Niveau juridique : France
PRÉSENTÉE
Par M. Gérard LE CAM, Mmes Évelyne DIDIER, Mireille SCHURCH, M. Paul VERGÈS, Mmes Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Éric BOCQUET, Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, MM. Thierry FOUCAUD, Michel LE SCOUARNEC, Christian FAVIER, Guy FISCHER, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, M. Robert HUE, Mme Isabelle PASQUET et M. Dominique WATRIN,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
www.senat.fr/leg/ppl11-599.html
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi n° 2011-1843 du 8 décembre 2011 relative aux certificats d’obtention végétale a modifié le code de la propriété intellectuelle et le code rural et de la pêche maritime afin de créer un nouveau régime juridique applicable aux obtentions végétales.
Cette loi devait faire barrage aux partisans des brevets et sécuriser le système des obtentions végétales. Système dont le cadre international a été fixé en 1961 avec l’adoption de la convention internationale sur la protection des obtentions végétales, et la création de l’Union pour les obtentions végétales (UPOV), chargée d’en surveiller l’application.
L’absence de ratification par la France de la convention UPOV de 1991, l’existence d’un régime européen de protection des obtentions végétales, prévu par le règlement (CE) n° 2100/94 du 17 juillet 1994, et ses règlements d’application, appelaient une réforme de la législation française.
La commission des affaires économiques du Sénat dans son rapport sur le texte avait défendu son adoption en mettant en avant, à juste tire, le modèle de protection juridique des droits des chercheurs à travers « un droit de propriété intellectuel original, distinct du brevet, appelé le certificat d’obtention végétale (COV ) ». Contrairement au brevet, avec le COV, si des variétés nouvelles sont créées à partir de variétés existantes, même protégées, le chercheur créateur n’est pas débiteur de l’obtenteur des variétés utilisées initialement. Mais la loi relative aux certificats d’obtention végétale présente plusieurs inconvénients qui nécessitent de la revoir en profondeur, et elle ne règle pas la juxtaposition du brevet et du certificat d’obtention végétale qui reste un problème majeur.
Il reste que le privilège de l’obtenteur constitue, au regard du principe de non brevetabilité du vivant, la moins mauvaise solution.
Cependant, s’il apparait légitime que la protection conférée à l’obtenteur par un certificat d’obtention végétale s’étende à toute commercialisation de semences de la variété qu’il a sélectionnée, les droits de licence ainsi obtenus rémunérant son travail de recherche, il ne semble pas justifié que cette protection s’étende à la récolte et aux semences produites par l’agriculteur lui-même.
En effet, en ressemant une partie de leurs récoltes précédentes et en échangeant régulièrement entre eux de petites quantités de semences, des centaines de milliers d’agriculteurs créent et renouvèlent chaque année la biodiversité cultivée. La plupart des utilisateurs de semences de ferme ne font aucune sélection conservatrice mais laissent au contraire dériver la variété protégée pour favoriser la sélection de semences localement adaptées et vendent leur récolte sous la seule dénomination de l’espèce. La reproduction fidèle de l’homogénéité et de la stabilité des caractères phénotypiques d’une variété protégée ne s’obtient en effet que dans les conditions de cultures contrôlées des parcelles de multiplication de semences, qui nécessitent des doses d’intrants chimiques et d’irrigation bien supérieures à celles utilisées en condition normales de culture. Chaque fois qu’un agriculteur reproduit une partie de sa récolte dans ces conditions normales de culture, des caractères nouveaux apparaissent. Ces caractères nouveaux sont l’expression de l’adaptation des variétés au mode de culture, au terroir et aux variations climatiques. L’adaptation locale des variétés réalisée par les agriculteurs qui sélectionnent les caractères nouveaux les plus intéressants issus des multiplications successives d’une partie de leur récolte est une des stratégies devenue incontournable pour diminuer l’usage des intrants chimiques et adapter les cultures aux changements climatiques. Cette adaptation n’est pas une simple reproduction de la variété protégée, mais la première étape d’une sélection paysanne locale. Elle est favorisée par la culture de mélanges variétaux et les échanges de semences entre agriculteurs. C’est pourquoi il est important de permettre l’existence totalement légale des semences de ferme, sans menace de contrefaçon, et de mettre des garde-fous à l’appropriation privée du vivant à travers notamment la légalisation de la biopiraterie.
Ensuite, parce que l’agriculture doit répondre à des objectifs de sécurité et de qualité alimentaire et environnementale, tous d’intérêts publics, il est nécessaire de revenir sur le financement et la gouvernance de la recherche et de l’administration des certificats d’obtention végétale. Il s’agit de donner les moyens à la recherche publique, de financer prioritairement les semences reproductibles et de garantir la démocratie participative dans les instances décisionnaires.
Enfin, la présente proposition de loi entend donner traduction au Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA) qui met en place un système de partage avec réciprocité et qui reconnaît la contribution inestimable passée, présente et future des agriculteurs à la conservation des ressources phytogénétiques, ainsi que leurs droits qui en découlent de protéger leurs savoirs traditionnels.
