Niveau juridique : France
Extraits choisis, notamment lors de l’Audition de MM. Laurent Gouzènes, président du comité financement et développement de l’innovation et Patrick Schmitt, directeur recherche, innovation et nouvelles technologies du MEDEF :
« Mme Corinne Bouchoux. - Ayant travaillé dans le monde de la recherche jusqu’en 2011, j’aimerais avoir votre appréciation du niveau très différent de l’utilisation du crédit d’impôt recherche suivant les secteurs. Dans le monde de l’agronomie, où je travaillais, certaines grandes entreprises commercialisant des semences étaient expertes dans l’utilisation du CIR (Crédit Impôts Recherche) et plusieurs personnes travaillaient à l’optimisation des montants perçus à ce titre. Dans la filière bio, la situation était beaucoup plus compliquée. Certains essayaient d’optimiser le montant perçu au titre du CIR mais d’autres étaient plus dans une démarche artisanale.
J’aimerais également connaître votre analyse de la façon dont le secteur des nanosciences et des nanotechnologies a su tirer parti du crédit d’impôt recherche.
Enfin, vous avez présenté une vision de l’emploi des docteurs qui peut sembler optimiste, car le taux d’insertion des ingénieurs, après deux ans, est sensiblement plus élevé que celui des docteurs, qui peinent davantage à s’insérer. Le CIR ne risque-t-il pas d’entretenir cette spécificité française de la préférence persistante des entreprises pour le recrutement des ingénieurs, au détriment des docteurs ? J’aimerais partager votre optimisme mais les enquêtes des quatre dernières années décrivent une tout autre réalité.
M. Laurent Gouzènes. - On constate en effet de grandes différences de comportement suivant les secteurs, en particulier pour l’emploi des docteurs. Dans certains secteurs, il y a des appels d’air colossaux. Il y a cinq ou six ans, environ 120 docteurs en mathématiques se formaient chaque année. 90 % ou 100 % d’entre eux rejoignaient le secteur public. Aujourd’hui, 400 docteurs en mathématiques sont formés chaque année, pour seulement 50 postes offerts par le CNRS. Ils sont tous embauchés dans le secteur privé en moins de six mois.
Dans le domaine agricole et notamment dans le bio, comme vous le savez, un certain activisme lié au principe de précaution (qui a donné lieu par exemple à l’arrachage de plants) a dissuadé des entreprises d’expérimenter, ce qui n’a pas constitué un signal positif pour les industriels.
Une étude publiée il y a quelques mois montrait que 95 % des docteurs trouvaient un emploi en moins de six mois. Cela dit, les docteurs peuvent trouver des débouchés dans le public et le privé. Le secteur privé embauche la plupart des docteurs en CDI directement. L’entreprise n’est donc pas le monde hostile qu’on décrit parfois. Nombre de docteurs visent néanmoins des postes dans le public, où la précarité est de plus en plus de mise, ce qui complique leur insertion et leur parcours. Étant passé par le CNRS, je connais ces circuits J’ai également présidé le réseau Nanosciences au sein de l’ANR. Je connais donc ce sujet également. La précarité des jeunes docteurs, en France, contribue certainement aux statistiques que vous mentionnez.
M. Patrick Schmitt, directeur recherche, innovation et nouvelles technologies du MEDEF. - Les laboratoires de recherche ont évidemment un effet de levier pour l’emploi doctoral mais ils ne peuvent assumer seuls le changement d’image du doctorat ou de la formation. Le docteur est parfois méconnu par l’entreprise, car la valeur ajoutée de ses compétences n’est pas toujours perçue. Nous avons mis en place avec la conférence des Présidents d’université (CPU) et l’ABG (association qui soutient l’image du doctorat) une plate-forme web qui aide les docteurs à construire leur portfolio en soulignant leur valeur ajoutée, à partir des attentes des entreprises dans trois ou quatre catégories de postes. C’est par cette forme de dialogue et une meilleure compréhension de l’apport potentiel des docteurs que la situation pourra continuer de progresser. Le MEDEF a conscience depuis cinq ou six ans de la nécessité de la diversité des profils pour l’innovation et promeut les compétences des docteurs, notamment par de petits modules ou de petits séminaires, sur des thèmes tels que la gestion de projets innovants ou les règles de propriété intellectuelle. Il s’agit de compléments de formation, à la marge, qui permettent de s’assurer d’une compatibilité avec l’esprit de l’entreprise.
M. Francis Delattre, président. - Vous avez raison de souligner que le débat relatif aux OGM, mal abouti dans ce pays, a <conduit de nombreux chercheurs et brevets, dans le domaine agricole, à quitter la France au profit des États-Unis, y compris dans le domaine de la recherche sur les semences hybrides. Ce sont des dossiers à manier avec beaucoup de sérieux.
Même des secteurs comme le plastique d’origine végétale, où nous étions leaders, ont pâti d’une incapacité collective à faire avancer les choses, notamment du fait de la puissance des lobbies. La grande distribution a eu le génie de supprimer les sacs plastiques d’origine fossile, ce qui fut un formidable coup de publicité pour elle. Il se trouve que 90 % des sacs plastiques sont fabriqués dans la Haute-Loire. On pensait que le secteur pouvait parfaitement s’adapter, du fait de la proximité des matières premières utilisées (maïs et pomme de terre dans un cas, matières fossiles dans l’autre). Ce ne fut pas le cas, car le poids des lobbies demeure extrêmement prégnant. Nous avions une équipe de chercheurs en pointe au sein de l’INRA. Elle est partie en intégralité chez Cargill aux États-Unis. Je suis heureux néanmoins de constater que nous avons, sur un certain nombre de sujets, les mêmes regrets.
Mme Corinne Bouchoux. - Vous exprimez là une opinion personnelle.
M. Francis Delattre, président. - Certes. Je souligne simplement que personne n’a démontré la supériorité du plastique d’origine fossile sur le plastique d’origine végétale. Le plastique d’origine fossile alimente nos usines d’incinération d’ordures ménagères mais pose un vrai problème de retraitement lorsqu’on veut en tirer un engrais « vert », par exemple, car on ne peut retirer le plastique. Le plastique végétal aurait coûté beaucoup moins cher. Tous ces débats intéressants sont souvent tronqués dans les medias car nous n’avons jamais la discussion de fond. Cela vaut aussi pour les OGM, car il existe les bons et les mauvais OGM. »
Lien vers le CR du 19 mars: www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20150316/ce_cir.html
Lien vers l’ensemble des CR de cette commission d’enquête (la question générale des brevets est abordée en transversale dans cette commission d’enquête) : www.senat.fr/commission/enquete/detournement_du_credit_dimpot_recherche.html