L’agriculteur gestionnaire et possible partenaire de la biodiversité

Intervention lors des assises « ENSEMBLE POUR LA BIODIVERSITÉ » , 15 NOVEMBRE 2006, SÉNAT

Nicolas Supiot,

Résumé

Cette intervention visait à montrer l’intérêt des pratiques paysannes de gestion et sélection de semences à la ferme. Elle développe aussi les liens en cours avec la recherche et les obstacles réglementaires rencontrés par les agriculteurs.

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Texte complet

1. Pourquoi les semences paysannes?

En 2003, la réglementation européenne sur l’agriculture biologique prévoit de renforcer l’obligation d’utilisation de semences biologiques. Bien que logique, cette obligation est confrontée à la très faible disponibilité commerciale de semences biologiques et surtout de variétés adaptées à l’agriculture biologique. Par ailleurs la réglementation générale sur les semences restreint grandement les possibilités de choix des variétés pour les agriculteurs. C’est dans ce contexte que s’organisent en février 2003 à Auzeville (Toulouse) les premières rencontres sur les semences paysannes. Elles réunissent 350 personnes, en majorité paysans, responsables d’organisations, chercheurs. Ce jour là, les témoignages des paysans et les résultats de chercheurs en sélection participative et gestion des ressources génétiques convergent : le choix de la variété conditionne le mode de culture. L’autonomie, l’accès à la diversité génétique sont une condition nécessaire aux agricultures biologiques ou à faible intrant.

A la suite de ces rencontres, les organisations nationales de l’agriculture biologique (FNAB, Nature&Progrès, Mouvement de Culture Biodynamique), la Confédération paysanne, la Coordination nationale de défense des semences de ferme, des associations et organisations agricoles locales, acteurs de la biodiversité cultivée, décident de créer le Réseau Semences Paysannes. Le Réseau Semences Paysannes regroupent aujourd’hui 34 organisations très diverses (associations de collectionneurs, de l’agriculture biologique, parc naturel, etc.). Le RSP et ses membres développent des partenariats avec les parcs régionaux et surtout l’INRA

Divers programmes et collaborations sont menés en vue de développer les actions et la connaissance autour des semences paysannes :

  • Sélection participative pour l’agriculture biologique : choux en Bretagne, de tomates et blé dur en Languedoc Roussillon, blé tendre, ou sélections paysannes : maïs en Aquitaine.

  • Gestion dynamique de la biodivesité (ressources génétiques)

  • Collaborations avec le conservatoire de Clermont-ferrand pour remettre en culture des ressources génétiques de blé;

  • Programme européen en vue d’évaluer les pratiques paysannes de gestion de la biodiversité cultivée et les perspectives d’évolution réglementaire pour prendre en compte la réalité et l’utilité des semences paysannes (mise en pratique du concept de « variétés de conservation » ).

  • Collaboration avec des nutritionnistes, médecines de l’INRA sur l’analyse des variétés anciennes et transformations artisanales (micronutriments, digestibilité)

  • Collaboration avec des spécialistes de la dégustation, pour l’évaluation des variétés.

Enfin des formations sur la production de semences biologiques et l’évaluation participative sont régulièrement menées, par des organisations professionnelles.

2. Les semences paysannes au regard des semences conventionnelles

La sélection moderne est basée sur l’uniformisation des pratiques, qui va de paire avec l’uniformisation du vivant (clones, hybrides, lignées pures, plantes génétiquement modifiées). Les plantes sont sélectionnées pour leur aptitude à être cultivée en conditions de confort (gourmandes en engrais chimiques, phytosanitaires et énergies fossiles). Elles sont donc inadaptées pour l’agroécologie, l’agriculture biologique, les filières courtes, la transformation artisanale, le lien au terroir et la qualité.

Les critères d’inscription au catalogue, étape indispensable à la commercialisation ou l’échange des semences, sont basés sur l’homogénéité et la stabilité de la variété, ainsi que la valeur agronomique et technologique. Ces critères d’inscription, conçus pour des variétés génétiquement homogènes et performantes en conditions de confort, rendent de fait hors la loi les semences paysannes (issues de variétés anciennes, de terroir, paysannes…).

