LES PREMIERS LABORATOIRES DE RECHERCHE FURENT LES CHAMPS DES PAYSANS-LE DROIT A RESSEMER LE GRAIN RECOLTE ET A ECHANGER LES SEMENCES-EN SORTANT DU CHAMP, LA LOGIQUE DU LABORATOIRE SE SUBSTITUE AUX LOIS DU VIVANT-LE LABORATOIRE ELIMINE SON PRINCIPAL CONCURENT : LE PAYSAN-LE LABORATOIRE S’EMPARE DU CHAMP DU PAYSAN-PAS DE PROGRES SANS SUPPRESSION DU BREVET SUR LE VIVANT
Guy Kastler,
Résumé
Intervention au Sénat dans le cadre d’un colloque sur la recherche organisé par le groupe vert. Elle décrit l’influence du brevet sur le processus de recherche sur le vivant.
Texte complet
LE CHAMP DU PAYSAN NE PEUT SE SOUMETTRE A LA PROPRIETE INTELLECTUELLE ISSUE DU LABORATOIRE
LES PREMIERS LABORATOIRES DE RECHERCHE FURENT LES CHAMPS DES PAYSANS
Il n’y a pas de vie sans échange, il n’y a pas d’échange viable sans diversité. Chaque organisme vivant, quel qu’il soit, prélève dans l’environnement les substances et énergies dont il a besoin et y élimine d’autres substances toxiques pour lui et dont l’accumulation peut lui être fatale. Ces dernières peuvent par contre être indispensables à la vie d’organismes différents dont les éliminations seront à leur tour indispensables à de nouveaux organismes. Une plante échange d’abord avec le sol dans lequel elle vit. Sa santé dépend avant tout de son adaptation à ce milieu, d’autant plus qu’une fois germée et enracinée, elle ne peut plus se déplacer par elle-même pour rechercher ailleurs un lieu lui convenant mieux. C’est pourquoi les centaines de générations de paysans qui ont inventé puis développé l’agriculture ont toujours cherché à sélectionner des plantes capables de s’adapter aux milliers de terroirs différents dans lesquels elles sont cultivées ainsi qu’aux variations et à l’évolution des conditions environnementales, climatiques… Pour cela, le cultivateur a de tout temps développé la diversité, la variabilité et la complémentarité des plantes cultivées. Il manifestait ainsi sa conscience spontanée de l’intégration totale de son travail au sein des lois universelles du vivant.
Diversité au sein de chaque variété, cultures associées, alternance et rotation des cultures ont été les règles de base que seule l’agriculture industrielle a osé transgresser. La diversité est aussi un facteur de résistance aux aléas climatiques, aux maladies ou aux prédateurs qui ne sont jamais fatals à tous les individus s’ils sont différents les uns des autres. Le paysan sélectionne les plantes qui ont résisté par elle-même à ces aléas pour les multiplier. En dehors des caractères d’intérêts (nutritionnels, médicinaux, culturels…) que le paysan cherche à conserver, la variabilité des caractères d’adaptation de chaque plante à l’évolution et à la diversité des milieux, variabilité issue essentiellement des “ gènes ” sauvages ou rustiques encore présents dans les “ centres d’origine ” de chaque espèce, a toujours été un critère essentiel des sélections paysannes : elle seule lui permet d’adapter ses futures cultures à des conditions qu’il ne peut connaître à l’avance. Les changements climatiques actuels rappellent douloureusement cette règle à ceux qui ne l’ont pas respectées..
Pour prendre en compte l’ensemble de ces critères, les sélections paysannes ont toujours été pratiquées dans le champ, seul “ laboratoire de recherche ” où l’ensemble des phénomènes qui les influencent peut s’exprimer. Ce “ laboratoire ” est, par nature, non modélisable.
