CJUE : Conclusion avocat général - question préjudicielle délais versement License semences de ferme - Affaire C-242/14-

Niveau juridique : Union européenne

Mots clefs : «Protection communautaire des obtentions végétales – Règlement (CE) nº 2100/94 – Articles 14 et 94 – Règlement (CE) nº 1768/95 – Utilisation par un agriculteur du produit de la récolte d’une variété végétale protégée, sans autorisation du titulaire de la protection – Dérogation à ladite protection – Privilège des agriculteurs – Obligation de verser une rémunération équitable au titulaire – Délai dans lequel le versement doit intervenir pour pouvoir bénéficier de la dérogation – Point de départ et fin de ce délai»

Lien complet : eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1426082836009&uri=CELEX:62014CC0242

Extraits choisis :

  • III – Analyse, A – Sur les contours de la problématique soumise à la Cour, du point 19 au point 24.

«  19 : En particulier, le paragraphe 3, quatrième tiret, dudit article 14 impose que, en contrepartie d’une telle utilisation (14), l’agriculteur souhaitant bénéficier de ce privilège soit tenu de verser au titulaire une «rémunération équitable» (15). L’article 6, paragraphe 1, du règlement d’application détermine dans quelles circonstances l’«obligation individuelle» de payer ladite rémunération naît et devient exigible, sans néanmoins définir expressément un délai ou un moment précis pour effectuer le versement requis. La convention de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (16) (ci‑après la «convention UPOV») sur laquelle les dispositions du règlement de base ont été alignées (17) prévoit une dérogation similaire, mais elle n’apporte pas davantage de précisions quant à la détermination d’un tel délai (18). C’est cette incertitude temporelle qui a suscité la présente demande de décision préjudicielle, ainsi que je le développerai ci‑dessous.

20. À défaut de s’acquitter de son obligation individuelle de paiement en temps utile, l’agriculteur sera considéré comme ayant fait un emploi irrégulier d’une variété végétale protégée (19). Il en va de même d’un agriculteur qui, en omettant de déclarer une partie de la quantité du produit de la récolte qu’il a mis en culture, n’a pas versé une rémunération équitable (20). Dans de telles hypothèses, l’intéressé perd le bénéfice du privilège des agriculteurs et c’est non pas le régime dérogatoire figurant à l’article 14 du règlement de base mais la règle de principe prévue à son article 13, paragraphe 2, qui trouve à s’appliquer, ce dont STV se prévaut dans le litige au principal (21).

21. En ces cas, le titulaire de la variété végétale concernée peut intenter une action en justice contre l’agriculteur l’ayant utilisée sans son autorisation (22), sur le fondement de l’article 94 du règlement de base (23). L’article 17 du règlement d’application confirme que l’intéressé a le droit d’agir au titre d’une «contrefaçon» à l’encontre de toute personne n’ayant pas respecté l’ensemble des conditions de mise en œuvre de la dérogation qui sont énoncées à l’article 14 du règlement de base. En vertu de l’article 94, paragraphe 1, de ce dernier règlement, le titulaire peut obtenir soit la cessation de la contrefaçon, soit le versement d’une rémunération équitable, soit ces deux condamnations. Le paragraphe 2 dudit article 94 ajoute que si l’agriculteur poursuivi a commis l’acte qui lui est reproché d’une façon délibérée ou par simple négligence, ce contrefacteur doit en outre réparer le préjudice qui en a résulté pour le titulaire (24).

22. Afin d’éviter tout risque de confusion à cet égard, il convient de souligner que la rémunération équitable due en vertu dudit article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, laquelle doit être versée directement au titulaire à titre de compensation légitime par toute personne faisant usage du privilège des agriculteurs, se distingue de la rémunération équitable due en vertu dudit article 94, paragraphe 1, laquelle sera éventuellement mise à la charge d’un agriculteur poursuivi en justice si les faits de contrefaçon reprochés sont établis par le titulaire demandeur (25). Cette différence d’objets se matérialise au niveau des critères régissant la fixation desdites rémunérations. Dans le premier cas, la rémunération est plus limitée puisqu’elle «doit être sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de la même variété dans la même région» (26), tandis que dans le second cas, «il convient de retenir comme base de calcul le montant équivalent à la redevance due pour production sous la licence C» (27). Les consorts Vogel soutiennent que leur situation relève éventuellement du premier cas de figure, qui leur est plus favorable sur le plan financier, mais nullement du second.

23. Dans le cadre ainsi défini, la Cour est invitée, en substance, à déterminer à partir de quand et jusqu’à quel moment un agriculteur qui a utilisé du matériel de multiplication d’une variété végétale protégée obtenu par mise en culture, sans avoir conclu pour cela un contrat avec le titulaire de la protection relative à cette variété, doit verser à ce dernier la rémunération équitable lui étant due en vertu de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement de base, afin que cet agriculteur puisse bénéficier de la dérogation à l’obligation d’obtenir l’autorisation dudit titulaire qui est prévue à cet article et, partant, échapper aux actions judiciaires prévues à l’article 94 de ce même règlement.