Les semences paysannes présentent pourtant de nombreux atouts :

  • économes en intrants (irrigation, engrais, pesticides), elles permettent de préserver les sols et les ressources en eau

  • elles sont un élément clef pour des initiatives variées de développement local (filières courtes, qualités spécifiques, sensibilisation à l’importance de la diversité et la qualité de l’alimentation, etc.)

  • leur qualité d’adaptabilité recèle un grand potentiel d’innovations agronomiques, et constitue aussi une sécurité vis à vis du changement climatique.

Ainsi les semences paysannes sont une condition essentielle de la durabilité de l’agriculture. Elles ont un impact tant sur l’écosystème (synergie entre la biodiversité sauvage et cultivée), que sur les systèmes agraires et leur vitalité (cultures diversifiées générant des activités de production, transformation, vente, valorisation culturelle, à l’opposé de la monoculture économiquement et agronomiquement fragile).

3. Les obstacles

La législation

Aujourd’hui les échanges de graines (ou semences) sont interdits, sauf dans le cadre de travaux d’expérimentation ou de sélection. Cette interdiction restreint très fortement la possibilité de gestion de la biodiversité cultivée (dans les fermes). Cette interdiction découle de l’obligation d’inscrire au catalogue officiel toute variété dont on veut vendre (ou échanger) la semence. On l’a vu précédemment, si ce catalogue est adapté et pertinent dans le cas des variétés sélectionnées pour l’agriculture conventionnelle et les filières industrielles, il rend de fait hors la loi les variétés anciennes ou issues de sélection à la ferme ou participative.

Une ouverture européenne (le concept de variété de conservation, introduit par la directive 98/95) est jusqu’à présent bloquée, et ce principalement à cause des réticences de la France à la mise en oeuvre de cette directive.

D’autres possibilités réglementaires existent comme par exemple autoriser des échanges libres de quantités de graines correspondant aux besoins d’une ferme. Une loi suisse va dans ce sens.

Par ailleurs la réglementation sur la protection des obtentions végétales (UPOV) interdit, dans sa version de 1991, de ressemer la récolte (sauf éventuelle autorisation moyennant le versement d’une compensation aux obtenteurs).

Tous ces obstacles sont tout à fait contraires aux dispositions du traité sur les ressources phytogénétiques pour l’agriculture (TIRPAA), adopté par la France en 2005, et dont l’article 9 reconnaît notamment le droit des agriculteurs à participer à la prise de décisions sur les questions relatives à la conservation et à l’utilisation durable des ressources phytogénétiques.

 

Législation et pollution génétique

La coexistence entre des plantes génétiquement modifiées et des plantes indemnes est, de fait, impossible. Il suffit de considérer l’importance de la circulation de pollen par le vent, les abeilles et autres insectes, ou encore les risques de ressemis de semences contaminées. Lorsque les paysans font eux-mêmes leurs propres semences, ils ressèment chaque année une partie de leur récolte précédente, générant ainsi une augmentation très rapide du taux de la moindre contamination. L’absence de clarté sur la responsabilité en cas de contamination incite par ailleurs à la dissimulation.

Le Protocole de Carthagène ratifié par le France permet de refuser la culture d’OGM dès lors que ceux-ci menacent l’environnement local ou la santé. Il n’est malheureusement pas appliqué.

Conclusion

Derrière les semences paysannes, l’enjeu est bel et bien la sécurité et la souveraineté alimentaire, à l’heure d’une indispensable remise en question de l’agriculture intensive, de la révolution verte et de leurs conséquences sur les écosystèmes et les systèmes agraires. La disparition des paysans en Europe provoque la destruction de cultures locales irremplaçables et de savoir-faire ancestraux. Dans un contexte de dépendance vis à vis de l’agrochimie, des énergies fossiles, nos besoins vitaux sont de plus en plus satisfaits à l’échelle planétaire, dépendants d’une économie mondiale aussi virtuelle que fragile.

Face à cette situation, les semences paysannes sont une promesse d’avenir. Leur potentiel d’adaptabilité et leurs rusticités sont des garanties face aux conditions changeantes, tant climatiques qu’économiques. Leur diversité permet d’innover autour d’initiatives fortement ancrées à un territoire et à une communauté humaine. C’est pourquoi le Réseau Semences Paysannes se bat pour la reconnaissance juridique et scientifique des pratiques paysannes de gestion de la biodiversité cultivée.