Guy Kastler,
Résumé
résumé de l’intervention lors de l’atelier sur le changement climatique, Planète Diversité, Mai 2008, Bonn
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Alors que les plantes stockent le carbone dans les sols, les révolutions vertes ont amené l’agriculture industrielle à en libérer plus qu’elle n’en stocke et à aggraver ainsi le réchauffement climatique. Les semences des variétés élites de l’industrie imposent au champ les conditions artificielles du laboratoire dans lesquelles elles ont été sélectionnées : elles sont incapables de pousser sans les béquilles chimiques (engrais, pesticides) et technologiques (mécanisation lourde, irrigation forcenée…) qui remplacent le travail paysan par la consommation d’énergie fossile, détruisent l’humus qui retient le carbone dans les sols et sont de plus néfastes pour la santé et l’environnement. Les nouvelles biotechnologie qui font produire les insecticides par les plantes au lieu de les épandre ou qui prétendent préserver les sols en les arrosant d’herbicides ne sont qu’illusion. Et aucune manipulation artificielle de quelques gènes ne pourra jamais permettre aux plantes de s’adapter par elles-mêmes aux changements de climat ou de terroir. Elles ne sont que le prétexte à l’appropriation privée des semences et des savoirs par l’industrie. Les élevages hors sols et les agro-carburants provoquent un gaspillage insensé de protéines et de fibres végétales qui manquent cruellement pour nourrir une part importante de l’humanité. Les monocultures forestières libèrent plus de carbone qu’elles ne sont sensées en « piéger ». Ces productions industrielles détruisent les cultures vivrières, les forêts et les communautés rurales et indigènes qui, privés d’accès à la terre et au travail, constituent la grande majorité des populations qui souffrent aujourd’hui de la faim. Elles aggravent les crises environnementales, alimentaires et sociales mondiales.
Les paysannes et les paysans du monde offrent pourtant des solutions simples et efficaces pour répondre à la perte de biodiversité, au changement climatique et aux besoins alimentaires. L’humus qui retient le carbone dans les sols est l’engrais des paysans qui n’ont pas accès aux marchés de la chimie, leurs modes de production refroidissent la planète. Le pastoralisme entretient les landes qui fixent durablement le carbone, tout en permettant un transfert de fertilité avantageux pour les cultures. Les peuples indigènes sont les garants de la vie des forêts grâce auxquelles nous pouvons respirer. Les rotations de culture, les cultures associées, la polyculture élevage, l’agro-foresterie… constituent les systèmes agricoles les plus intensifs par unité de surface tout offrant du travail à une population paysanne nombreuse. Encore faut-il pour cela lui rendre l’accès aux biens communs que sont la terre, l’eau et les semences reproductibles qui ont été confisqué par l’industrie et privilégier les marchés locaux qui évitent les transports à longue distance et donc le gaspillage d’énergies fossiles.
Les semences paysannes sont sélectionnées au champ, avec les paysans. Elles nécessitent moins d’intrants, de mécanisation lourde et d’irrigation forcenée, tous gourmands en énergie fossile et en carbone. Leur diversité inter-variétales et intra-variétales et leur variabilité leur permettent en effet de s’adapter par elles-mêmes à la diversité des terroirs et au changement climatique. L’industrie tire ses bénéfices des économies d’échelle et ne peut pas sélectionner les dizaines de milliers de variétés nécessaires à tous les terroirs. Pour augmenter ses ventes, elle n’offre que des semences non reproductibles par les paysans. Verrouillées par les technologies (hybrides, terminator), les brevets ou les COV, elles ne peuvent plus évoluer pour s’adapter à la diversité des terroirs et aux changements climatiques. En France, ces semences industrielles sont les seules disponibles sur le marché, les semences paysannes sont interdites par la législation. Les entreprises qui, comme Kokopelli, diffusent les variétés anciennes reproductibles sont traînées devant les tribunaux.
C’est pourquoi de nombreux agriculteurs, bio ou non certifiés mais voulant tous s’affranchir des engrais et des pesticides chimiques, se sont regroupés au sein du Réseau Semences Paysannes et ont décidé de sélectionner eux-mêmes leurs semences. Ils ont pour cela récupéré les dernières variétés reproductibles encore cultivées ou sont allés les chercher dans les collections publiques encore accessibles. Ils les ont cultivées plusieurs années sans produits chimiques pour les laisser s’adapter à leurs terroirs et aux conditions actuelles de culture. Certaines collections vivantes regroupent ainsi chaque année chez un même paysan plus de 200 variétés de blé ou de tomates. Ils les ont ensuite évaluées pour retenir et conserver celles qui leur conviennent le mieux. Certaines sont alors cultivées pour la production. D’autres font l’objet de programmes de sélection au champ, avec des technique à la portée du paysan qui est leur utilisateur final : pressions de sélection dirigées, sélections massales positives ou négatives, culture en mélange, croisement plus ou moins dirigés…
Certains de ces programmes sont accompagnés par des chercheurs publics ou privés qui ont accepté de quitter leur laboratoire pour travailler dans les champs avec les paysans. Leur confrontation aux savoirs paysans, non scientifiques mais tout aussi pertinents et très complémentaires des visions de la science, les a souvent contraint à renoncer à certaines certitudes académiques. Mais aujourd’hui, ils ne jurent tous que par la sélection participative malgré la répression parfois sournoise des institutions de recherche. Les premiers résultats sont là pour leur donner raison : en l’absence de produits chimiques, toutes les variétés issues de sélections paysannes sont plus productives en condition difficile, notamment les années sèches. Leurs qualités nutritionnelles et gustatives sont plébiscitées par les consommateurs. Les pains de variétés anciennes décrétées non panifiables par l’industrie peuvent être consommés par des personnes allergiques aux glutens modernes, pour peu que la farine soit issue de meule de pierre et transformée au levain naturel. Les blés durs retrouvent en bio les qualités nécessaires à leur transformation en semoule ou en pâtes. Les choucroutes artisanales redeviennent consommables, les maïs gagnent en protéines, les légumes en micronutriments et surtout en saveur…
Il est difficile de cultiver chaque année toutes les variétés que l’on souhaite conserver. Inspiré de l’exemple brésilien, les premières maisons de la semences se développent en France. A partir d’un lieu commun où les semences sont conservées une ou plusieurs années, les échanges informels entre paysans et jardiniers s’organisent et le stock semencier est géré collectivement au niveau local. Les échanges se développent aussi entre les diverses maisons de la semence. Les semences n’appartiennent pas au paysan, mais au collectif qui constitue la maison de la semence et ne sont diffusées qu’à l’intérieur de ce collectif. Cela permet pour l’instant de respecter la loi qui autorise les échanges de semences de variétés non inscrites dans le cadre de programmes de conservation, de recherche ou de sélection. Les entreprises semencières reprochent aux paysans de vendre sur le marché les produits des récoltes produites dans le cadre de ces programmes, mais elles n’ont malheureusement pour elles pas encore trouver la loi qui pourrait le leur interdire…
Le marché mondial, la privatisation des biens communs et l’agriculture industrielle sont les causes des crises environnementales, alimentaires et sociales actuelles. Les solutions magiques préconisées dans ce cadre ne pourront jamais résoudre ces crises, mais seulement les aggraver. Seuls le respect de la souveraineté alimentaire et des droits d’usage collectifs des paysans sur les biens communs, la terre, l’eau et les semences reproductibles, peut nourrir et refroidir la planète.
Guy Kastler, Réseau Semences Paysannes, Fr., commission Biodiversité de Via Campesina