Application de la directive 98/95. Point de vue des ONG

Bob Brac de la Perrière,,

Résumé

Discussion sur la directive 98/95 qui est une réglementation de la Commission européenne qui, dans plusieurs de ses chapitres, propose un cadre pour établir « des conditions particulières à la mise sur le marché des semences et du matériel de propagation d’espèces végétales cultivées en relation avec la conservation in situ et l’utilisation durable des ressources génétiques des plantes, à travers la culture et la commercialisation. »

Proposition d’ une réglementation favorisant l’échange libre de quantités limitées de variétés non inscrites sur le modèle de la législation Suisse sur les variétés locales. Ce que nous voulons c’est aussi une réglementation favorisant l’identification des variétés paysannes suffisamment stabilisées pour être inscrites sur des listes avec des critères qui leurs soient adaptés, hors de la DHS des variétés industrielles, afin qu’elles puissent être librement commercialisées sans risque de bio piratage.

Texte complet

2ème séminaire « Libérons la diversité » Bullas, octobre 2006

La directive 98/95 est une réglementation de la Commission européenne qui, dans plusieurs de ses chapitres, propose un cadre pour établir « des conditions particulières à la mise sur le marché des semences et du matériel de propagation d’espèces végétales cultivées en relation avec la conservation in situ et l’utilisation durable des ressources génétiques des plantes, à travers la culture et la commercialisation. »

Cette disposition a été instituée initialement pour contrebalancer l’inscription au catalogue standard les variétés génétiquement modifiées, dont les conditions sont spécifiées dans la même directive, en prenant en compte spécifiquement les variétés traditionnelles, celles de l’agriculture biologiques et les mélanges de semences. En effet, les réglementations européennes de commercialisation des semences exigent que les variétés soient enregistrées dans un catalogue selon des critères industriels (de stabilité et d’homogénéité) pour pouvoir être vendues. Ce qui signifie que les variétés paysannes et traditionnelles qui ne peuvent pas répondre à ces critères ne peuvent pas être vendues. Plus encore, la réglementation stipule que le terme commercialisation comprend les échanges non monétaires de semences. Ce qui veut dire que les variétés non-inscrites ne peuvent pas non plus être échangées gratuitement.

Comme son nom 98/95 l’indique, la directive a été adoptée en 1998, mais curieusement 8 ans après son texte est toujours discuté. Fin 2002, sous la pression des semenciers, le gouvernement français a demandé à la CE de prendre une nouvelle directive définissant avec plus de précision les conditions d’application des mesures propres aux « variétés de conservations » . A ce jour, ce texte n’est toujours pas validé suite aux procédures d’obstruction systématiques venant essentiellement du même gouvernement français. En effet la crainte des semenciers que cette directive remette en cause le système mis en place depuis 1960 influence considérablement ila lenteur du processus et la transformation de l’esprit et de la lettre du texte. Car, comme toute directive européenne définitivement adoptée, sa transposition dans les lois nationales sera obligatoire mais prendra encore tu temps.

En mai 2003, à la création du RSP, nous avons engagé une première action des ONG européennes, en organisant avec le Centre International Crocevia (Italie) et NABU (Allemagne) une concertation avec le fonctionnaire du programme à la Comission européenne (Direction Générale Santé et protection du consommateur (Sanco) en charge de la directive. A la suite de quoi 25 représentants d’organisations de 9 pays européens ont rédigé une proposition commune des ONG européennes de la directive 98/85 CE.

C’était la dernière fois où nous avons pu intervenir directement et officiellement dans le processus, dont les portes se sont refermées sur les représentants de nos gouvernements au Comité Permanent sur les Semences (CPS) européen, qui était censé finaliser le texte pour octobre 2003..

Depuis, les responsables du dossier à la CE ont changé et différentes versions nous sont parvenues. Elles ont chaque fois été commentées par les groupes français, espagnols et italiens de manière concertée cependant nos commentaires ne semblent plus être pris en compte. En effet pour chaque nouvelle version la structure du texte a été remaniée et des changements notables apparaissent révélant des influences contradictoires au sein du CPS. Les représentants de certains gouvernements (français et hollandais) défendant la ligne dure des semenciers de l’European Seed Association ESA, en essayant de restreindre les dérogations aux lois sur les semences, espèce par espèce.