L’article 1er modifie la composition de l’instance nationale des obtentions végétales, ainsi que les modalités de nomination du responsable au sein du groupement. En effet, l’exploitation économique des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture par le recours à la protection du certificat d’obtention végétale ne concerne pas seulement la recherche publique, regroupée dans notre pays au sein de l’INRA pour ce qui concerne l’agriculture. Elle concerne aussi les agriculteurs qui conservent et renouvellent les ressources phytogénétiques in situ dans leurs champs, les réseaux de conservation in situ et ex situ de ressources phytogénétiques constitués d’associations, d’entreprises et de la recherche publique, les agriculteurs utilisateurs de semences commerciales protégées par un certificat d’obtention végétale, les obtenteurs, les consommateurs, les associations environnementales et de la société civile. L’instance nationale des obtentions végétales doit s’appuyer sur les représentants de l’ensemble de ces secteurs. Il convient aussi d’impliquer l’ensemble des ministères concernés. L’article 2 modifie le code rural et de la pêche maritime afin d’extraire la sélection de la réglementation relative à la production et à la commercialisation des semences. Il est ainsi fait la distinction entre les semences qui exigent l’inscription de la variété concernée au catalogue commun, et la recherche ou la conservation des ressources phytogénétiques qui, par définition, n’appartiennent pas à des variétés inscrites au catalogue puisque leur objet est de permettre éventuellement une telle inscription. La sélection, la recherche et la conservation doivent se développer dans le cadre de la réglementation concernant les ressources phytogénétiques et non comme de simples dérogations à la réglementation concernant la commercialisation. Cet article précise également l’objectif des obligations de traçabilité afin qu’elles ne soient pas réalisées en fonction des besoins privés de traçabilité des entreprises de commercialisation ou des fournisseurs d’intrants.
Les articles 3 et 4 entendent, conformément au principe de proportionnalité, favoriser la contribution des petits agriculteurs à la conservation et à la diffusion des variétés locales. L’article 5 renforce l’impartialité des contrôles, en évitant tout risque de conflits d’intérêts notamment en interdisant que les contrôles de professionnels soient effectués par des personnes directement employées par leurs propres organisations professionnelles ou celles de leurs fournisseurs.
Les articles 6 et 7 modifient le code la propriété intellectuelle afin d’intégrer les variétés populations dans la définition des variétés. L’article 8 affirme le principe d’interdiction de breveter une variété afin d’éviter le dépôt de brevet sur les composants génétiques ou moléculaires des plantes constituant une variété, ou sur leur procédé d’obtention. L’article 9 supprime l’extension de la protection du certificat d’obtention végétale, en cas de contrefaçon, à la récolte et au produit de la récolte et limite le concept de variété essentiellement dérivée à sa définition et à son objet. L’article 10 limite les cas pour lesquels les droits du titulaire d’un certificat d’obtention végétale persistent. En effet, les multiplications successives d’une partie de la récolte dans un même environnement font apparaître des caractères nouveaux d’adaptation à cet environnement. Avec les cultures en mélanges de variétés et les échanges de petites quantités de semences entre agriculteurs, ces multiplications successives sont à la base des sélections paysannes de variétés locales. Elles ne sont que l’application par les agriculteurs de « l’exception de sélection » définie au I de l’article 623-4 du code de la propriété intellectuelle et ne doivent donc pas être concernées par la protection du certificat d’obtention végétale sur la variété initiale. L’article 11 limite le champ d’application de l’obtention pour éviter la bio piraterie et l’appropriation privée de variétés existantes. L’article 12 élargit la pratique des semences de ferme à toutes les espèces et non pas seulement aux espèces énumérées par le règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales. Cet article garantit ainsi qu’en cas de pénurie de semences pour des espèces non visées par le règlement il puisse y avoir recours aux semences de ferme. L’article 13 précise le champ d’application du régime de protection des obtentions végétales en distinguant, d’une part, le droit des agriculteurs à bénéficier de l’exception de sélection, et d’autre part, la reproduction fidèle d’une variété protégée et de l’utilisation commerciale de sa dénomination. Il procède à la même précision en ce qui concerne les opérations de triage. L’article 14 reprend le règlement CE n° 2100/94 du 27 juillet 1994 selon lequel la responsabilité de l’application des dispositions adoptées au titre du présent article incombe exclusivement aux titulaires de certificat d’obtention végétale. L’article 15 limite la protection des obtentions végétales à son objet afin qu’elle ne soit pas étendue, notamment dans le cadre des opérations de triage, à des variétés non protégées et supprime la qualification de contrefaçon des échanges de petites quantités de semences entre agriculteurs. L’article 16 réaffirme le droit inaliénable des agriculteurs dans la pratique des semences de ferme. Il reprend à ce titre les principes énoncés par le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. L’article 17 crée une taxe sur les semences non reproductibles. Le produit de cette taxe sera destiné à encourager et soutenir la recherche publique pour la sélection et la mise en marché de semences librement reproductibles, et également les efforts des agriculteurs pour gérer et conserver les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture et leur implication dans des programmes de sélection participative qui renforcent la capacité de mise au point de variétés spécifiquement adaptées aux différentes conditions sociales, économiques et écologiques, y compris dans les zones marginales.
L’article 18 précise le champ d’application de la contrefaçon afin d’éviter que les agriculteurs qui ne sont pas correctement informés de l’existence de titres de propriété intellectuelle protégeant leurs semences ou leurs cultures soient tenus pour responsables d’éventuelles contrefaçons. L’article 19 modifie le code rural et de la pêche maritime afin de prendre en compte l’ensemble des objectifs de la conservation des ressources phytogénétiques et de ne pas les limiter aux besoins économiques à court terme de la recherche ou de la sélection. L’article 20 met en oeuvre les engagements internationaux de la France notamment en ce qui concerne le consentement préalable et le partage équitable des avantages issus de l’exploitation des ressources phytogénétiques, ainsi que des accords de transfert de matériel indispensables au respect de ces engagements. L’article 21 garantit la publicité de l’information sur les méthodes d’obtention et l’origine des ressources. Ce qui apparait indispensable pour les agriculteurs sous signe de qualité, notamment l’agriculture biologique, dont les cahiers des charges excluent certaines méthodes de modification génétique aujourd’hui non règlementées. Cet article garantit également l’information sur les titres de propriété opposables à tout utilisateur de semences certifiées. L’article 22 est relatif aux éventuelles conséquences financières qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente proposition de loi.