Novembre 2004
Guy Kastler,
Résumé
voir aussi
Texte complet
Le travail d’ « amélioration » (note 1) des plantes ou de conservation de variétés anciennes ou locales réalisés par les semenciers professionnels et les associations amateurs permet et justifie une identification claire des semences et plants qu’il met sur le marché et donc l’existence de catalogues qui lui sont adaptés. L’actuel catalogue commun est fait pour les seuls gros semenciers. Les listes « de variétés de conservation » ou « adaptées à l’agriculture biologique » , prévues par la directive 98/95/CE et toujours inexistantes en France, peuvent s’ouvrir à des démarches plus artisanales ou associatives.
Le travail de sélection réalisé chaque année dans leurs champs par des paysans qui continuent à créer leurs propres variétés nécessite des échanges réguliers et très diversifiés de quantités modestes de graines ou de plants qui vont réveiller et élargir leur potentiel génétique en passant d’un champ à un autre. Les scientifiques ont donné un nom à cela : co-évolution. A chaque échange, les lots de semences sont différents : ils ne peuvent être tous décrits et enregistrés dans un catalogue qui deviendrait une usine à gaz paralysante. Ces échanges sont une pratique courante dans la plupart des pays du monde, encore tolérée dans de nombreux pays européens.
La Suisse a décidé de les inscrire dans ses lois nationales. Selon l’article 29 d’une ordonnance sur les semences et les plants des espèces de grandes cultures et de plantes fourragères, « les semences d’une variété locale peuvent être mises en circulation sans que la variété soit enregistrée dans le catalogue et que ces semences soient certifiées ». Les seules exigences sont un étiquetage spécial non officiel, des quantités limitées et une comptabilité spécifique tenue par les producteurs à l’intention de l’administration.
Ces dispositions sont « également applicables aux semences ou aux plants de variétés obsolètes et d’écotypes et aux autres matériels de multiplication mis en circulation en vue de la conservation et de l’utilisation des ressources phytogénétiques pour l’agriculture et l’alimentation ».
En France, si on conserve des ressources phytogénétiques, on n’a pas le droit de les commercialiser en vue d’une utilisation pour l’agriculture et l’alimentation. Ou bien on conserve, ou bien on produit, la loi semencière interdit de faire les deux à la fois. Résultat : plus personne ne s’intéresse à une activité qui coûte et ne rapporte rien. Les paysans ne peuvent produire que s’ils vendent leur récolte. Quant aux semenciers, ils préfèrent déléguer la conservation de la biodiversité à l’Etat qui l’enferme dans des frigos ou des banques de gènes où elle dégénère par manque de crédits. Leur obsession à empêcher les paysans de ressemer le grain récolté leur a fait oublier que la biodiversité des plantes cultivées ne peut que vivre dans les champs, « in situ » , ou dépérir. Seules quelques associations d’amateurs s’épuisent à sauvegarder les variétés anciennes sous la surveillance et les tracasseries permanente d’une administration tatillonne. Au point que même les semenciers, qui ont imposé ce système imbécile, commencent à s’inquiéter sérieusement de la disparition de cette ressource sur laquelle repose leur activité.
La Suisse est connue pour être le nid douillé qui abrite le butin des multinationales semencières et pharmaceutiques. Elle fait partie, suite à un accord bilatéral, de l’Espace Européen Semences. Sa loi n’est donc pas contraire à la réglementation semencière européenne. L’archaïsme jacobin, qui s’est emparé du Ministère français de l’Agriculture pour asservir les paysans au risque de menacer sa propre survie, s’oppose à toute idée de l’appliquer au pays des Droits de l’Homme. Le laisserons-nous faire disparaître, avec les derniers échanges libres entre paysans libres, les dernières traces de biodiversité de notre territoire ?
Guy Kastler, Réseau Semences Paysannes.
Note 1 : en fait d’amélioration, il s’agit le plus souvent d’adaptation aux procédés mis en Ĺ“uvre par l’agriculture moderne productiviste (engrais, pesticides, machines, irrigation…).