LE DROIT A RESSEMER LE GRAIN RECOLTE ET A ECHANGER LES SEMENCES
L’enracinement des sélections paysannes dans le champ nécessite aussi les échanges de semences entre voisins, ou même d’un continent à l’autre. Le renouvellement régulier et progressifs de la biodiversité et de la variabilité des plantes cultivées, aussi minime soit-il, est en effet indispensable à sa conservation pour contre-balancer leur lente mais inévitable érosion naturelle. Cette capacité de la graine ou du plant à voyager ne concernait sauf exception (perte totale de la récolte) jusqu’à récemment que quelques graines ou boutures et non l’ensemble des semences utilisées. En effet, plusieurs générations de sélection et de multiplication sont toujours nécessaires pour adapter une variété exogène dans un nouveau milieu. Plus les milieux sont différents, plus cette étape est importante.
La condition d’existence de l’agriculture fut ainsi pendant des millénaires le droit des paysans à ressemer le grain récolté et à échanger leurs semences. Ces droits sont aujourd’hui directement remis en cause par les laboratoires de recherche.
EN SORTANT DU CHAMP, LA LOGIQUE DU LABORATOIRE SE SUBSTITUE AUX LOIS DU VIVANT
Avec le développement des échanges marchands et de la spécialisation des activités qui s’en suit, le travail de reproduction (sélection et multiplication) se sépare peu à peu du travail de production. Une nouvelle profession apparaît : semencier. Le travail de sélection quitte le champ du paysan, puis celui du semencier pour se réfugier dans le laboratoire de recherche. Il échappe ainsi totalement aux contraintes du milieu. Il doit de ce fait être suivi d’un criblage au champ permettant d’éliminer les variétés sélectionnées non adaptées. Economies d’échelle oblige, le laboratoire et le semencier ne peuvent offrir les milliers de variétés indispensables à une adaptation naturelle aux milliers de terroirs différents cultivés. Pour pouvoir être commercialisée, chaque variété doit de plus être identifiable, donc homogène et stable. Ne pouvant plus adapter de telles variétés à son terroir, le paysan est obligé d’adapter le terroir à la variété : engrais et pesticides lui sont vendus pour cela. Pour réaliser les mêmes économies d’échelle, le semencier sélectionne chaque variété séparément. Les plantes ne sont plus habituées à vivre en mélange : qu’importe, le marché et l’industrie réclament des lots homogènes de matière première issue de monocultures standardisées, l’engrais et les pesticides se substituent aux rotations et aux cultures associées.
Tant que le paysan peut ressemer le grain récolté et revenir à des pratiques moins artificielles, le semencier et le laboratoire de recherche ne peuvent « amortir leur effort de recherche » en lui revendant chaque année la semence nécessaire. Ils vont d’abord inventer des artifices techniques : la lignée pure fixée remplace la diversité des populations et dégénère rapidement dans le champ du paysan lorsqu’elle est ressemée sans sélection rigoureuse. Les variétés modernes ne durent que quatre où cinq ans, l’hybride dégénère lui dès le premier ressemi, là où les populations anciennes pouvaient évoluer tranquillement pendant des dizaines, voire des centaines d’années.
LE LABORATOIRE ELIMINE SON PRINCIPAL CONCURENT : LE PAYSAN
L’engrais et les pesticides montrent cependant leurs limites techniques et économiques. Tant que les paysans échangent leurs semences, ils peuvent toujours développer des alternatives à cette agriculture industrielle. C’est pourquoi, la protection intellectuelle interdit tout échange de semences de variétés couvertes par un Certificat d’Obtention Végétale et grève d’une taxe le droit de ressemer le grain récolté. Le nom de baptème de cette taxe relève du lapsus psychanalytique : «Contribution Volontaire Obligatoire » ! Le catalogue commun des variétés interdit quant à lui tout échange de semences paysannes : le coût d’inscription n’est accessible qu’aux industriels qui l’amortissent sur de gros volumes, l’homogénéité, la stabilité et la valeur agronomique (capacité à potentialiser engrais et pesticides) obligatoires pour toute inscription et dûment vérifiés par de longs et coûteux essais, sont contraires à la nature même des semences paysannes. Tout échange, même à titre gratuit, nécessitant obligatoirement l’inscription de la variété au catalogue, les semences paysannes sont ainsi privées de tout droit à une existence légale. Grâce à ces artifices juridiques, mis au point par la recherche agronomique sous prétexte de « moraliser » le marché, la prétendue supériorité technique des variétés inscrites, mises au point par la même recherche agronomique, n’a aucune peine à s’imposer sur le marché.
