semences génétiquement modifiées. Dans ce contexte, il souhaiterait connaître les intentions du Gouvernement en matière de révision de la législation en vigueur sur le commerce des semences.
Texte de la réponse
Le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt assure le suivi des travaux en cours de révision de la réglementation européenne en matière de commercialisation des variétés, semences et plants. Ces travaux visent à simplifier et rénover la réglementation actuellement en vigueur, tout en préservant et réaffirmant les objectifs de qualité et de durabilité de l’agriculture. Dans ce cadre, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne relatif à l’affaire C59-11 (association Kokopelli) est un élément important dans la construction de la future réglementation. Dans son arrêt rendu le 12 juillet 2012, la Cour de justice de l’Union européenne réaffirme la légitimité et la proportionnalité de la réglementation européenne actuelle relative à la commercialisation des semences et plants, et souligne que la validité de la réglementation européenne n’est affectée ni par certains principes du droit de l’Union européenne, ni par les engagements pris par l’Union européenne aux termes du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA). Ainsi, la réglementation actuelle ne viole ni les principes d’égalité de traitement, de libre exercice d’une activité économique et de libre circulation des marchandises ni les engagements pris par l’Union aux termes du TIRPAA. Par ailleurs, la Cour rappelle que la réglementation actuelle prend en compte les intérêts économiques des opérateurs qui offrent à la vente des « variétés anciennes » ne satisfaisant pas aux conditions d’inscription aux catalogues officiels, en ce qu’elle n’exclut pas la commercialisation de ces variétés. La décision de la Cour européenne de justice, en tant que cour d’appel ultime de l’Union Européenne, souligne la légitimité d’une réglementation mise en place historiquement pour limiter les pratiques abusives, voire dangereuses d’un point de vue phytosanitaire. Comme souligné par la Cour, la réglementation européenne, et son application sur le territoire français, tient déjà compte de la nécessité de prévoir certaines adaptations pour différentes typologies de variétés. Ainsi, des critères spécifiques d’inscription, accompagnés de dispositifs d’aide ou de gratuité d’inscription, ont été mis en place pour permettre l’accès au catalogue officiel de variétés anciennes ou destinées aux jardiniers amateurs. Près de trois cent variétés ont été inscrites au catalogue officiel français dans ces conditions. Dans le cadre de la révision réglementaire en cours sur les semences et les plants, le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt continuera à défendre l’accès au catalogue officiel des variétés végétales, dans des conditions aménagées en tant que de besoin, et à agir pour prendre en compte les spécificités des productions traditionnelles, dans le respect des principes fondamentaux de loyauté des échanges et de la protection de la biodiversité.