24. Étant donné que ces dispositions n’apportent pas, en elles‑mêmes, de réponse claire à cette double interrogation, il est nécessaire d’examiner la teneur des articles 14 et 94 du règlement de base, non seulement en combinaison avec les articles 5 et suivants du règlement d’application, mais aussi à la lumière des règles d’interprétation itérativement rappelées et suivies par la Cour. Ainsi, il y a lieu de prendre en considération des critères usuels tels que l’origine de ces dispositions (28), leur économie générale, leur finalité propre, leur formulation dans les diverses versions linguistiques desdits règlements (29) et, surtout en cas de silence voire de lacune des textes, le système plus global dans lequel ces dispositions s’inscrivent. »

(…)

B – Sur le point de départ du délai de versement par un agriculteur de la rémunération équitable due en vertu de l’article 14 du règlement de base

(…)

«  35. En conséquence, je préconise de répondre par la négative à la première question préjudicielle, donc en ce sens qu’un agriculteur est tenu de verser au titulaire la rémunération équitable due en vertu de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement de base seulement à partir du moment où il utilise effectivement le produit de sa récolte à des fins de multiplication en plein air et que, partant, cet agriculteur ne saurait être poursuivi sur le fondement de l’article 94 dudit règlement s’il ne s’est pas encore acquitté de son obligation de paiement à la date à laquelle il procède à cette utilisation effective. »

(…)

C – Sur l’échéance du délai de versement par un agriculteur de la rémunération équitable due en vertu de l’article 14 du règlement de base

(…)

« 36. La juridiction de renvoi pose la seconde question préjudicielle à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où, comme je le propose, la Cour dirait pour droit que, afin de bénéficier du régime dérogatoire prévu à l’article 14 du règlement de base, l’agriculteur n’est pas tenu de payer une rémunération équitable, au profit du titulaire de la variété végétale protégée qu’il souhaite utiliser, avant de procéder aux actes visés par cet article. En substance, elle interroge la Cour sur le point de savoir si, en l’absence d’un contrat avec ledit titulaire, le privilège des agriculteurs est soumis au respect d’un délai limité de versement qui serait défini par les dispositions du droit de l’Union pertinentes et, dans l’affirmative, quels en seraient les critères de fixation. La juridiction de renvoi considère qu’un tel délai ne trouve de fondement juridique clair ni dans les textes applicables en l’espèce ni dans la jurisprudence de la Cour »

(…)

 

« 45. Enfin, s’agissant des modalités du paiement de la rémunération équitable due en vertu de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement de base, le problème de savoir si celui‑ci doit être effectué de façon spontanée par l’agriculteur ou à la demande du titulaire n’est certes pas soulevé explicitement dans les questions préjudicielles, mais il apparaît néanmoins en filigrane dans la motivation de la décision de renvoi. À cet égard, STV soutient que, contrairement à ce que prétendent les consorts Vogel et le gouvernement espagnol (45), l’obligation de verser ladite rémunération ne serait pas subordonnée à une demande de paiement voire à l’émission préalable d’une facture par le titulaire, au motif que les agriculteurs concernés seraient en mesure de déterminer par eux‑mêmes le montant de cette rémunération en vue de la verser au titulaire concerné (46).

46. Le libellé dudit quatrième tiret semble plaider dans le sens de la thèse défendue par STV, puisqu’il y est indiqué, avec une tonalité impérative, que les «agriculteurs sont tenus de payer au titulaire une rémunération équitable», tandis que le sixième tiret du même paragraphe 3 énonce que «toute information pertinente est fournie sur demande aux titulaires par les agriculteurs» (47). En outre, s’il suffisait à un agriculteur de mauvaise foi de s’abstenir de se manifester alors qu’il a effectué les opérations visées à l’article 14 du règlement de base, il lui serait excessivement facile d’échapper à son obligation de paiement, jusqu’à ce qu’il fasse l’objet d’un hypothétique contrôle, étant observé que ce dernier est encore moins à craindre s’agissant des plantes agricoles qui, telles les pommes de terre, ne font pas l’objet d’opérations de triage à façon. »

(…)

« 49. Par conséquent, il convient selon moi d’apporter une réponse commune aux deux questions soumises à la Cour et de dire pour droit que les articles 14 et 94 du règlement de base doivent être interprétés en ce sens que, à défaut de convention contraire entre les parties concernées, un agriculteur qui se prévaut de la dérogation énoncée audit article 14 est tenu de verser une rémunération équitable au titulaire de la variété végétale protégée seulement à partir de l’utilisation effective de cette variété et au plus tard à la fin de la campagne de commercialisation dans laquelle cette opération s’inscrit, c’est‑à‑dire au plus tard le 30 juin suivant la date du réensemencement.

50. Afin de conforter l’interprétation des dispositions visées par la demande de décision préjudicielle que je préconise ainsi, je souligne que cette approche correspond à la règle usuelle dans le domaine des droits de propriété intellectuelle selon laquelle en l’absence d’un prépaiement, qui en l’espèce est exclu selon moi, l’obligation de verser une redevance, généralement sous forme de royalties, est liée à l’exploitation effective du droit en question. En outre, la juridiction de renvoi met en exergue que cette approche est aussi en adéquation avec la pratique habituellement suivie en matière de protection des obtentions végétales, et notamment par STV.

 

IV – Conclusion

51. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Landgericht Mannheim (Allemagne):

Les articles 14 et 94 du règlement (CE) nº 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, lus en combinaison avec les articles 5 et suivants du règlement (CE) nº 1768/95 de la Commission, du 24 juillet 1995, établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94, doivent être interprétés en ce sens qu’un agriculteur a la possibilité d’utiliser le produit de la récolte qu’il a obtenu par la mise en culture, dans sa propre exploitation, du matériel de multiplication d’une variété protégée, sans autorisation du titulaire de ladite protection, à condition qu’il lui verse une rémunération équitable au sens dudit article 14 dans un délai qui débute à la date à laquelle l’agriculteur a effectivement semé le produit de sa récolte et qui expire à la fin de la campagne de commercialisation au cours de laquelle cette utilisation a eu lieu. »