La dernière version qui nous est parvenue date d’avril 2006. Parmi les nombreux commentaires que nous avons faits, on peut en citer quelques uns ici :

  • la directive donne toujours une définition restrictive des variétés de conservation qui sont identifiées comme des variétés naturellement adaptées aux conditions locales ET menacées d’érosion génétique.

  • L’érosion génétique doit être évaluée par l’autorité nationale compétente.

  • La commercialisation est limitée à la zone d’origine et zone d’adaptation, avec une restriction quantitative à 0,1% de la quantité de semences utilisés pour l’espèce pour un an.

  • Pour les espèces potagères, la commercialisation doit être réservée aux jardiniers amateurs , copie conforme au système réglementaire français, probablement le plus restrictif d’Europe.

Il y a de sérieux doutes sur l’applicabilité de cette directive, et notre capacité à interagir dessus est aujourd’hui limitée à des discussions, lorsqu’elles sont possibles, avec nos représentants au CPS, et avec les groupes de députés européens ouverts sur ces questions. En février 2006, à l’initiative d’organisations sociales actives sur les semences paysannes et les semences sans OGM qui étaient présentes au séminaire européen sur les semences « Libérons la diversité » à Poitiers, une réunion a été organisé avec le Groupe des Verts au parlement européen pour discuter de stratégies politiques et d’actions communes sur les semences paysannes et les semences sans OGM.(voir rapport sur www.bede-asso.org)

La Commission devrait finaliser et publier la version « définitive» de la directive 98/95 en automne 2006 sur un texte qui ne nous intéresse plus . Nous constatons un détournement de l’esprit de la directive par la bureaucratie européenne et alors que nous souhaitions sa mise en Ĺ“uvre et sa transposition obligatoire il y a encore quelques mois, nous sommes obligés de nous opposer à ce nouveau texte vide de sens et aux applications dangereuses pour les semences paysannes.

Nous savons que nous avons besoin d’un cadre de liberté pour entretenir la biodiversité vivante dans nos champs et nous savons aussi qu’il n’est pas possible de tout inscrire au catalogue. Ce que nous souhaitons, c’est une réglementation favorisant l’échange libre de quantités limitées de variétés non inscrites sur le modèle de la législation Suisse sur les variétés locales. Ce que nous voulons c’est aussi une réglementation favorisant l’identification des variétés paysannes suffisamment stabilisées pour être inscrites sur des listes avec des critères qui leurs soient adaptés, hors de la DHS des variétés industrielles, afin qu’elles puissent être librement commercialisées sans risque de bio piratage.

Nous ne disons pas qu’il ne faut pas de cadre pour les variétés commerciales. Au contraire nous disons qu’il en faut un et qu’il doit être d’autant plus stricte que les variétés sont issues de méthodes de sélection des biotechnologies modernes, comme la transgenèse, Nous devons être attentifs au fait que les variétés issues de méthodes de sélection très artificielles ne puissent pas devenir des « variétés de conservation » dans quelques années lorsqu’elle ne seront plus dans le catalogue commun. La définition des variétés de conservation qui nous intéressent, nos « variétés paysannes » , doit donc tenir compte aussi des méthodes de sélection. Il n’est pas admissible que la mutagénèse puisse être qualifiée de méthode de sélection traditionnelle.

Il est clair que nous devons continuer à définir nos règles par nous-mêmes à partir de la réalité des pratiques et des législations nationales ou régionales qui sont très diverses d’un pays à l’autre. Nous en discutons collectivement à l’échelle des réseaux de semences paysannes pour élaborer et tester dans la pratique nos propres règles et critères avant de les faire inscrire dans la loi. Nous avons besoin de concertation et de renforcer une structuration européenne sur ce sujet. Ce séminaire, « Libérons la diversité » est certainement une étape importante de cette construction.