Les Maisons des Semences Paysannes

Regards sur la gestion de la biodiversité cultivée en France

Fanny LEVROUW, Laureline DROCHON, (Guy Kastler, Patrick de Kochko, Emilie Lapprand, Frédéric Latour,

Capitalisation ou gestion dynamique et collective des connaissances ?

› Par Patrick de Kochko

Notre imaginaire est à ce point colonisé que nous peinons à trouver d’autres mots que “capitalisation”, emprunté au jargon de la finance, pour définir la mission confiée à l’équipe salariée du Réseau Semences Paysannes (RSP) en 2011 de rassembler et décrire les modes d’organisation collective pour gérer la biodiversité cultivée, mis en oeuvre par les paysans et les jardiniers. L’empirisme paysan qui a nourri l’humanité depuis 12000 ans est aujourd’hui systématiquement dévalorisé au profit de la techno-science au coeur de la stratégie industrielle.

Ce document apporte la preuve de la créativité paysanne et jardinière retrouvée et démontre qu’il est bien plus important de renforcer nos liens communs plutôt que de capitaliser des biens, fussent-ils “communs”.

Il y a à peine plus d’un siècle, la biodiversité domestiquée et cultivée par les humains ne cessait de s’enrichir, fruit de la diversité des formes de vie, des histoires et des cultures paysannes et bien sûr des rencontres et des échanges. Elle bénéficiait d’une multiplicité d’organisations collectives paysannes et jardinières basée sur la diversité : des réseaux horizontaux et informels, évolutifs et adaptables.

L’industrie est passée par là et l’uniformité a colonisé les champs faisant disparaître cette immense richesse collective grâce une organisation verticale et pyramidale. La créativité paysanne a alors laissé la place à la discipline militaire des normes, des machines et des armes chimiques. A la création du Réseau Semences Paysannes en 2003, ce sont des individus résistants aux clones de l’industrie qui ont la joie de se rencontrer, de mettre en commun leurs expériences et de réaliser qu’il est nécessaire de retrouver ces liens pour faire émerger la prise de conscience par la société de l’importance de la biodiversité cultivée. Onze ans plus tard, même si l’emprise de l’industrie ne faiblit pas et si l’armada des brevets et des biotechnologies produit de nouvelles menaces, le RSP peut se réjouir du travail accompli, de l’émergence des enjeux liés à la biodiversité et du début de reconnaissance des pratiques paysannes en matière de semence.

Initié par les organisations nationales des agricultures paysannes et biologiques, le RSP a relié des paysans sélectionneurs, des associations de conservation du patrimoine végétal, environnementale et de solidarité, des artisans semenciers et des chercheurs dispersés aux quatre coins de l’hexagone pour tisser un réseau d’organisations locales que l’on aime aujourd’hui appeler Maisons des Semences Paysannes. Aussi, il est bien difficile de trouver suffisamment de mots pour refléter la diversité des expériences présentées dans ce document. L’analyse des différents aspects de l’organisation locale est aussi, en soi, un exercice réducteur.

La présentation dans le cahier central d’un recueil de fiches synthétiques sur les organisations rencontrées révèle à quel point il serait vain de chercher une recette ou un prototype de Maisons des Semences Paysannes. L’objectif de cet ouvrage n’est pas de fournir un guide technique ou une “boîte à outils”, mais au contraire de refléter cette diversité et de montrer l’importance du partage d’expérience pour créer du lien, inciter à la rencontre et stimuler l’envie de se lancer dans l’aventure des Maisons des Semences Paysannes.

Ce document a nécessité un très gros travail collectif qui a dû se faire en plusieurs étapes et sur une période plus longue que prévue : enquêtes auprès des 35 collectifs par Fanny Levrouw et Lauréline Drochon (respectivement ancienne animatrice et stagiaire du RSP), premier rapport et analyse pour nourrir les rencontres internationales des Maisons des Semences Paysannes de 2012 à Périgueux, échanges avec les membres enquêtés puis validation des fiches de présentation, préparation du document final, enrichissement par l’ensemble de l’équipe salariée, relecture finale, première édition papier en avril 2014 destinée à être amendée par l’ensemble des membres du RSP, et enfin cette édition d’octobre 2014 destinée à être diffusée largement.

C’est pourquoi elle est en libre accès sur le site internet du RSP. Par manque de moyens, toutes les organisations locales adhérentes au RSP n’ont pas pu être enquêtées ni présentées dans le cahier central. Ce dernier sera actualisé sur le site du RSP au fur et à mesure de nouvelles possibilités d’enquêtes et/ou des retours des organisations souhaitant y figurer afin d’enrichir encore la gestion dynamique et collective de nos connaissances communes.

Bonne lecture.

À télécharger

Notes

Qu’est-ce qu’une Maison des Semences Paysannes ?

Durant les dix dernières années, les premières initiatives pionnières de gestion collective de la biodiversité cultivée ont essaimé un peu partout en France. De ces initiatives est né le Réseau Semences Paysannes qui s’est employé à développer et à défendre les pratiques paysannes de conservation, de sélection et d’échanges de semences. L’heure était donc venue de faire un bilan de ces multiples expériences de gestion collective de la biodiversité cultivée.

Issu d’un travail d’enquête auprès de trente-cinq collectifs, cette publication propose une mise en perspective de différents systèmes qui émaillent le territoire français. Les modes organisationnels des groupes étudiés sont ainsi décrits pour chacune de leurs activités. Plus que répondre au “pourquoi” (urgence de créer une alternative concrète aux “kits” chimiques : semences, engrais, pesticides), nous nous sommes ici intéressés au “comment”. L’accent a été donc délibérément mis sur les constructions sociales autour des échanges de semences paysannes et des savoir-faire associés.

Ce sont ces processus collectifs qui fondent le socle commun permettant à la biodiversité cultivée de regagner les champs et les assiettes.

A l’image des Maisons des Semences Paysannes, cet ouvrage est une construction collective évolutive : de nombreuses expériences n’ayant pu être relatées, nous souhaitons qu’il s’enrichisse progressivement de nouvelles présentations de collectifs oeuvrant pour la biodiversité cultivée. Au delà, nous espérons qu’il participe aussi à cet essaimage continu pour tisser toujours plus de liens et créer de nouvelles Maisons des Semences Paysannes !