Niveau juridique : Union européenne
L’Espagne a demandé à la Cour de Justice de l’Union Européenne d’annuler le règlement (UE) n° 1260/2012 du Conseil, du 17 décembre 2012, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet, en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction.
Ce recours remet notamment fortement en cause le fait que seuls 3 langues officielles (français, allemand, anglais) sont acceptées dans le cadre du système de brevet unitaire européen. Les 5 fondements sur lesquels l’Espagne s’appuie pour déposer son recours ont été jugés non fondés par l’avocat général.
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Lien vers la décision : eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1416925352569&uri=CELEX:62013CC0147
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Lien vers le Communiqué de presse commun explicitant les décisions des deux affaires liées ici C-146/13 Espagne / Parlement et Conseil et C-147/13 Espagne/Conseil : curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2014-11/cp140152fr.pdf
Extraits choisis:
« Appréciation de l’avocat général suite à l’exposé des motifs :
Point 39. Il ne fait aucun doute ici que les personnes qui ne connaissent pas les langues officielles de l’OEB sont discriminées et qu’un traitement différencié a ainsi été opéré par le législateur de l’Union.
Point 40. Nous devons donc nous pencher sur l’examen de la légitimité de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union en instaurant une législation discriminatoire et, le cas échéant, examiner si ce traitement différencié est approprié et proportionné (21). » (…)
« 50. Force est donc de constater que le législateur de l’Union a adopté le règlement attaqué dans le but légitime de trouver une solution linguistique en adéquation avec les objectifs de l’Union mentionnés au point 43 des présentes conclusions. En d’autres termes, le régime linguistique choisi implique, certes, une restriction à l’utilisation des langues, mais il poursuit un objectif légitime de réduction des coûts de traduction.
51. Si le traitement différencié des langues officielles de l’Union poursuit un tel objectif, il convient, à présent, d’apprécier le caractère approprié et proportionné de ce choix » (….)
« 59. Partant, la limitation aux trois langues officielles de l’OEB nous paraît appropriée eu égard aux objectifs légitimes poursuivis par le législateur de l’Union.
60. Par ailleurs, ce choix respecte le principe de proportionnalité.
61. À cet égard, il ressort de l’arrêt Kik/OHMI (37) que le traitement différencié effectué par le législateur de l’Union est possible pour autant qu’il existe un équilibre nécessaire entre les différents intérêts en cause (38).
62. Le législateur de l’Union a encadré, dans le règlement attaqué, les modalités applicables en matière de traduction de sorte, justement, à tempérer la différence de traitement dans le choix des langues ainsi que l’impact que celui-ci pourrait avoir sur les opérateurs économiques et les personnes intéressées. » ( …)
»
65. D’une part, ce législateur aménage des dispositions concernant les traductions en cas de litige.
66. Premièrement, en cas de litige concernant une prétendue contrefaçon, il prévoit un accès aux informations dans la langue choisie par le prétendu contrefacteur. Ainsi, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, lorsqu’une personne a prétendument contrefait un BEEU, le titulaire du brevet doit fournir, à sa charge, à cette dernière et à la demande de celle-ci, une traduction du BEEU dans une langue officielle de l’État membre participant dans lequel la prétendue contrefaçon a eu lieu ou dans lequel ladite personne est domiciliée, au choix de cette dernière (41).
67. Deuxièmement, en cas de litige concernant un BEEU, l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué dispose que le titulaire du brevet doit fournir, à sa charge, une traduction intégrale du brevet dans la langue de procédure de la juridiction compétente dans les États membres participants, à la demande de cette dernière (42).
68. Troisièmement, en cas de litige concernant une demande de dommages-intérêts, la juridiction saisie doit prendre en considération la bonne foi du prétendu contrefacteur qui a agi avant de recevoir la traduction visée à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, sans savoir ou sans avoir de motif raisonnable de savoir qu’il portait atteinte au BEEU, «en particulier» s’il s’agit d’une PME, d’une personne physique, d’organisations sans but lucratif, d’universités et d’organisations publiques de recherche (43).
69. D’autre part, le législateur de l’Union prévoit des mesures transitoires à compter de l’application du règlement attaqué, et ce jusqu’à ce que l’OEB dispose pour les demandes de brevets et les fascicules d’un système de traduction automatique de haute qualité (44).
70. Ainsi, durant la période transitoire, l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué énonce que toute demande de BEEU est accompagnée d’une traduction en langue anglaise de tout le fascicule si la langue de procédure est la langue allemande ou la langue française, ou d’une traduction de tout le fascicule dans une langue officielle de l’Union si la langue de procédure est la langue anglaise. C’est donc la garantie que, pendant cette période, tous les BEEU sont disponibles en langue anglaise. En outre, les traductions dans les langues officielles de l’Union seront manuelles et pourront servir à perfectionner le système de traduction automatique.
71. En second lieu, le législateur de l’Union prévoit, à l’article 5 du règlement attaqué, un système de compensation pour le remboursement des coûts de traduction s’agissant des personnes qui n’auraient pas introduit leur demande de brevet européen dans une des langues officielles de l’OEB.
72. En vertu de cette disposition, une demande de brevet européen pouvant être déposée dans n’importe quelle langue officielle de l’Union, de telles personnes pourront être remboursées de tous les coûts de traduction jusqu’à un certain plafond. Ces bénéficiaires sont expressément visés comme étant les PME, les personnes physiques, les organisations sans but lucratif, les universités et les organisations publiques de recherche ayant leur domicile ou leur principal établissement dans un État membre (45).
73. Le législateur de l’Union a ainsi voulu préserver les personnes ou les entités les plus vulnérables en comparaison avec les structures plus puissantes qui disposent de moyens plus importants et qui comptent parmi leur personnel des agents compétents pour rédiger directement les demandes de brevets européens dans une des langues officielles de l’OEB.
74. Il résulte de ces considérations que le choix linguistique opéré par le législateur de l’Union poursuit un objectif légitime et qu’il est approprié et proportionné eu égard aux garanties et aux éléments qui viennent tempérer l’effet discriminatoire qui résulte de ce choix.
75. Au vu de tout ce qui précède, nous proposons donc à la Cour de rejeter le premier moyen du Royaume d’Espagne comme étant non fondé. »
(….)
« IV – Conclusion
132. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour:
– de rejeter le recours et
– de condamner le Royaume d’Espagne à ses propres dépens, le Conseil de l’Union européenne et les parties intervenantes supportant leurs propres dépens. »