L’élimination du concurrent est peut-être une règle des guerres commerciales, pas de débats scientifiques. A partir du moment où le chercheur est « intéressé » à la valorisation des résultats de ses recherches, les lois économiques s’imposent à la résolution des controverses scientifiques. Les créations virtuelles issues du laboratoire, variété fixées stables et homogènes ou hybrides, qui ne survivent quelques années hors du laboratoire que grâce aux béquilles artificielles de la chimie des toxiques, s’imposent comme seules réalités. Les variétés population issues de millénaires de sélection paysanne, ne correspondant pas à la définition légale de la variété échangeable, n’existent tout simplement plus et leur intérêt est qualifié de fiction par le scientifique qui ne peut en tirer aucune royaltie. Le virtuel devient ainsi la seule réalité légale, les OGM pourraient en faire la seule réalité tout court.
LE LABORATOIRE S’EMPARE DU CHAMP DU PAYSAN
Avec la manipulation génétique et le vitroplant (multiplication à partir d’une seule cellule), le laboratoire de recherche peut dorénavant être délocalisé n’importe où sur la planète, échappant ainsi non seulement aux contraintes de milieu, mais aussi aux contraintes sociales ou juridiques. La contamination génétique des champs et des semences paysannes, parce qu’elle est inévitable dès qu’il y a dissémination en milieu ouvert, permet au propriétaire du brevet sur le gène manipulé de s’emparer peu à peu de l’ensemble des champs cultivés. Ces derniers deviennent ainsi, avec les consommateurs que nous sommes tous, une extension du laboratoire qui y impose à grande échelle ses dernières trouvailles avant même que les impacts sanitaires, agronomiques, économiques et sociologiques n’en aient été étudiés.
Les plantes ainsi élaborées sont malades de leur mode de sélection et ne peuvent vivre sans des quantités toujours plus importantes de pesticides qu’elles se mettent à produire elles-mêmes… jusque dans l’estomac du consommateur.
Le stock de graines présent dans tout champ cultivé et susceptible de générer des repousses appartient ainsi peu à peu au propriétaire du brevet. Ce dernier peut alors dicter à chaque paysan ce qu’il doit acheter et cultiver et à chaque peuple ce qu’il peut ou non manger : science fiction ? Non : c’est ce qui se passe aujourd’hui même avec les cultures de colza au Canada. Un paysan qui, depuis trois génération, n’a jamais semé dans son champ que le grain issu de sa récolte, y voit systématiquement pousser des plantes transgéniques et a été condamné par trois juridictions différentes à verser des royalties et à vendre sa récolte au propriétaire du brevet.
PAS DE PROGRES SANS SUPPRESSION DU BREVET SUR LE VIVANT
Les travaux de sélection participative qui se développent à contre-courant un peu partout de par le monde, en associant chercheur et paysan pour pratiquer l’essentiel de la sélection au champ et y déterminer les quelques travaux nécessitant le recours au laboratoire, produisent aujourd’hui des semences donnant avec de faibles niveaux d’intrants de magnifiques récoltes. En France, la réglementation interdit les échanges de semences nécessaires à de tels travaux.
Il n’y aura pas d’alternative à l’agriculture industrielle et trangénique tant que le chercheur ne quittera pas le laboratoire pour retourner dans le champ du paysan. Il ne pourra le faire tant que le résultat de ses recherches pourra être breveté (ou rémunéré par un C.O.V.) ni sans une recherche publique indépendante.
Guy Kastler, Réseau Semences Paysannes