Le logiciel et le marché-libre doivent-ils libérer les semences ?

Guy Kastler,

Résumé

L’appropriation des semences par les droits de propriété industrielle (DPI) au prétexte de rémunération de la recherche soulève de nombreux questions : érosion de la biodiversité cultivée, atteinte aux droits des paysans de reproduire et d’échanger leurs semences et de choisir en conséquence le type d’agriculture (industrielle ou paysanne) qu’ils développent, atteinte au droit des peuples à la souveraineté alimentaire, confiscation du droit à l’alimentation par une poignée de Sociétés Trans Nationales (STN)…

L’oppression suscite résistance et soif de liberté. Un formidable mouvement social arrête depuis une quinzaine d’années la progression des cultures d’OGM en Europe. Dans le même temps, des slogans réclamant la « libération des semences », un « libre accès aux semences pour tous » et autres «  semences libres » fleurissent sur des sites ou des publications qui se développent autour de ces luttes. Ces revendications interrogent : faut-il vraiment libérer les semences OGMs, mutées, mâles stériles, hybrides F1 et autres terminators ? Faut-il suivre la revendication des STN qui réclament un commerce libre des semences ?

Une autre option propose de contourner cette contradiction. Enthousiasmés par le succès des « logiciels libres » qui ont imposé leurs propres règles hors de toute possibilité de confiscation par les brevets, divers auteurs souhaitent développer sur le même modèle une biologie « open source » susceptible de rétablir la souveraineté des paysans sur leurs semences. L’avantage du système de protection juridique des « logiciels libres » est qu’il se base sur le droit des contrats et ne nécessite en conséquence pas la moindre modification du cadre législatif des DPI. Il coexiste sans problème avec les brevets puisqu’il utilise, pour protéger ses codes sources et leurs dérivés, les mêmes standards que ceux qui protègent les logiciels brevetés. Le « logiciel libre » génère la vision d’un monde pacifié, où l’alternative à l’ordre injuste se développe librement en son sein sans conflit frontal avec lui. La liberté est l’arme fatale susceptible de provoquer à elle seule l’effondrement de l’ancien monde coercitif et de le remplacer en retournant contre lui ses propres outils de domination. La transition vient ainsi se substituer aux échecs des luttes sociales et des révolutions du passé. Ce succès suscite de nombreux espoirs chez les militants épuisés par des années de lutte inégale contre le déferlement des DPI imposé sur toute la planète par des gouvernements à la solde des STN.

Cette option est d’autant plus séduisante que les paysans ne peuvent pas attendre le grand soir de la révolution mondiale abolissant définitivement les DPI et le pouvoir des STN pour cultiver et échanger leurs propres semences. D’ici là, elles auront disparu alors qu’elles restent le dernier garant de la nourriture de la majeure partie de la population mondiale et des générations futures. Les systèmes semenciers paysans ne survivent souvent que dans la clandestinité qui leur permet d’échapper aux poursuites de systèmes juridiques ne protégeant que les DPI des STN. Le « système biologique open source » est-il le nouvel espoir qui permettra de sortir enfin les « semences libres » au grand jour ? Ses promesses sont-elles réalisables ? Ne risque-t-il pas de devenir au contraire le cheval de Troie de l’acceptabilité sociale du fichage génétique du vivant, dernière étape de l’achèvement de sa confiscation par les brevets ?

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